Chapitre 1

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  — Bonjour ! Je viens d’une Terre...

Le pervers qui attendait devant le lycée a jeté son dévolu sur nous pour lâcher ses divagations. Il me regarde plus que mon ami.

— D’une Terre ? dis-je, hésitant à l’ignorer.

— D’une autre Terre...

Il s’apprête à dire quelque chose mais se ravise à chaque fois. Il cherche une façon de le dire.

— À la nage ? Vous venez d’Amérique à la nage ?

Mon humour n’est pas à la portée de tout le monde. Clément ne me regarde même pas. Il répond, avec cet air neutre qu’il arbore à toute occasion :

— Est-elle loin, votre Terre ? Que voulez-vous ?

— Parler à votre… chef ? Ou Président, Roi… maître du monde ?

Je regarde Clément. Il trouve cette conversation normale.

— On n’a pas de maître du monde, dis-je pour simplifier un peu. On n’en a pas qu’un.

— Lui non plus, dit Clément en se tournant brièvement vers moi.

Clément sait tout sur tout le monde. Clément ne se trompe jamais.

— Vous venez d’en dessous ? demande-t-il à l’homme. D’à côté ?

— D’au-dessus.

— Ah. Je vois.

À peine rassuré de s’être confié à nous, l’homme hoche la tête en jetant des coups d'œil vers le lycée. Je suis son regard, intriguée.

— Il y a quelqu’un, là-dedans, qui pourrait me présenter à l’un de vos maîtres du monde ? insiste-t-il.

— On a des politiciens comme vous, dit Clément. Des chefs d’État. On a des organisations, et des chefs d’organisation qui changent selon les élections. À qui voulez-vous parler ?

— Au lycée, on vous donnera pas l’adresse du Président, dis-je pour ne pas laisser l’homme en proie aux questions sans queue ni tête de Clément. Elle vous servira à rien, l’adresse du Président. Qu’est-ce que vous voulez lui dire ?

— Je viens d’une autre Terre.

Ça y est, il recommence.

— Vous savez, quand on me parle Chinois, je réponds en Javanais. J’ai l’habitude avec celui-là.

Clément hausse un sourcil en voyant que je le pointe du doigt.

— Vous voulez dire au Président que vous venez d’une Terre ?

L’homme acquiesce, mais avec un sourcil un peu bas, comme s’il se demandait si ce n’était pas risqué.

— C’est pas le Président qu’il vous faut, dis-je. C’est les médias.

Clément se retourne sur moi. Il réfléchit.

— Les médias ?

— Si vous voulez dire au monde entier que vous venez d’une Terre.

Je répète, mais je ne sais pas moi-même ce que je dis.

— Eh ben, vous le dites aux médias. Vous prenez les plus influents de chaque pays, et vous leur accordez une interview. Ceux qui vous croiront inciteront les autres à vous interroger. Le reste viendra à vous sans effort. C’est tout ce que vous voulez dire ? Que vous venez d’une Terre ?

Si ça peut le faire partir, je peux bien raconter n'importe quoi. Clément réfléchit toujours. L’homme, lui, hésite à parler.

— C’est tout ce qu’il a à dire, acquiesce soudain Clément. Le reste viendra après.

L’homme reste droit et raide au milieu du trottoir, et je vois bien qu’il est tout entier paralysé par une angoisse pressante, comme si le temps lui manquait. Je devrais peut-être lui donner l’adresse de l’asile psychiatrique le plus proche.

— C’est quoi, les « médias » ? dit-il.

Je sors mon téléphone. L’asile psychiatrique le plus proche, disais-je.

— Ce sont les gens qui diffusent les informations dans tout le pays, ou la planète, répond Clément sans être gêné le moins du monde par la question.

— Non, non, non… ça ne va pas ! s’exclame l’homme. Ça ne va pas du tout… il est hors de question de parler de tout ça au peuple !

Je lève les yeux de mon téléphone. Il est en train de regarder Clément comme si ce dernier était censé comprendre et approuver, comme si ce qu’il disait était une évidence. Je trouve cette situation moins drôle. Plus triste. Le pauvre homme est définitivement perdu.

— Il nous reste combien de temps ? murmure Clément.

— Hein ?

J’hallucine. Il joue le jeu. Comment ça, combien de temps ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Très peu, répond l’homme. Mais cette planète n’est pas la seule en danger. C’est tout l’univers qui est sur le point de s’éteindre.

— Mince.

Je les regarde tous les deux, et je me remets à chercher l’asile. Pour Clément aussi, bien sûr. Il a sérieusement besoin d’aide.

— Léa, dit Clément sur son ton neutre habituel, tu devrais peut-être arrêter de jouer sur ton téléphone. Ce que dit cet homme est vrai.

Un frisson me parcourt l’échine. Clément ne parle pas beaucoup, mais il a toujours raison. Toujours. C’est pourquoi la seule chose qui me vient à l’esprit, c’est de le convaincre que l’homme est fou.

— Un type débarque sans prévenir, prétend qu’il vient d’une autre planète et que l’univers est menacé, et tu le crois sur le champ ? Tu ne penses pas que tu tires des conclusions un peu hâtives ?

L’homme se passe la main dans les cheveux et regarde autour de lui avec une crainte réelle. Clément, lui, reste calme mais l’observe. Non pas parce qu’il a écouté ce que je viens de lui dire, mais parce qu’il réfléchit. On m’a ignorée complètement. J’avise l’homme qui ne tient plus en place.

— Pour les toilettes, c’est la première porte à gauche, lui dis-je en lui désignant le lycée.

— Vous habitez loin ?

Je dévisage le fou, ahurie. Clément relève la tête. Non, ne fais pas ça. Tais-toi, imbécile. Clément, si tu entends mes pensées très insistantes envoyées par télépathie et que tu…

— Suivez-moi.

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