Chapitre 23

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- As-tu pensé à me ramener le cahier de Mathis, pour que je puisse lire sa dissertation ? demanda Gwenaelle.

- Oui. Et son père au moins est content de son travail. Il est venu me parler ce soir, alors que tu avais déjà commencé la tournée pour ramener les enfants. Tiens, le voilà.

Elle s’assit dans un fauteuil, une tasse de thé à la main, et commença la lecture du petit cahier dans lequel une écriture soignée couvrait plusieurs pages d’un texte plutôt dense.

L’étoile

Je suis né deux fois. Et à chaque une étoile a dû mourir pour que je puisse vivre.

La première fois ce fut lorsqu’une étoile bien plus grosse que le Soleil a explosé, avant la formation du système solaire. Le Big-Bang, c’est-à-dire l’origine de l’univers, n’avait engendré que des atomes trop petits, d’hydrogène et d’hélium. Cela ne suffisait pas pour former la matière vivante plus complexe. Le carbone et l’oxygène de nos cellules, le calcium de nos os, et le fer des globules rouges de notre sang, tous ces atomes ont été forgés dans la fournaise infernale d’une étoile géante. Elle était si grande, si chaude et bouillonnante, qu’elle a fini par exploser, éparpillant dans l’espace la matière qui la composait. Pendant quelques instants elle a brillé à elle seule plus fort que toutes les étoiles de notre galaxie. Plus que cent milliards d’étoiles. Elle était devenue une supernova. Et puis elle s’est éteinte. Mais c’est elle qui a permis la vie sur notre planète. Nous sommes tous un peu de poussière de cette magnifique étoile.

La deuxième fois, ce fut quand ma maman m’a donné naissance et qu’elle en est morte. Mon papa a assisté à ma naissance. Il m’a expliqué que cela arrive parfois, que personne n’y peut rien. Les battements de mon cœur faiblissaient, car l’accouchement était trop long, et ma vie était en danger. Alors la sage-femme a demandé à ma maman de mettre tout ce qu’il lui restait comme forces pour que je puisse sortir rapidement de son ventre, et être sauvé. Dans une unique seconde elle a concentré tout l’amour, toute l’énergie, toute la patience, tous les doutes et tous les espoirs, toutes les peurs et toutes les joies d’une vie entière qu’elle aurait dû passer avec moi, et je suis né. Pendant cette petite seconde, elle a brillé autant qu'une supernova, puis elle s’est éteinte elle aussi.

Mon papa était tellement triste de l’avoir perdue qu’il a dit qu’on devait rendre son corps à la nature le plus rapidement possible, et non l’enterrer. Qu’il ne pourrait jamais m’emmener plus tard sur une tombe dans un cimetière, que ce n’était pas un endroit pour un enfant. Alors elle a été incinérée, contre l’avis de mes grands-parents, et ses cendres ont été dispersées dans le vent au sommet d’une montagne qu’elle aimait.

J’ai découvert en classe, cette année, que les atomes de son corps sont partis dans l’atmosphère pendant son incinération, sous la forme de molécules d’eau et de dioxyde de carbone. Puis que ces molécules ont été absorbées par des plantes dans la nature. Et ils sont passées dans des animaux qui ont mangé ces plantes, et même dans d’autres humains. Les atomes sont éternels, et la nature recycle tout, même nous. Nous sommes tous mortels, car ce qui fait notre identité meurt. Mais nous sommes tous éternels, car nos atomes se réincarnent à l’infini dans d’autres formes de vie.

Maintenant, quand je regarde un oiseau dans le ciel, un arbre plié par le vent, un cheval qui galope dans son pré, une abeille sur une fleur, un simple brin d’herbe, ou les yeux bleus d’une de mes amies de l’école, je me dis qu’il y a peut-être des atomes de ma maman en eux. Elle n’est pas au ciel comme disent mes grands-parents, elle est partout, dans les milliards de formes de vie qui m’entourent. Et elle y restera, tant que notre planète dérivera tranquillement dans l’espace, et tant que je penserai à elle.

- Waouh !!! Tu penses qu’il a écrit ça tout seul ?

- Oui, je crois. Son père n’a pas dit qu’il l’avait aidé. Mais tu sais, il est physicien au CERN, à côté de Genève. Dans leur accélérateur de particules, ils tentent de recréer les conditions des quelques milliardièmes de secondes qui ont suivi le Big Bang. Il doit parler de son travail avec Mathis. Et il y a des journées portes ouvertes pour visiter leurs installations. Son fils doit baigner dans des histoires d’atomes et de Big Bang depuis qu’il est tout petit. Je crois aussi que Mathis est un enfant vraiment exceptionnel. Il s’intéresse à beaucoup de choses, mais comme il est très discret, on ne s’en rend pas compte facilement.

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