Chapitre 11

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Les jardins de l’université d’électro-communication Denki-Tsūshin Daigaku, dans la préfecture de Tokyo étaient remplis de visiteurs de tous les pays ce jour-là. Le jour de la grande rencontre annuelle consacrée à l’innovation et à la robotique de la ville de Tokyo. L’équipe du professeur Osada avait fait le déplacement pour présenter les progrès de son projet à la presse et à ses confrères du monde entier.

Kyoko en avait profité pour retrouver une de ses amies d’enfance dans le parc de l’université. Julie, une jeune française qu’elle avait connue à Paris au lycée, plusieurs années auparavant. Julie était en visite au Japon avec son mari, et elle était restée quelques jours de plus dans la capitale japonaise pour revoir Kyoko. Les deux amies avaient décidé de se retrouver dans le parc, à l’écart des bâtiments.

- Alors c’est lui, ton fameux robot surdoué.

- Oui, je te présente Masato. Mais il est bien plus qu’un robot pour moi. Il est devenu un ami.

- Un ami ? Vraiment ?

- Bonjour Julie.

- Bonjour Masato. Je suis contente de faire enfin ta connaissance. Kyoko m’a tellement parlé de toi. À en oublier presque qu’elle existe elle aussi.

- Merci. Moi aussi je suis heureux de te connaître. Les amis de Kyoko sont importants pour moi.

- Voyez-vous ça, dit-elle d’un ton à la limite de la raillerie.

Julie n’était pas venue pour rencontrer Masato, mais pour retrouver Kyoko, son amie d’enfance. Et surtout pour lui montrer son bébé. Un petit garçon de quatre mois tout rose et blond qu’elle tenait dans ses bras et qui se prénommait Paulin.

- Il est si mignon, s’extasia Kyoko sous le charme.

- Oui, il est adorable, et plein de vie ! Difficile de dormir quand on est de jeunes parents. Il est tout à fait charmeur quand on s’intéresse à lui et quand il est dans des bras. Mais les nuits, c’est autre chose. Il n’arrive pas à s’endormir facilement. Et quand il dort ce n’est jamais pour longtemps. Maxence et moi, on en peut plus. On avait prévu ce voyage au Japon depuis longtemps, et je voulais vraiment te montrer Paulin. Mais on s’est demandé plusieurs fois si on ne ferait pas mieux de rester chez nous, pour nous reposer un peu pendant les vacances. Et puis nous voilà, et je suis si heureuse de te revoir.

Les deux amies se mirent à discuter longuement de tout ce qui était arrivé dans leurs vies depuis leurs années de lycée. Paulin semblait à nouveau fatigué et agité. Julie décida de le reposer dans son berceau pour qu’il dorme un peu. Masato se tenait à l’écart et suivait la discussion de loin, le regard fixé sur le bébé.

- Je voudrais te demander quelque chose ? finit-il par dire à Julie, l’interrompant dans sa discussion.

Julie, intriguée, se tourna vers Kyoko pour l’interroger du regard.

- Ne me regarde pas comme ça, dit Kyoko. Je ne sais pas ce qu’il veut.

Julie fixa le robot et lui dit, un peu gênée : Oui, quoi ?

- Est-ce que je peux prendre Paulin dans mes bras, s’il te plait ? Je sais que cela peut faire peur, s’empressa-t-il de dire. Et je comprendrais très bien que tu refuses. Mais il ne lui arrivera rien.

Julie devint blanche. À nouveau elle chercha le regard de son amie. Et Kyoko décela de la peur dans ses yeux.

- Je pense que si Masato affirme qu’il ne lui arrivera rien, tu peux lui faire confiance. Tu sais, il est doté des mêmes caractéristiques de motricité fine que nous, et ses gestes sont sûrs. Mais c’est toi qui vois, bien sûr. C’est ton enfant et non le mien.

- Mais quand même, c’est un bébé… En plus, en ce moment il est très agité. Depuis tout à l’heure il n’arrête pas de bouger dans son berceau. Je ne sais pas si c’est raisonnable.

Julie était pâle et vraiment effrayée. Mais Kyoko lui avait dit tellement de bien de Masato qu’elle hésitait, ne sachant que répondre.

- Tu peux le placer dans mes bras pendant que je suis assis sur le banc. Comme on fait pour mettre un bébé dans les bras d’un enfant pour la première fois, dit Masato.

Après encore quelques instants d’hésitation Julie prit Paulin avec une infinie délicatesse. Et comme une leçon de précautions adressée par ses gestes au robot, elle le déposa sur ses avant-bras, tout doucement.

Masato ne bougeait pas. Il laissait l’enfant s’habituer à son contact.

- Je crois savoir pourquoi il ne dort pas bien. Je peux ? Il venait de placer son autre main sur le bébé et il le retourna délicatement en le faisant basculer avec beaucoup de précautions le long de son corps.

- Doucement, dit Julie dans un gémissement presque douloureux à la vue du bébé manipulé par le robot.

Paulin, qui était encore bien agité, commençait à se calmer peu à peu.

- Tu vois, quand je le tiens comme cela, sur le ventre, avec les bras et les jambes de chaque côté de mon avant-bras, cela va mieux il me semble. Il faudrait le montrer à un ostéopathe pour savoir s’il n’a pas un problème à la clavicule. Cela pourrait expliquer ses problèmes de sommeil. Je l’ai observé, ses gémissements et ses plaintes semblaient indiquer un problème à l’épaule gauche.

- Comment peut-il savoir cela ? demanda Julie en se tournant encore une fois vers son amie.

- Demande-lui, je n’en sais rien moi.

- Et bien je ne suis pas kiné, ni médecin, mais j’ai accès à toutes les données médicales du réseau. Cela peut aider dans certains cas. Et je l’ai observé un bon moment pendant que vous discutiez.

Le bébé était maintenant complètement détendu et apaisé sur son bras.

- Je peux me lever et faire quelques pas avec lui ? Pour qu’il s’endorme.

- Ou-oui, dit Julie encore incertaine.

Masato se leva lentement, le bébé sur son avant-bras, l’autre main délicatement posée sur son dos pour le maintenir pendant qu’il se levait. Julie tendait ses deux mains autour de Paulin, à quelques centimètres de lui, comme pour le retenir en cas de chute. Mais elle dut se rendre à l’évidence, les mouvements de Masato étaient très doux et mesurés. Il y avait presque de la tendresse dans ses gestes, ce qui la surprit. Elle se redressa tout à fait, laissant ses propres bras redescendre le long de son corps, confiant ainsi totalement l’enfant aux soins du robot. Masato fit quelques pas autour du banc en berçant l’enfant pour l’endormir complètement, sous le regard des deux jeunes femmes. Le petit corps semblait complètement abandonné. La joue écrasée par le poids de sa tête sur le carénage noir formé de fibres de carbone. Sa bouche était entrouverte. Ses lèvres roses et charnues laissaient échapper un petit filet de bave. Il était dans un profond sommeil à présent.

- Tu vois, Masato est quelqu’un de surprenant, dit Kyoko.

- Ah ça, oui ! Si on m’avait dit qu’un jour mon bébé s’endormirait si facilement dans les bras d’un robot en train de se promener dans un parc, je ne l’aurais pas cru. Vous avez fait un sacré boulot avec ton équipe.

Ils n’étaient pas les seuls à observer la scène. Un journaliste américain, spécialiste des nouvelles technologies, était là pour couvrir la foire. Il prenait l’air dans le parc entre deux présentations. Et il avait assisté de loin à la scène. Quand il avait vu la mère prendre son bébé et le déposer dans les bras de ce jeune homme étrange, il avait saisi son appareil photo pour zoomer dessus. Et il avait été surpris de constater que c’était en réalité un robot. Quand celui-ci s’était levé et avait fait quelques pas avec l’enfant en train de s’endormir sur son avant-bras, il avait mitraillé la scène en continu. Aucun détail ne lui avait échappé. Ni les gestes si attentionnés du robot, ni le petit filet de bave du bébé totalement endormi sur le membre synthétique qui contrastait si étonnement en gros plan avec la chaire rose, rouge, et si délicate du petit d’homme.

« Voici un pas de plus dans l’évolution ! » pensa-t-il, en zoomant avec son appareil pour saisir dans les moindres détails cet instant si particulier.

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