Chapitre 10

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  Nous sommes assis sur le muret à l’extérieur du lycée. Devant nous, sur le trottoir, l’endroit où Matthias nous a trouvés. Je contourne cet endroit, à présent. Je préfère traverser la rue. Superstitieuse, moi ? Pas du tout. Seulement, lorsque je marche là… un frisson me parcourt l’échine, je me retourne, et je m’attends à voir un Matthias, mais pas le nôtre. Encore un autre, un que je ne connais pas. Et qui nous regarde paniqué parce que la fin du monde est proche.

— Je n’ai pas vraiment compris, tu sais, pourquoi la fin du monde s’est arrêtée.

Clément hoche la tête.

— C’est pourtant toi qui as élucidé le mystère. Et grâce à toi, Matthias est heureux comme jamais. Il redécouvre la vie. Non seulement elle est différente et ne le rend plus dépressif, mais le fait d’avoir failli mourir l’a réveillé complètement. Il renaît. C’est cool, non ?

— Oui, bien sûr. Je suppose que le scientifique qui a pris sa place en le forçant à voyager a lui aussi vécu ça. Et que nous avons offert à Dominique cette chance également. La chance de sentir sa fin proche… et puis de revivre. C’est un peu vache, quand on y pense.

— Tu me dis tout ça, et tu n’as toujours pas compris comment la fin du monde a été annulée ?

Il me jette un regard amusé, taquin. Mince, je crois que j’ai perdu ma contenance. Pourquoi m’a-t-il raconté ces histoires de couples de clones ? J’étais très bien, avant, à ne pas savoir. À ne pas l’envisager. C’est mon meilleur ami, bon sang. Garde ton calme, Léa. Et ton teint de visage normal.

— En fait, il n’y avait pas de fin du monde.

Je lève un sourcil, avec un air du genre : « Tu te payes ma tête ? ». Il éclate de rire. Il ne peut pas être sérieux. La fin du monde restera à jamais dans ma mémoire, au stade où je l’ai connue, qui était sacrément avancé. Il ne peut pas nier cela.

— Tu as remarqué comme tout allait bien avant l’arrivée de Matthias ? dit-il. Et puis, soudain, des catastrophes partout dans le monde. Qui nous suivaient où que nous allions. Qui se sont développées plus qu’ailleurs, à un endroit précis : Chinon. Tu as regardé le journal télévisé, non ? C’est à Chinon que tout a été le plus violent, à la fin. Parce que Matthias y était.

— J’ai toujours dit qu’il portait la poisse, maugréé-je.

— Tu n’y es toujours pas.

Je détaille les ouvriers qui réparent le trottoir détruit par le tremblement de terre, à quelques centaines de mètres d’ici. J’arrêterais bien le temps pour les observer un peu plus, mais c’est difficile en pleine conversation. Impossible, même. Clément est bien plus bavard qu’auparavant, et il y a du taff pour faire rentrer dans ma caboche tout ce qui devrait y être après ces événements. De toute évidence, j’ai zappé tout un tas de choses. On est tellement mieux dans l’ignorance, parfois. Non ?

— Dominique et Matthias, deux doubles d’un même corps, dans le même monde. C’est un paradoxe spatial.

— Oh ! Je vois. Tu reprends tous les termes des films sur le voyage dans le temps, et tu remplaces « temporel » par « spatial ». Malin.

Cette fois, il ne lève pas les yeux au ciel. Je l’amuse par tout ce que je dis. Il doit être de bonne humeur. Après tout, la fin du monde a été empêchée.

— Tu te souviens, quand Matthias est entré dans le 4x4 de Dominique ? Ils se sont regardés pendant un instant. C’est là que l’orage a éclaté.

— Mince. T’as raison…

— Plus Matthias se rapprochait de Dominique, plus il nous rapprochait de la fin du monde. Et je ne te parle même pas de l’éventualité où Dominique avait reconnu Matthias. Le ciel nous serait directement tombé sur la tête. La seule manière d’empêcher ça, même si je ne l’avais pas compris à ce moment, c’était d’envoyer l’un d’eux dans un autre monde.

— Eh, mais… on a envoyé Dominique dans un monde où il y avait forcément déjà un Matthias !

— Oui.

— Alors on a déclenché la fin du monde là-bas !

— Oui.

Je n’arrive pas à y croire. Nous sommes de parfaits imbéciles.

— T’en fais pas, leur Léa leur dira ce qu’il faut faire, ajoute Clément. Elles ont toutes tendance à réfléchir un peu trop.

Je fais mine de le pousser. Il rit. On est bien, en cet instant. Il fait ni trop chaud, ni trop froid. Et Clément a commencé à philosopher, pensif.

— Chaque scientifique voyage à l’intérieur de son prédécesseur… remplace son clone… trouve le bonheur et lui propose la même formule. Fin du monde, salvation, nouvelle vie. Un décalage massif, en profondeur, infini, d’une toute petite existence qui impacte chaque cellule touchée. Elle nous a impactés, nous aussi. Elle nous a un peu changés. Son existence.

De temps en temps, Matthias nous appelle de Chinon et nous raconte toutes ses aventures. La découverte des technologies que nous utilisons au quotidien, qui ont pour lui un autre nom ou sont totalement inédites. Ses nouvelles inventions. Ses rencontres avec des gens, en chair et en os. Il s’est ouvert au monde. Il voit des choses, simples et banales, qu’il ignorait auparavant parce qu’il n’avait plus de raison de vivre, il l’avait perdue en chemin. Un mécanisme psychologique étrange. Il a trouvé le bonheur.

Je me force un peu pour prononcer les prochains mots, parce qu’ils m’embarrassent. Mais je veux être sûre.

— Tu confirmes que toutes ces cellules habitées ne correspondent pas à différentes dimensions ?

— Je confirme.

— Que Dominique n’a pas remonté le temps et n’est pas identique en tous points à Matthias ?

— Je confirme.

— Que les Clément et les Léa n’ont pas un destin tout tracé visant à tous les mettre ensemble, sans exception ?

— Je confirme.

— Que… rien ne me force à t’aimer, et rien ne te force à m’aimer.

Il sourit très doucement, très gentiment, comme il le fait toujours avec moi. Il pousse une mèche de mes cheveux du bout des doigts, la glisse derrière mon oreille.

— Je confirme. Ce n’est pas le destin qui nous forcera à être ensemble. Mais, j’en ai bien peur…

Il se penche vers moi, très près, si près que…

— … le Clément d’ici n’est pas indifférent à sa Léa.

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