Chapitre 9

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  J’actionne le loquet de la porte pour nous enfermer à l’étage. Matthias lève un sourcil sans comprendre. Il doit penser que si la tempête doit détruire cette maison, ce n’est pas ça qui l’arrêtera. Le pauvre. Il est loin du compte.

— Asseyez-vous, dit Clément gentiment.

Le scientifique s’exécute, inquiet. Nous l’empêchons de travailler sur ses nouveaux outils. Nous lui donnons sans doute l’impression d’avoir abandonné, de réduire à néant les efforts de ce voyage exténuant.

— L’homme encapuchonné, comment était-il ? demandé-je.

— Je n’ai pas vu son visage. Si tu m’avais un peu laissé en placer une tout à l’heure, tu le saurais, j’ai failli te le dire.

— Désolée, dis-je en voyant le coup d’œil curieux de Clément. Nous pensons que… que vous êtes emprisonné dans une boucle temporelle, Matthias.

— Non, rectifie Clément. Pas une boucle temporelle. Une boucle spatiale.

— Ça existe, ça ? m’étonné-je.

Clément lève les yeux au ciel et poursuit.

— L’homme que vous n’avez pas reconnu, c’était votre double. Pensant sans doute comme vous qu’il venait seulement d’au-dessus. Et qu’il était entré dans le corps de l’un de mes doubles.

— Je ne vous suis pas.

C’est là que je me dis que Clément a eu une drôlement bonne idée de lui dire de s’asseoir, car il s’est depuis complètement affaissé sur le tabouret, ses bras pendant de part et d’autre de son corps. Il est complètement ahuri.

— Vous ne venez pas d’au-dessus, de notre point de vue. Puisque vous êtes avec nous dans le Matthias d’au-dessus. Notre Matthias d’au-dessus ne peut pas changer. Nous vivons en lui.

Plus Clément explique, et mieux je comprends moi-même. Du point de vue de Matthias, il est parti de sa planète d’origine et est descendu dans un corps. Sauf que ce corps n’était pas celui de Julien, originaire de la même planète que lui, mais d’un autre Matthias, venu d’ailleurs. Cet autre Matthias est donc notre Matthias du dessus, ce qui rend nos explications très complexes : notre point de vue n’est pas le même.

— Vous savez, dis-je pour couper court à tout ce creusage de cervelle malsain, on s’en fiche un peu. Vous finirez par comprendre tout seul. C’est trop compliqué pour que vous l’assimiliez avec notre aide, comme ça, en cinq minutes. En revanche, il y a quelque chose qu’on peut faire, maintenant qu’on a compris tout ça. Sauver le monde. Enfin, sauver cette planète. Pour le reste, on laissera Dominique se débrouiller. Un long voyage l’attend.

Matthias fronce les sourcils. Son instinct de scientifique l’attire indéniablement vers ce problème mathématique très intéressant. D’un autre côté… la cabane des poules est sur le point d’éclater. Et nous sommes les suivants.

— Dominique ? marmonne-t-il. Vous avez parlé de boucle spatiale. Cela signifie… que Dominique doit utiliser ces outils pour voyager dans un corps. Et si j’en crois ce qu’on m’a dit et ce que ce double encapuchonné pensait lui-même, nous devons lui faire croire qu’il doit voyager dans le corps de Clément, l’Omniscient. Qu’il comprendra tout lorsqu’il y sera. Mais nous l’enverrons dans mon corps à moi. Et lorsqu’il aura rencontré notre double d’en dessous, il… il saura qu’il doit à son tour l’envoyer dans son propre corps ?

Je souris. Ça y est, le temps s’est arrêté. En une fraction de seconde, pendant laquelle la fin du monde n’aurait eu le temps de s’achever, le cerveau de Matthias a tout analysé et tout compris.

— Mais d’où venait cet homme ? murmure-t-il avec fascination.

— Vous aurez tout le temps d’y réfléchir après la fin du monde, dis-je. Allez, on enchaîne.

Matthias se lève brusquement, et commence à s’affairer autour du cylindre. Il appuie sur un bouton et l’appareil s’ouvre en deux comme une capsule de cryogénisation venue tout droit d’un film sur le voyage dans l’espace.

— Allez le chercher et expliquez-lui tout ça. Je me souviens qu’il n’ont pas attendu dix minutes que je digère la nouvelle pour me faire partir. Nous n’avons plus de temps.

Clément et moi descendons les marches à toute allure. Dominique est assis dans son rocking chair, il se laisse glisser dans son mouvement répétitif, mais il nous regarde d’un œil vif, alerte. Dehors, les arbres sont déchiquetés et la route est devenue impraticable. Le 4x4 est secoué de tous côtés et se débat avec les éléments. On dirait un animal gigantesque, malmené, en détresse.

— Dominique, suivez-moi, dis-je. Vous seul pouvez sauver les univers.

L’homme interrompt le balancement de son fauteuil, et un éclat de peur luit dans ses yeux. Il se lève pesamment, cherche du regard les choses qu’il pourrait emmener.

— Vous savez bien que vous ne pourrez rien prendre.

Je ne savais pas Matthias et Dominique à ce point intelligents. Il a compris ce qu’on voulait faire de lui. Il ne pose pas de questions, mais il est terrifié. Je repense au Matthias arrivé devant notre lycée, pris d’une panique qui le faisait presque trembler des pieds à la tête. J’ai de la peine pour Dominique. Mon double d’en dessous… ou d’au-dessus ? ne va pas le ménager.

— Pouvez-vous m’en dire plus ? demande Dominique.

Nous l’amenons dans l’atelier, où Matthias a repris mon gilet, sans plus s’efforcer de tousser dedans. Merci bien.

— Le voyage dans la cellule d’un corps permet plusieurs choses, dit Clément. Tout d’abord, vous allez gagner du temps. Ce qui se passe à la surface de mes cellules est infiniment plus lent que ce qui se passe à mon échelle.

— J’en déduis que…

— Oui, vous allez voyager dans mon corps. Nous allons vous envoyer sur une cellule habitée, et vous allez devoir trouver un moyen d’arrêter la fin du monde depuis cet endroit. Il y a un risque fort probable que les catastrophes naturelles commencent à se déclencher en bas aussi. Cela signifiera qu’il ne vous reste plus beaucoup de temps. Essayez de vous faire accompagner. Vous devriez rencontrer nos doubles assez rapidement, ce ne sera pas un hasard. N’oubliez pas que je suis l’Omniscient, et mes clones le sont également. Il vous aidera.

Dominique hoche la tête. Il regarde avec crainte la capsule cylindrique que Matthias prépare pour lui.

— Nous vous faisons confiance, Dominique, dis-je. Ne vous inquiétez pas. Tout va très bien se passer. Et… quoi que vous dise mon double… n’y faites pas attention. Elle n’a pas encore compris qui vous êtes.

Le regard de Matthias, brillant, est fixé sur moi à travers le gilet. Je lui souris. Il se détourne, gêné, et s’active.

— C’est prêt, dit-il d’une voix rauque pour ne pas être reconnu par son double.

Dominique hésite brièvement, mais une branche épaisse jetée contre la fenêtre par la tempête le fait sursauter, et il se décide à grimper dans la capsule en grommelant. Matthias tient dans ses mains un tube translucide à l’extrémité duquel se trouve une aiguille. Il fait mine de s’approcher de Clément, se tourne vers Dominique et dit :

— Je vais verrouiller la machine. Bon voyage, Dominique.

L’homme a fermé les yeux. Matthias pousse la porte du cylindre, relève sa manche sur son bras et plante l’aiguille dans sa veine en grimaçant. Puis il pianote sur les boutons de l’appareil avec aisance.

— Et… voilà.

Une minute passe, dans le silence. Le vent est identique à lui-même. Puis se calme un peu, je crois. Matthias tend la main vers la machine, appuie sur le bouton pour l’ouvrir. Plus personne ne s’y trouve.

Je m’efforce d’avoir de l’entrain, même si pour moi, la fin du monde est encore là. Et le sera peut-être toujours.

— Très bien, Matthias… vous nous faites visiter votre nouveau chez-vous ?

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