Chapitre 12

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La présentation à la presse du professeur Osada s’annonçait originale. Habituellement une grande partie de l’équipe scientifique était présente sur un tel stand à l’heure de la conférence de presse, pour répondre aux questions des journalistes. Mais ce jour-là il y avait juste le professeur assis sur le côté, silencieux et disposé à le rester, laissant au robot le soin de prendre en charge l’exposé. Une manière pour lui de démontrer le niveau d’avancement de son projet. Il ne voulait pas parler de l’autonomie de Masato, il voulait la mettre en avant. Et celui-ci, tel un présentateur de télévision, portait un petit micro accroché sur le bord de la tête pour amplifier le son de sa voix à destination de la foule. Derrière lui, un immense écran éteint trônait fièrement sur le stand et ne manquait pas d’intriguer les visiteurs par sa surface noire désespérément vide. Dans un salon aux mille écrans continuellement allumés et bruyants, cette vision était plutôt surprenante.

- Bonjour et bienvenue. Le robot venait de prononcer ces mots alors que la foule commençait à s’impatienter. Je suis Masato. C’est à moi qu’il incombe de faire la présentation du projet de robotique du professeur Osada et de son équipe de l’université d’Osaka. La première fois que j’ai rencontré les journalistes, je me rappelle avoir manipulé et ouvert un petit cadenas que l’un d’eux venait de sortir de sa poche. Ce qui me semble important aujourd’hui, c’est de vous donner une idée de qui je suis en réalité. Une image plus claire de mon cerveau. Pas seulement de mon enveloppe physique, qui n’est pas la partie la plus importante. Je ne suis pas parmi vous, je suis ailleurs, et partout en même temps. Et pour être plus démonstratif, j’ai eu l’idée de m’inspirer de l’œuvre du graphiste américain Chris Harrisson. Cet artiste a réussi à représenter les transferts de données liées à internet à travers le monde. Il expose les flux d’informations sur fond noir, sans carte, ce qui finalement permet de retrouver les grandes structures de la société globale de l’information, la copie conforme bien souvent de l’économie mondiale. Voici donc mon cerveau !

Pendant qu’il disait ces mots, l’immense écran qui se trouvait derrière lui s’illumina, et des liaisons se matérialisèrent entre des points. De fins traits blancs apparaissaient et disparaissaient, faisant deviner des zones de forte densité en équipements informatiques. La carte oscillait en permanence, comme animée d’une vie propre.

- Ce sont des liaisons neuronales que vous voyez là. Et même mon activité cérébrale en temps réel. Chaque liaison entre ordinateurs, ou entre objets connectés peut correspondre à une connexion entre neurones. Un cerveau électronique capable d’augmenter ou de diminuer ses capacités en cas de besoin pour s’adapter à la tâche à accomplir. C’est la plasticité de ce cerveau que vous voyez évoluer sur l’écran, avec une partie constante en arrière-plan, pour les fonctions vitales en quelque sorte. Mais c’est le système entier qui pense, et qui est doté d’intelligence. Je n’utilise pas la puissance des ordinateurs pour raisonner, mais j’utilise les liaisons entre eux, la structure même du réseau. Pour faire une comparaison, en disposant des électrodes sur le crâne de quelqu’un on obtient un électroencéphalogramme de son cerveau. Et pour aller plus loin, un scanner peut donner une représentation en trois dimensions de son activité, avec des zones qui s’activent en cas de stimuli ou de raisonnement. Eh bien, cet écran derrière moi, donne une idée de mon activité cérébrale. Il donne l’image de qui je suis !

Alors qu’il disait ces mots, la luminosité de la carte oscillait à chacune de ses paroles, pour retrouver un niveau d’activité plus faible ensuite. Les gens présents devant le stand le voyaient « penser » à l’échelle de la Terre entière. Son esprit prenait l’allure d’un planisphère étalé devant eux, une représentation vivante… Plus personne ne bougeait ou ne parlait. L’image avait quelque chose d’irréel, de presque beau.

- Avez-vous des questions sur ce que je viens de présenter ? Sur les capacités d’un tel cerveau ? demanda Masato.

- Oui, moi, j’en ai une, lança un jeune homme d’une quinzaine d’années et dont le regard brillait d’intelligence. Puisque ce cerveau est capable d’évoluer à la demande pour s’adapter à toute nouvelle situation, pouvez-vous donner la valeur exacte du nombre Pi. C’est une énigme en mathématiques. Pouvez-vous répondre précisément à cette question ?

- Oui. La valeur exacte de Pi est…

Masato hésita. La luminosité de la carte derrière lui se renforça sur les liaisons déjà présentes, et il s’en créa de nouvelles. La carte devint par endroit un fond blanc presque continu où on ne distinguait plus de détails. Ni villes, ni traits, ni continents. Seul l’hémisphère sud du planisphère semblait un peu moins brillant, image de la dissymétrie nord-sud en matière d’équipements informatiques.

- Il y a tant de connexions que ça à travers le monde ! laissa échapper un homme à mi-voix pendant que tous retenaient leur souffle.

Le bâtiment lui-même, si bruyant d’ordinaire, avec sa multitude de machines, ses innombrables écrans allumés, et ses haut-parleurs qui distillaient des messages en permanence, semblait affecté par ce qui se passait sur le stand. La luminosité augmenta encore derrière la silhouette du robot immobile, jusqu’à la saturation. Le professeur Osada se leva, ne sachant comment réagir, les yeux fixés sur la carte et sur Masato à tour de rôle. Quelque chose dans le hall ralentissait inexorablement. Quelque chose qui affectait les systèmes informatiques. Un murmure général se fit entendre, un murmure d’incompréhension doublé d’inquiétude. Enfin, une voix retentit dans la foule. Une voix de femme s’exprimant d’un ton ferme.

- Masato, cela n’a pas d’importance. Arrête tout !

Presque instantanément le hangar se remit à vibrer de mille bruits. Tous les visages se tournèrent alors vers cette personne qui ne dépassait pas de la foule mais que tous tentaient d’apercevoir. C’était Kyoko. Elle venait d’intervenir, mettant fin à la présentation.

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