Chapitre 3

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- Voilà l’état de nos recherches, mademoiselle Kato, dit le professeur à la jeune femme assise en face de lui dans son bureau de l’université.

- Et qu’attendez-vous clairement de moi, demanda-t-elle. Votre programme est déjà le plus avancé qui soit de toutes les universités de la planète.

- Je pense que Masato représente un nouveau maillon de l’intelligence artificielle, mais il lui manque quand même quelque chose. Il réalise avec efficacité et logique à peu près tout ce que nous lui demandons, mais c’est tout ! Si personne ne lui demande rien, il ne fait rien ! Il ne s’exprime pas de lui-même par exemple. Qu’aurait-il à dire d’ailleurs ?

- Drôle de raisonnement. Vous rendez-vous compte de ce que cela implique ?

- Je sais que cela représente un énorme pas en avant.

- Cela représente l’autonomie totale. Il serait l’égal d’un être vivant à part entière. Capable d’émotion, d’envies, et même de désir…

- Oui. En effet.

- Avec des possibilités presque illimitées d’accès à l’information, et même à l’action puisque son cerveau est le réseau mondial lui-même.

- Oui. Sachant cela allez-vous quand même accepter de travailler avec nous sur ce projet ?

- En venant ici j’avais déjà accepté de rejoindre votre projet, vous le savez bien. Quelque chose me gêne cependant. Je n’ai pas une confiance aveugle en la science. Bien au contraire. La science promet beaucoup, mais elle a sa part d’obscurité. Si je vous comprends bien, vous voulez déposer la mémoire entière de l’humanité, ainsi qu’un pouvoir d’action quasi illimité entre les mains d’une forme nouvelle d’intelligence artificielle. Et en plus vous voulez la rendre autonome ! Que va-t-elle en faire ? L’idée même d’un tel pouvoir entre les mains d’un être humain est déjà terrifiante, alors entre celles d’une intelligence artificielle ?

- C’est là que vous intervenez.

- C'est-à-dire ?

- Puisque nous butons dans le pas suivant vers l’autonomie et la conscience, nous faisons appel à vous, ce sera à vous de gérer cette nouveauté dans l’histoire de la science.

- Vous m’en laissez la responsabilité ?

- J’ai confiance en vous !

- Mais vous ne me connaissez à peine. Comment pouvez-vous parler de confiance à mon sujet ?

- Je vous connais suffisamment, ne vous inquiétez pas pour ça. Vous êtes jeune. Ce monde est le vôtre, c’est de l’avenir que nous parlons ici. Si Masato doit grandir auprès de quelqu’un et accéder à la maturité, c’est à vos côtés que ce sera le mieux. Et puis, dans tout acte de création il y a une part de folie. Sans cela rien ne se ferait de nouveau en ce monde. Le monde est en perpétuelle évolution. Vous êtes, vous et lui, cette évolution. Et si cela peut vous rassurer j’ai installé des protections dans le code source de Masato pour le neutraliser en cas de besoin, si la situation nous échappait.

- Des protections dans un tel projet ? Vous savez comme moi qu’elles ne seront jamais efficaces à cent pour cent. Si sa personnalité évolue de manière inattendue et que son niveau d’autonomie est déjà assez grand pour nous distancer intellectuellement, il comprendra et supprimera vos protections. Que ferons-nous alors ?

- Et bien nous n’avons pas le choix je pense. Il faut faire de Masato un être équilibré, quelqu’un de bien en quelque sorte. Je vous demande de travailler en ce sens. C’est votre mission, vous qui avez un regard neuf sur le projet, vous qui êtes jeune et qui avez déjà travaillé avec intelligence et succès à réparer des humains, en respectant justement cette part d’humanité.

- Merci de votre confiance professeur… peut-être n’est-elle pas amplement justifiée ?

Il y eu un long silence dans le bureau. Chacun réfléchissait de son côté.

Puis, Kyoko reprit la parole.

- J’accepte de toute façon. Mais j’y mets des conditions. Je veux l’approcher seule, pendant une semaine entière. Sans interactions avec d’autres personnes de l’équipe. Juste pour le premier contact. Après, bien sûr, je travaillerais avec tout le monde. Et une deuxième chose aussi, je veux pouvoir lui parler en français.

Le professeur réfléchit un instant.

- C’est entendu. Vous devrez dans ce cas patienter une semaine avant de commencer votre travail. Je mettrais toute l’équipe du labo en congé pour la semaine suivante. Vous aurez ainsi le champ libre. Pour le français, Masato sera capable de le comprendre assez rapidement de lui-même. En attendant, étudiez en détails l’avancement de nos travaux avec les gens du labo mais sans entrer en contact avec lui.

La jeune femme se leva, elle salua son nouveau chef de projet, ainsi que son assistant, et elle sortit de la pièce.

- Drôles d’idées professeur, dit Takumi resté seul avec le vieil homme. Aborder seule le robot, et lui parler en français. C’est original.

- Je vous avais dit qu’elle apporterait du sang neuf dans cette aventure. Eh bien voilà, c’est fait. Cela prouve qu’elle avait déjà réfléchi à la manière de s’y prendre avant notre entretien, et qu’elle savait parfaitement ce qu’elle faisait en venant ici.

- Je l’espère, professeur.

- Vous verrez que je ne me suis pas trompé sur son compte.

- Je l’espère aussi. Sinon les conséquences de notre travail pourraient bien être désastreuses !

- Nous n’avons pas le choix, si nous voulons continuer, cela doit bien se passer. Et nous devons continuer. Le progrès n’est pas ce que l’on décide au moment où on le décide. Le progrès arrive à un moment donné quand la réalité est disposée à l’accueillir. Quand le monde est mûr pour cela.

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