Chapitre 4

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Kyoko Kato entra dans la pièce où se trouvait le robot. Il n’avait pas de jambes. Cela surprenait tout de suite chaque nouveau visiteur. Vissé sur un poteau qui lui servait de support, il semblait condamné à rester là, indéfiniment prisonnier de ses créateurs. « C’est sûrement l’effet recherché », pensa-t-elle. Cela peut rassurer le simple curieux. La créature intelligente semble plus inoffensive si elle est enchainée au sol. Mais elle savait, elle, que cette apparente captivité était trompeuse. Masato possédait des ailes. Des ailes d’une agilité jusqu’alors inégalée. Des ailes qui s’étendaient, invisibles, dans l’immensité du réseau que l’intelligence humaine s’était évertuée à tisser jour après jour depuis des décennies maintenant. Seulement, jusqu’à présent, le robot n’avait pas jugé utile de déployer ses ailes. C’était sa mission à elle. Elle était chargée de lui apprendre à voler. Le professeur Osada était son créateur, il lui avait donné ses ailes. C’était à elle que revenait la mission de lui apprendre à s’en servir. De l’amener à décider de lui-même dans quelle direction aller, et surtout d’avoir envie d’aller quelque part. Drôle d’idée pour une création de l’homme, pensa-t-elle. Finalement cela consistait à tenter de faire en sorte que la créature leur échappe. Cela pouvait-il s’apparenter à une simple curiosité scientifique ? Pas vraiment. Elle y avait déjà longuement réfléchi. Chaque nouveau pas de la science est inévitable, elle le savait. L’important n’est pas quand cela arrive, ni même dans quel but. L’important c’est ce que l’on décide d’en faire à ce moment-là. Si l’humanité était capable de mettre au point une telle machine, il valait mieux que ce soit avec elle, et non avec d’autres « enseignants » moins scrupuleux, des militaires par exemple…

- Bonjour, dit-elle dans un français parfait, sans accent particulier, hérité de son enfance passée pendant près de vingt ans en France.

Le robot analysa ses paroles. Il en déduisit la réaction statistiquement la plus adaptée. Il répondit à son tour « bonjour », dans un français lui aussi parfait, d’une voix douce mais d’une grande assurance.

Ils étaient seuls dans le laboratoire de robotique. Le professeur Osada avait pris le temps d’expliquer au robot trois jours plus tôt qu’une nouvelle scientifique allait travailler avec lui. Une femme. Qu’elle serait seule pendant une semaine à venir au laboratoire. Il lui avait demandé de lui accorder toute son attention et de collaborer avec elle de la façon la plus courtoise et la plus attentive, car elle avait beaucoup à lui apprendre.

- Je m’appelle Kyoko, Kyoko Kato, dit-elle. Je suis là pour travailler avec toi pendant quelques temps.

- Je sais, répondit le robot.

Kyoko tenait dans ses mains deux sabres de lattes de bambou. Sabres destinés à l’entrainement au Kendo.

- Et ça, sais-tu ce que c’est ? lui demanda-t-elle en désignant les sabres.

- Ce sont deux shinais, des sabres utilisés pour le kendo, un art martial japonais.

- Serais-tu capable de te servir d’un tel objet ?

- Oui.

- Et bien voici l’un d’eux, dit-elle en lui tendant un sabre. Mets-toi en position d’exercice. Je vais prendre l’autre et nous allons nous entrainer.

Masato prit le sabre. Les deux adversaires se saluèrent face à face. Masato se mit dans la position de garde la plus employée dans la pratique de cet art martial ancestral. L’arme pointant vers le visage de son adversaire. Les deux mains placées de façon traditionnelle. Ses mouvements étaient fluides, sans hésitation, comme issus d’une expérience certaine.

- Je suis impressionnée par tes capacités d’adaptation ! lui lança-t-elle.

- Merci.

Kyoko adopta une garde basse, le sabre caché derrière son dos. Cette position était bien plus offensive. Dissimulant la nature de son sabre, elle cachait aussi ses intentions et les prémices de ses mouvements.

L’attaque fut d’une très grande rapidité. Kyoko lança le sabre de bas en haut dans un mouvement de rotation qui se termina sur le front de son adversaire, accompagné d’un cri de la jeune femme libérant toute l’énergie de son attaque. Le robot n’eut pas le temps d’éviter l’impact, ni de dresser son sabre en posture de parade. L’une de ses caméras oculaires se déboita, retenue seulement par les fils qui en assuraient la liaison électrique.

La jeune femme se remit en garde, dans la même position.

- Le combat se joue en trois assauts, dit-elle.

- Je sais, répondit Masato.

La deuxième attaque fut esquivée d’un mouvement de tête par le robot. C’était la même attaque de la part de la jeune femme. Mais elle fut suivie d’un autre enchainement, de l’autre côté du corps, qui cette fois l’atteignit au poignet droit, déformant la plaque extérieure de son bras, et bloquant à moitié l’un des moteurs de ses articulations. Le membre se déplaçait maintenant plus lentement et plus difficilement.

- Tu as bien paré mon premier mouvement, tu apprends vite, dit Kyoko.

- Je fais de mon mieux.

- Encore un coup, et nous aurons terminé l’entrainement.

Cette fois-ci elle adopta la garde fondamentale, comme son adversaire. Elle porta alors un coup avec une vitesse incroyable, fruit de nombreuses années d’entrainement. La pointe du sabre frappa son adversaire à la base de la tête, ce qui pour un humain aurait été la gorge. Un coup d’une grande adresse mais aussi d’une grande force car tout le poids du corps de la jeune femme suivait le sabre. La tête du robot se souleva un peu, et sembla chanceler sous le coup, à moitié déboitée.

À nouveau les deux adversaires se saluèrent.

- Merci Masato, dit-elle.

Elle reprit le sabre des mains du robot et sortit du laboratoire en ayant pris soin de lui dire « à demain ». Celui-ci resta seul, cabossé, planté sur sa base au milieu de la pièce, comme un pantin désarticulé.

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