Chapitre 2

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~ POINT DE VUE JOHN ~

— Qu’est-ce que tu veux dire ? demandais-je.

Je la vois passer ses mains sur son visage. Ses traits sont tirés. Je sais que ce n’est pas facile pour elle mais je me dois de lui poser ces questions. Je ne peux pas me permettre qu’elle se doute de quelque chose. Si elle était au courant, ça sonnerait la fin de notre histoire et je ne veux pas la perdre.

— Je veux juste que tu m’expliques ce qui se passe. Qu’est-ce qui recommence ?

— Il y a dix-sept ans, deux hommes ont braqué mon frère et notre voisin juste devant chez mes parents. Ils ont demandé à mon frère de monter dans leur voiture, mais il a refusé. Ils l’ont forcé à entrer, mais il s’est défendu et il a reçu un coup sur la tête. Le voisin a essayé de l’aider, mais l’un des deux hommes lui a tiré dessus et il s’est effondré. En entendant mes cris, il m’a tirée dessus … il s’est approché de moi pendant que l’autre mettait mon frère dans le coffre de sa voiture. Il avait un couteau ensanglanté dans une de ses mains et il a commencé à déchirer mon t-shirt. Je me souviens qu’il m’ait dit qu’il était désolé et je voyais la pointe de la lame s’avancer sur moi. T’imagines … un mec sur le point de t’ôter la vie te dit qu’il est désolé.

— Peut-être qu’il essayait de t’amadouer.

— Non … J’ai bien vu dans son regard qu’il était vraiment désolé. On aurait dit qu’il était perdu.

— Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

— J’ai vu mon père se battre avec l’autre homme, mais il a eu un moment d’inattention quand le coup de feu a retentit et il en a profité pour s’enfuir avec la voiture. Puis, ma mère est sortie de la maison, arme à la main. Jamais je ne l’avais vu comme ça et pourtant je lui en ai fait voir de toutes les couleurs mais là … elle avait sorti les griffes. Elle a demandé plusieurs fois à cet homme de s’écarter … je pense qu’elle l’aurait épargné s’il avait fait ce qu’elle lui avait demandé. Quand mon père est arrivé à côté de nous, il avait des entailles sur le visage et les bras. Il était franchement pas beau. Ce jour-là, j’ai failli y rester …

— Et ton frère ?

— Il est introuvable. Pourtant, mon père a fouillé toute la ville des centaines et des centaines de fois.

Je vois qu’elle me regarde, ses yeux sont rouges et je sens qu’elle se retient de pleurer. Je sais que pour elle, pleurer c’est comme s’excuser, c’est un signe de faiblesse mais il faut savoir lâcher prise quand il faut.

— Pourquoi il dit « depuis toutes ces années passées à ruminer dans ma toute petite cellule » ?

— Mon père... l’a coffré. J’étais dans une chambre à l’hôpital à me remettre doucement … quand il a essayé de me tuer. Mon père a tout fait pour qu’il prenne le maximum, m’expliqua-t-elle.

— Si ton père l’a coffré, il a dû parler non ?

— Il n’a jamais parlé.

— Et comment ce malade a su où te trouver ? lui demandais-je.

— Il a toujours été très bien renseigné. Je ne veux pas que tu te mêles de ça, m’ordonna-t-elle.

— Tu réalises le problème là … ce mec veut ta peau.

— C’est mon problème, me dit-elle.

— A partir du moment où ça te touche ça devient aussi le mien.

— Je ne crois pas.

— Nicole …

J’essaie de lui exposer mon point de vue mais je sais que dans la même situation, je réagirais pareil. Ne pas mettre en danger les personnes auxquelles on tient, c’est notre règle d’or. Je décide de lâcher l’affaire pour le moment mais je vais devoir en parler avec Mark. Il est le seul à pouvoir m’aider.

— Comme tu voudras.

Elle se lève du canapé et va dans la chambre pour se changer je suppose. Je ramasse la boîte et pense aux mensonges que je lui cache depuis dix-sept ans. Je vais devoir lui dire la vérité, ce n’est qu’une question de temps maintenant.

Dix minutes plus tard tout au plus, on est habillés et nous remontons dans la voiture pour aller au commissariat.

Le silence règne durant le trajet. Arrivés au commissariat, elle passe devant tout le monde sans s’arrêter et ferme la porte de son bureau. Je décide de faire la même chose mais Stéph me suit.

— Ça ne s’est pas bien passé ? demande Stéph.

— Si, elle a dit oui.

— Alors pourquoi vous tirez la gueule ce matin ?

— On est passés à l’appart pour se changer et on a trouvé la porte fracturée, expliquais-je.

— On vous a pris quelque chose ?

— Non, mais... on a eu un petit cadeau.

— De quel genre ?

— Une boîte en carton, répliquais-je.

— J’imagine que c’était pas pour vous féliciter. Y’avait quoi dedans ?

— Un cœur humain.

— Humain ? … un vrai cœur humain ? s’exalte Stéph.

— Oui un vrai cœur humain et il était adressé à Nicole.

— Et qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

— Elle m’a raconté pour l’enlèvement de son frère.

— Ouais elle m’a raconté mais elle ne m’a pas dit ce qu’elle avait reçu hier.

Je me lève de mon fauteuil.

— Où tu vas ?

Je ne l’écoute pas et je vais directement à l’accueil voir Greg.

— Tu sais ce que le livreur a apporté à Nicole, hier ?

— Je n’ai pas vu ce que c’était, mais elle était bizarre après avoir regardé dedans.

— Bizarre comment ?

— Je sais pas on aurait dit qu’elle avait vu un fantôme ou quelque chose dans le genre.

Ok, elle en a reçu un hier aussi et elle me l’a caché.

Je le remercie et vais dans le bureau du commissaire qui est en dehors de ces murs, mon beau-père.

— Il faut qu’on parle.

— Bonjour John, me dit-il, en faisant mine de rien.

— Ouais, on a un problème.

— Qu’est-ce que vous avez encore fait ?

— Rien, rétorquais-je.

Je ne lui en veux pas d’avoir posé cette question étant donné qu’avec Nicole et Stéph on lui en a fait voir des vertes et des pas mures mais la situation est grave. Si on n’agit pas rapidement, il va y avoir des morts.

— Alors, c’est quoi le problème ?

— Y’a un malade qui s’amuse à terroriser Nicole.

— Qu’est-ce qui pourrait bien la terroriser ? se moque-t-il.

— Un cœur humain dans une boîte en carton, par exemple.

Il ne répond pas tout de suite.

— Ta blague n’est pas drôle, dit-il en retrouvant l’usage de la parole.

— Je ne rigole pas. Je pense que c’est la deuxième fois qu’elle en reçoit, affirmais-je.

Il me regarde sans prononcer un seul mot.

— Il y avait un message dans celui de ce matin, continuais-je.

— Un message ?

— Il s’est évadé de prison.

— Personne ne m’a prévenu.

— Faut croire qu’ils t’ont oublié, lui dis-je, de façon ironique.

— Ce n’est pas amusant. Un type comme ça dans la nature, c’est comme si on envoyait quelqu’un au suicide … je vais prendre les dispositions nécessaires.

— Donc tu comptes faire quelque chose ?

— Est-ce que tu es sûr que c’était Chris ? Tu as des preuves ?

— Tu sais très bien qu’il ne laisse jamais de trace derrière lui.

— Je ne peux rien faire tant que tu ne me donnes pas de preuve.

— Pas besoin de preuve, je sais que c’est lui. Il a laissé un message, il le dit clairement. Les cœurs dans des boîtes, c’est sa signature et tu le sais.

— La prison ne m’a pas signalé son évasion, pour moi il y est toujours.

Je ne comprends pas ce qu’il veut de plus. Ca lui coûte quoi de passer un coup de fil pour s’assurer qu’il est toujours en cellule ?

— Tu ne veux pas comprendre hein ? C’est pas grave, je vais me débrouiller.

Je sors du bureau et rejoins le mien en fermant la porte. J’appelle Mark, il n’y a que lui qui peut m’aider. Il connaît mon histoire, c’est le seul d’ailleurs.

Après plusieurs sonneries, il répond.

— Bonjour, Mark.

— Salut … qu’est-ce qui me vaut l’honneur ?

— Désolé si je te dérange, mais il faut que je te parle …c’est très important.

— Je t’écoute.

— Tu pourrais venir au bureau ?

— J’arrive.

Je raccroche et attends qu’il arrive, en tournant en boucle dans mon bureau. Il va péter un câble quand il va savoir.

— Qu’est-ce qui se passe ? interrogea-t-il en entrant.

Inutile de tourner autour du pot, ça nous fera perdre du temps et on ne peut pas se le permettre.

— C’est Chris … il est revenu.

— Il est en prison.

— Non, il est sorti, lui dis-je, en retournant la boîte sur mon bureau.

Quand il voit ce cœur, il blêmit.

— Où tu as eu ça ?

— C’était sur la table basse du salon, ce matin. J’ai fait comme si je ne savais rien, mais elle ne veut rien entendre. Je n’ai pas envie que ça recommence. Il y a eu assez de morts comme ça la dernière fois.

— Où est-ce qu’elle est ?

— Dans son bureau, lui répondis-je, inquiet.

— Je vais aller la voir.

Il sort du bureau pour se rendre dans celui de Nicole. J’espère qu’elle ne m’en voudra pas mais je fais ça pour elle. Elle va le chasser et quand elle l’aura trouvé, il va la tuer. Je ne pourrais pas vivre avec ça sur la conscience.

~ POINT DE VUE MARK ~

Je tourne le verrou et entre. Je ne prends pas la peine de frapper. On n’a pas de temps à perdre.

— Je ne veux pas être dérangée, combien de fois faudra-t-il que je le répète ? me dit-elle.

Je la sens vraiment en colère.

— Une seule fois.

Elle lève la tête et vois que c’est moi.

— Ah, c’est toi.

— Tu t’attendais à voir quelqu’un d’autre ?

— Pas forcément mais bon … John n’est pas du genre à lâcher l’affaire aussi facilement.

— Il m’a appelé.

— Et qu’est-ce qu’il t’a raconté ?

— Pourquoi tu es sur la défensive comme ça ? questionnais-je.

— Je ne suis pas sur la défensive.

— Nicole … je te connais par cœur. Tu essaies d’esquiver la conversation là.

— Ne fais pas celui qui n’est au courant de rien. Si tu es là, c’est qu’il t’a expliqué la situation, non ?

— Il m’a dit que tu avais reçu un cœur humain hier et qu’il y’en avait un autre sur votre table ce matin. Je peux comprendre que tu ne veuilles pas en discuter avec lui mais nous on peut en parler, expliquais-je.

Elle se lève de son fauteuil, contourne le bureau et s’assoie sur la tranche, me faisant face.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Quelqu’un a trouvé amusant de... commence-t-elle, avant que je ne l’interrompe.

— Il n’y a rien d’amusant là-dedans. Nicole, il a recommencé à tuer.

— J’avais compris, chuchote-t-elle.

— John m’a aussi dit que tu ne voulais pas de son aide.

— Ça lui servirait à quoi de se mettre dans la merde alors que ça ne le concerne pas ?

Je m’apprête à lui répondre, mais je me ravise.

— Tu vois.

— Ca le concerne bien plus que tu ne le crois.

— Ah ouais et en quoi ?

— Je ne peux pas t’en parler, ce n’est pas à moi de le faire mais je sais que c’est très difficile pour lui de te parler de certaines choses de son passé, lui expliquais-je.

— TU CROIS QU’IL N’A PAS EU LE TEMPS DE LE FAIRE EN DIX-SEPT ANS ? cria-t-elle.

— Je suis sûr qu’il a essayé de te le dire à plusieurs reprises, mais une chose comme ça, ce n’est pas facile à déballer.

Quelques minutes passent et je la relance.

— Tu réagis comme une gamine.

— Si vouloir protéger sa famille est une réaction de gamine alors ouais, j’en suis une … j’ai mis quelqu’un sur le coup, me dit-elle en changeant de sujet.

— Tu as fait quoi ?

— J’ai mis quelqu’un sur le coup.

— Laurent est au courant ?

— … non.

Elle croise mon regard et avant même que j’ouvre la bouche, elle enchaîne.

— Jamais il ne m’aurait laissé faire ça, s’il avait connu mes intentions.

— À qui tu as demandé ?

Elle me regarde droit dans les yeux et je comprends tout de suite ce qu’elle essaie de me dire avec son regard.

— Ne me dis pas que tu as envoyé un bleu sur cette mission ? lui demandais-je, inquiet.

— Ce n’est pas un débutant.

— Alors, qui est-ce ? Ce n’est pas John, ni Stéphane, ni toi. Toutes les autres personnes n’ont pas la moindre expérience pour une infiltration comme celle-là.

Je sais qu’elle s’apprête à me dévoiler une information qui risque de lui coûter sa place mais je sais aussi que si elle a agi comme elle l’a fait c’est qu’elle n’avait pas le choix.

— Comme tu le sais, ce sont les plus gradés qui forment les nouveaux arrivants et ...

— Tu as envoyé ton élève au suicide ? questionnais-je.

— Il sait très bien à quoi s’attendre.

— Dois-je te rappeler qu’il n’a pas fini son apprentissage ? Il n’est pas prêt pour une mission comme celle-là. C’est une mission suicide, est-ce que tu t’en rends compte, au moins ?

— Tu m’as toujours dit que c’est sur le terrain qu’on apprend le mieux.

— Il n’est ici que depuis quelques mois, il n’est pas formé … Tu te rends compte de ce que tu fais, au moins ? m’écriais-je.

— Parfaitement … Il nous devait bien ça.

— Comment ça, « il nous devait bien ça » ?

— Son père est très connu de nos fichiers, dit-elle en grommelant.

— C’est quoi le rapport avec ton affaire ?

— C’est le fils de Chris, affirma-t-elle.

Je voulais lui répondre mais tout ce qui sort de ma bouche est un rire nerveux. C’est pas possible, j’ai du mal entendre.

— Tu as envoyé le fils de ce salopard en mission pour son père ?

— Oui.

— Tu me prends pour un imbécile là ?

— Pas du tout.

— Tu vas m’expliquer alors parce que j’ai du mal à comprendre.

~ POINT DE VUE JOHN ~

Je sais que Mark ne me dira pas tout alors autant prendre les devants. Ok, ce n’est pas une méthode très classe mais bon, je n’ai pas le choix. Je me rapproche de la porte du bureau de Nicole et essaie d’écouter ce qu’ils se disent.

— John.

Je ne tourne pas la tête tout de suite, Stéph m’appelle une nouvelle fois. Si je ne veux pas me faire griller en train d’écouter aux portes, je suis obligé de lui répondre.

— Quoi ? demandais-je, énervé et en chuchotant.

— J’ai rapporté les vidéos de surveillance de la galerie et j’aurais besoin de tes compétences.

— Quelles vidéos ?

— Celles de la galerie.

— Madame Müller disait qu’il y avait eu un dysfonctionnement. Elles fonctionnent ?

— Elles fonctionnent parfaitement bien.

— Et pourquoi tu as besoin de moi ? Tu ne sais plus déchiffrer une vidéo ?

— Il n’y a pas de son sur cette bande et comme tu sais mieux lire sur les lèvres que moi, je me suis dit que tu pourrais me donner un coup de main.

J’essaie d’écouter encore quelques instants puis je rejoins Stéph dans son bureau. Il met la vidéo dans le magnétoscope et appuie sur le bouton de mise en marche.

~ POINT DE VUE MARK ~

— Si j’ai bien compris, c’est lui qui t’a demandé de mettre fin aux agissements de son père ? lui demandais-je.

— Oui.

— Et tu le crois ?

— Pourquoi je ne le croirais pas ?

— Ce type est dangereux … je n’ai pas envie qu’il t’arrive quelque chose, révèle mon père.

— Tu m’as appris tout ce que tu savais avant que je passe mon concours pour que je sois la meilleure. J’ai appris à me fier à mon instinct et là il me dit de lui faire confiance.

— J’espère que tu n’auras pas à regretter ton choix. Tu risques ta place là Nicole, ta carrière pour un type que tu ne connais pas.

— Tu mets mon opinion en doute ?

— Plutôt la confiance que tu portes à un gars comme lui, lui dis-je.

— Je ne te demande pas de lui faire confiance, mais de me faire confiance à moi.

— Est-ce que j’ai le choix ?

— Pas vraiment.

Je vois qu’elle est dans ses pensées. Il y a autre chose qui la travaille.

— Y’a autre chose ?

— C’est ma dernière enquête ici.

— Comment ça ? lui demandais-je.

— Tu sais que le règlement et moi, on n’est pas très copains et les sup. m’avaient à l’œil. Du coup … ils ont décidé de me faire monter à Paris dans un de leurs services.

— Pourquoi tu ne lui as rien dit, alors ? s’inquiète mon père.

— Déjà parce que cette info-là, je l’ai eue après avoir parlé avec Alex et ensuite, est-ce que tu aurais accepté que j’envoie un bleu en infiltration ? chuchota-t-elle.

— Cela dépend de la situation...

— Papa, t’es pas honnête là.

— Bon d’accord, sûrement pas, marmonnais-je.

Elle me sourit et quand je la regarde, j’ai l’impression de me voir quand j’étais en service. Têtue, intrépide, courageuse … comme ma femme aime le dire « C’est bien ta fille … elle a hérité de ton caractère. ». Je suis bien d’accord avec elle.

— Je crois que s’il t’arrivait quelque chose, ta mère me tuerait sur place, alors s’il te plait, fais attention à toi.

— Je fais attention.

Au fur et à mesure, je ne peux retenir quelques larmes, qui coulaient sur mes joues. C’est la première fois que je pleure en la présence de ma fille. Je la sert dans mes bras avant qu’elle ne dise un mot.

À cet instant, un grand bruit d’éclat de fenêtre se fait entendre. Je sens un liquide chaud couler sur mes doigts tandis que ma fille s’écroule dans mes bras.

Putain de merde !!! Un coup de feu depuis l’extérieur et je n’ai rien vu venir. J’allonge ma fille sur le tapis pendant que ses collègues accourent dans son bureau, alertés par le coup de feu.

— Qu’est-ce qui se passe ? demande John.

— SNIPER !!! criais-je.

Il s’accroupit aussitôt et nous rejoint.

— Appelle les pompiers, vite ! répond mon père.

Je me tente à regarder dehors, mais je ne vois personne.

— Poussin, ne ferme pas les yeux. Il faut que tu restes éveillée.

Quand John raccroche, il donne ses instructions aux autres pour partir à la recherche du tireur et quelques minutes plus tard, les pompiers sont là. Ils ont fait vite pour une fois. Ils transportent ma fille sur un brancard.

— Pas à l’hôpital, s’il te plaît.

Elle serre la main de John qui lui répond qu’elle n’a pas à s’inquiéter. Lorsque nous arrivons à l’hôpital, ils la transportent au bloc opératoire tandis qu’avec John nous attendons dans la salle d’attente.

Les heures passent et nous n’avons aucune nouvelle. J’espère que tout se passe bien. Alors que j’allais appeler Mélissa pour la tenir au courant, le chirurgien arrive.

— Mr Bernard ?

— Oui. Comment ça s’est passé ?

— L’opération a été assez délicate. La balle s’était logée à quelques centimètres de son cœur, mais l’opération s’est bien passée.

— Comment elle va ? Est-ce qu’on peut aller la voir ? lui demande John.

— Elle va bien. Pour l’instant, elle est en salle de réveil. Je pense que d’ici deux heures, vous pourrez aller la voir. Je vous tiens au courant.

Le soulagement commence à s’installer. Nous restons tous les deux dans la salle d’attente à patienter. Je finis par appeler Mélissa, sinon le prochain patient qui se retrouvera sur la table, ça sera moi.

— J’aimerais qu’elle soit sous protection policière, le temps de l’enquête, lance John.

— Elle ne voudra jamais.

— Je ne vais pas lui demander son avis.

J’esquisse un sourire.

— Pourquoi tu souris ? demande John.

— Je viens de me rendre compte que vous avez le même caractère, tous les deux.

— J’suis vraiment sérieux. Tu es partant ?

— Bien entendu. Vous avez trouvé quelque chose au sujet du braquage ?

— Avant que le coup de feu ne soit tiré, Stéph et moi regardions les vidéos de surveillance de la galerie.

— Vous avez pu en tirer quelque chose ? Interrogeais-je.

— Pas vraiment. Il n’y avait pas de son et ils portaient des cagoules.

Il y eut un moment de silence puis John continue.

— Je vais reprendre l’enquête depuis le début.

— Comment tu comptes t’y prendre ? interrogeais-je.

— Il faut que je réinterroge cette fille : Rose Müller.

— Et si tu ne trouves rien ?

— Il faut que je trouve quelque chose, il le faut, affirme John.

— Fais attention à toi.

— Tu sais comment je fonctionne.

— C’est bien ça le problème, déclarais-je.

— Ca me fait plaisir de savoir que tu me fais confiance.

Je vois où il veut en venir et ça me fait sourire.

— Depuis que tu es revenu de ta mission avec l’armée, Nicole a vraiment changé. Après ce qui est arrivé, elle s’est renfermée sur elle-même. Elle s’est construit une coquille et elle a fait sa vie dedans pendant que tu étais parti. Elle est restée à la maison tout le temps où tu étais absent et elle restait dehors parfois la nuit entière. Elle a refusé de discuter de ce qui s’était passé, même avec sa mère alors qu’elles sont très proches. Mélissa était vraiment mal d’être mise à l’écart comme ça, lui expliquais-je.

— Elle a voulu que je parte. Si elle m’avait dit non, je serais resté mais … elle voulait faire le point de son côté. J’ai fait de même et je me suis beaucoup remis en question. Tu sais quand je suis arrivé à l’aéroport et que je l’ai vue, j’ai su tout de suite qu’il y avait un truc qui avait changé en elle.

— Et tu en penses quoi ?

— La nouvelle Nicole me plaît assez, je ne vais pas m’en plaindre, m’avoua-t-il.

— Mais…

— Je ne sais pas, elle est très bizarre depuis hier.

— Elle sait que tu lui caches quelque chose et ça la dérange à un point que tu ne peux pas imaginer.

— C’est pas si simple à dire. Je ne peux pas lui balancer comme ça : bon écoute, mon père était un meurtrier. Si ton frère a disparu, c’est sa faute, révèle John.

— Ouais alors, je te conseille de lui dire d’une autre manière sinon elle va te refaire le portrait.

— Elle va me le refaire le portrait de toute façon, que je lui dise de cette façon ou que je prenne des pincettes.

Tiens, ça me fait penser à la fois où je suis allée la chercher au poste parce qu’elle avait refait le portrait à son copain.

— Je vais te raconter une histoire … qui est vrai. Nicole, je suis allée la chercher de nombreuses fois au poste et pour l’histoire que je vais te raconter, j’étais plus que ravi d’aller la chercher ce soir-là.

— C’est censé me rassurer là ou me faire peur ?

— C’est pour que tu comprennes … A l’époque elle devait avoir 15 ans et elle sortait avec un gars qui avait l’air d’être bien et elle l’a surpris en train de la tromper avec une autre fille parce qu’elle ne voulait pas coucher avec lui. Elle ne se sentait pas prête à franchir le pas avec lui et lui il est allé voir ailleurs.

— Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?

— Heureusement pour ce gamin, je n’étais pas présent sur les lieux mais la plainte disait qu’elle les a envoyés à l’hôpital, tous les deux … en chirurgie plastique. Ils y sont restés un moment. Je crois qu’ils en portent encore les marques, continuais-je.

— T’es en train de me dire que je vais me retrouver en service d’esthétique et que je vais avoir des marques à vie ?

— Oh non … elle tient trop à toi. Elle t’abîmera un peu mais c’est tout.

Nous restons là à ne rien dire, jusqu’à ce que j’entame un nouveau sujet de conversation.

— J’ai vu la bague à la main de Nicole.

— Je sais que tu voulais que je te demande d’abord, mais... commence John.

— Ça ne fait rien mais faudrait penser à nous donner des petits-enfants.

— On y travaille.

À cet instant, une infirmière arrive et nous avertit que nous pouvons enfin voir ma fille. Nous la remercions et filons dans la chambre qu’elle nous a indiquée.

— Comment tu te sens ? lui demande John, à peine entré dans la chambre.

— Je suis shootée aux antidouleurs, alors ça va.

John resta une bonne heure dans la chambre puis me dit qu’il devait y aller.

— Je repasserai te voir plus tard.

Il embrasse ma fille puis part.

— C’est pour quand, la date ?

— La date de quoi ?

— Du mariage.

— Ah... il te l’a dit ?

— Pas besoin. J’ai vu la bague sur ton doigt.

— Ah euh... on n’a pas encore fixé de date.

~ POINT DE VUE JOHN ~

Lorsque j’arrive à ma voiture, je sors mon téléphone et appelle le commissariat.

— Commissariat de Marseille, j’écoute, dit Greg.

— C’est Matthews. Est-ce que tu pourrais m’installer madame Müller en salle d’interrogatoire, s’il te plaît ?

— Elle est déjà partie avec les Marshall.

— Où est-ce qu’on peut la voir ?

— Il faut que vous en demandiez l’autorisation au commissaire.

— Ok, j’arrive.

— Et euh, comment va le commandant ?

— Bien, elle est sortie du bloc. L’opération s’est bien passée et elle est réveillée. Mark est resté avec elle.

Je raccroche et prend le volant. Quelques instants après, j’arrive au bureau et vais dans celui du commissaire.

— Je peux savoir ce qui s’est passé dans le bureau de Nicole ?

— Tu n’as rien n’entendu ? demandais-je.

— Entendu quoi ?

— Des coups de feu ont été tirés depuis l’extérieur. J’ai envoyé une équipe sur place.

— C’est pour ça qu’il n’y a plus personne, alors.

— Tu étais où ?

— A l’extérieur. J’avais une course à faire.

Il me regarde avec un petit sourire en coin et continue.

— Tu voulais me demander quelque chose ?

— Il faut que je réinterroge madame Müller.

— Pour quelles raisons ?

— On a une enquête en cours je te rappelle, lui répondis-je, en le regardant étrangement.

Il est vraiment bizarre. Je ne vois pas en quoi l’attaque sur Nicole lui donne ce sourire. Il croit peut-être que je ne l’ai pas vu.

Il prend son téléphone et appelle le bureau des Marshall où il tombe sur une secrétaire.

— Commissaire Ness de Marseille, je voudrais parler à l’agent Porter.

— Un instant, je vous prie.

Il attend quelques minutes et elle le met en contact avec l’agent Porter.

— Porter, j’écoute.

— Ici le commissaire Ness.

— Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

— J’ai un de mes hommes en face de moi qui souhaiterait poser de nouvelles questions à madame Müller au sujet de l’enquête.

— Mes hommes l’ont déjà emmenée à la planque.

— C’est un homme de confiance ...

— Qu’il se rende au bureau des Marshall et on avisera là-bas.

Il raccroche et il me lance comme si je l’avais agacé :

— Bureau des Marshall, dans cinq minutes.

— Merci.

Je sors du bureau et me mets en route. J’arrive dans les temps et me présente à l’accueil.

— Commandant Matthews, j’ai rendez-vous avec l’agent Porter.

— Il me faudrait une pièce d’identité, s’il vous plaît, me dit la secrétaire.

Je lui donne ma carte d’identité et elle vérifie sur son ordinateur puis me la rend.

— Vous avez votre arme sur vous ?

— Oui.

— Il me la faut. Je vous la rendrai quand vous partirez.

Je lui donne mon arme et signe le registre.

— Merci. Vous pouvez y aller.

Elle se lève de sa chaise et ouvre le battant pour que je puisse passer. Je vais dans le bureau de Porter, frappe à la porte et entre.

— Ah, Matthews, vous êtes là, me dit Porter.

— Bonjour.

— Vous voulez réinterroger Madame Müller au sujet de l’enquête ?

— Tout à fait.

— J’ai laissé la salle de réunion à votre disposition, vous pourrez interroger Madame Müller sur une ligne sécurisée. Vous pouvez prendre tout le temps que vous voulez, lance l’agent Porter.

— Vidéoconférence sécurisée ? interrogeais-je.

— Exactement. Un agent va vous y conduire.

Porter fait signe à un de ses hommes.

— Accompagne-le à la salle de réunion.

Je sors du bureau de Porter et suis l’agent qui m’accompagne jusqu’à la salle de réunion, au cas où j’aurai l’idée de me perdre, sait-on jamais.

— Merci, lui dis-je, une fois arrivé.

— Vous avez besoin de quelque chose ?

— Ça devrait aller, merci.

J’entre dans la salle, m’assois sur une chaise et attends. Mon dieu, qu’est-ce que je ne donnerai pas pour être chez moi ou encore mieux en vacances. Nicole avait raison finalement, on aurait dû poser des jours.

Quelques minutes plus tard, une image apparait sur l’écran plasma qui longe le mur face à moi.

— Madame Müller, bonjour, dis-je.

— Bonjour commandant.

— Désolé de vous ennuyer avec cette histoire, mais j’aimerais reprendre les faits qui se sont produits dans la galerie hier matin. J’ai d’autres questions à vous poser.

— Si ça peut vous aider.

— Vous pouvez me raconter une nouvelle fois ce qui s’est passé durant le braquage et décrire le plus précisément possible le comportement que les braqueurs avaient et le visage de celui que vous avez vu ? demandais-je.

— Hier, je devais être en repos, mais je suis venue pour acheter une toile pour l’offrir à mon beau-frère.

— Vous pourriez me donner le nom de votre beau-frère ?

— David, répond madame Müller.

— Le nom de famille ?

— Aucune idée.

— Comment ça ? lui demandais-je.

— Je connais juste son prénom, désolé.

— Je vais faire avec. De quelle peinture vous parliez ? questionnais-je.

— Elle représente un personnage voilé. Pour lui, elle inspirait la peur, la souffrance. Lorsqu’il l’a vu, il a été comme en transe. Il a dit qu’il avait eu comme un flash qui lui rappelait son passé. J’ai eu l’impression qu’il cachait quelque chose, mais il voulait cette toile alors j’ai décidé de lui offrir, expliqua-t-elle.

— La valeur de ces toiles est estimé à combien ?

— Disons qu’une personne avec de bons moyens pourrait se les offrir.

— Vous comptiez lui offrir comment cette peinture ? Ce n’est pas avec ce que vous gagnez que vous auriez pu vous le permettre, sans vouloir vous offenser.

— Ma sœur m’a donné une partie de la somme que valait cette toile, avoue-t-elle.

— Elle a une vie plutôt aisée ?

— Pas vraiment, mais son compagnon gagne beaucoup d’argent, alors...

— Ils travaillent dans quoi exactement ? Interrogeais-je.

— Ma sœur est vendeuse. Elle a sa propre boutique, ça s’appelle « Funny Wig ».

— Et le beau-frère, il fait quoi ?

— Il est disc-jockey dans les boîtes de nuit. Il gagne assez bien sa vie, déclare madame Müller.

— Comment s’appelle votre sœur ?

— Erika Müller.

— J’irai lui rendre visite. Ensuite, que s’est-il passé ?

— Ensuite, quatre personnes sont entrées dans la galerie en pointant leurs armes sur nous. Ils ont tiré un coup dans le plafond pour nous faire peur et l’un d’entre eux nous a ordonné de nous allonger par terre, face contre terre. Apparemment, ils cherchaient un tableau qui avait une grande valeur pour l’un d’entre eux. Ils ont fouillé dans les registres et ont mis la galerie sans dessus dessous. Pendant qu’ils le cherchaient, j’ai appuyé sur l’alarme et vos collègues sont arrivés. Quand j’ai entendu les sirènes s’approcher, j’ai essayé de m’échapper, mais un homme m’a attrapée par les cheveux. Je me suis débattue et je lui ai arraché sa cagoule. Quand vos collègues sont arrivés devant la porte vitrée, ils sont sortis par-derrière. raconte-t-elle.

— Pourquoi avez-vous tenté de vous enfuir si mes collègues étaient présents ?

— J’ai eu peur qu’ils finissent par tous nous tuer comme dans les films et on m’a dit que la plupart du temps ça finissait comme ça, avoua-t-elle.

— Qui ça « on » ? lui demandais-je.

— À l’époque, ma sœur sortait avec un fils de policier. Elle s’entendait très bien avec sa sœur à lui. Il était assez bizarre d’ailleurs et puis un jour, il a disparu de la circulation.

— Disparu de la circulation ?

Peut-être qu’on s’égare du sujet de l’interrogatoire mais j’ai le sentiment que ça peut mener à quelque chose.

— Oui, du jour au lendemain. Elle n’avait plus aucune nouvelle, elle était tellement triste.

— Il s’est passé quelque chose pour qu’il parte comme ça ? demandais-je.

— Erika m’a expliqué qu’ils s’étaient disputés et qu’il était parti en claquant la porte. Il n’est jamais revenu.

— Juste pour information, vous auriez son nom ? interrogeais-je.

— Je crois qu’il s’appelait David Bernard, mais je ne suis plus sûre. Ca fait tellement longtemps.

Lorsque j’entends le nom de cet homme, je lève la tête de mon carnet de notes et la regarde.

— Qu’avez-vous dit ?

— Que ça faisait tellement longtemps.

— Juste avant. David Bernard, c’est le nom que vous m’avez donné ?

— Oui. Pourquoi ?

— Non, tout va... très bien, lui répondis-je, en me passant la main dans les cheveux.

Je me lève de la chaise et m’apprête à sortir de la salle de réunion quand une autre question me vient à l’esprit.

— Vous auriez une photo de votre sœur ?

— Dans mon sac, oui, me répond-t-elle, en la sortant et en me la montrant.

— Vous pouvez demander à l’un des Marshall de se présenter ?

Elle se retourne et dit à un des Marshall de venir devant l’écran.

— Vous voulez me parler, commandant ?

— Il me faudrait cette photo au plus vite, lui répondis-je en lui montrant la photo que Madame Müller tenait dans sa main.

— Vous auriez un numéro de fax ?

— Zéro quatre, quatre-vingt-quatorze, quinze, quatre-vingt-dix-huit, trente-quatre.

— Je m’en occupe tout de suite.

L’interrogatoire étant fini j’ouvre la porte de la salle et sors. Je vais voir Porter pour lui signaler que j’avais terminé et je récupère mes effets.

Un quart d’heure plus tard, je suis arrivé à l’hôpital. Je fais signe à Mark de me rejoindre dans le couloir.

— J’ai du nouveau, lui dis-je.

— Alors ?

— Est-ce que tu connais une fille du nom d’Erika Müller ?

— Ouais c’était la meilleure amie de Nicole. Elles ne se sont pas revues depuis des années. Pourquoi ?

— La Müller sous protection, c’est sa sœur.

— Erika avait une sœur effectivement mais comme je te l’ai dit, ça remonte à près de 20 ans.

— Et, est-ce que par hasard, cette Erika sortait avec ton fils ? questionnais-je.

— Oui.

— Elle m’a dit qu’ils s’étaient disputés et elle pense que ton fils est parti en laissant sa sœur seule parce qu’il n’a pas supporté l’objet de la dispute.

— Il aurait préféré mourir plutôt que la laisser toute seule, m’avoua Mark.

— Elle avait une photo dans ses affaires. J’ai demandé aux Marshall de me la faxer.

— Pour l’instant, c’est ce que tu as.

— À tout hasard, tu aurais son adresse ? interrogeais-je.

— Après l’enlèvement de David, elle a déménagé et on a perdu le contact avec elle.

— Ça aurait été trop beau.

— Et si tu la passais à la reconnaissance faciale ?

— Si son casier est vierge, on n’en tirera rien. Et je n’ai pas les accréditations nécessaires pour lancer la recherche plus loin, lui répondis-je.

— Essaie avec mon identité, me proposa Mark.

— Ça marcherait ?

— Bien sûr.

— Je vais essayer, lui dis-je.

— Avant, tu vas expliquer à Nicole ce que tu as trouvé et moi, je vais prendre un café.

— Pourquoi ce serait à moi de lui dire ?

— C’est ta femme.

— Pas encore.

— Pense-y, pour le meilleur et pour le pire.

— C’est ta fille, lui rétorquais-je, alors qu’il part.

— C’est pour ça que c’est à toi d’y aller.

Je n’ai pas d’autre choix que d’entrer dans la chambre. Je sais que si c’est trop personnel elle va esquiver les questions.

Je prends une chaise et m’installe à côté de ma femme.

— Tu te sens mieux ? lui demandais-je.

— Beaucoup mieux. Tu as du nouveau pour l’enquête ?

— Pense à toi au lieu de penser à l’enquête. répondis-je.

— S’il te plaît.

— J’ai réinterrogé Müller.

— Elle a donné d’autres informations ? Interrogea-t-elle.

— Oh oui … Elle a une sœur qui sortait avec un fils de policier quand ils étaient adolescents.

— C’est quoi le rapport avec l’enquête, là ?

— Le fils dont elle m’a parlé, c’est ton frère. Est-ce que tu connais une certaine Erika Müller ?

Attention à la tentative d’esquive.

— Connaissais. Elle... on a perdu le contact quand mon frère s’est fait enlever, avoua-t-elle.

— Tu aurais pu me dire que tu connaissais sa sœur.

— Je ne savais pas qu’elle avait une sœur.

— Nicole... ne me cache pas d’informations s’il te plaît. Ca peut faire avancer cette enquête.

— Ca fait presque 20 ans, je ne l’ai même pas reconnue et elle non plus. En 20 ans, les gens changent. Et puis tu sais, il y a des centaines de Müller dans le pays.

— Je ne veux plus que tu me caches des informations en rapport avec l’enquête.

Mon téléphone sonne, à croire qu’il a entendu mes pensées. Je le sors de ma poche et décroche.

— Quoi ?

— J’ai trouvé quelque chose au sujet du tireur, me répond Stéph.

— Ça va, j’arrive.

Je raccroche et me lève aussitôt.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Stéph a trouvé quelque chose.

Je m’apprête à sortir quand le chirurgien entre, accompagné de Mark.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Je viens juste prendre des nouvelles.

— Ok, tu m’appelles si y’a du changement, dis-je à Mark avant de sortir de la chambre.

J’arrive à la voiture, prends la route pour rejoindre Stéph au commissariat.

— Alors, qu’est-ce que tu as trouvé ? demandais-je.

— Le coup de feu a été tiré depuis le bâtiment qui fait face au bureau de Nicole.

— Tu as découvert quelque chose ?

— On a récupéré une douille, répondit Stéph.

— Rien d’autre ?

— C’est tout ce qu’on a déniché. Il n’y avait aucune empreinte et le tireur a dégoté un moyen de passer sans se faire remarquer.

— Au vu des circonstances, soyons contents d’avoir quelque chose. Qu’est-ce que tu as fait de la douille ? interrogeais-je.

— Pour l’instant, je l’ai envoyée à la balistique, mais j’ai pris une photo.

Il me la donne et je regarde de plus près.

— Sept virgule soixante-deux millimètres.

— Comment tu fais ça ?

— Comment je fais quoi ?

— Savoir le calibre de la balle à partir d’une photo ?

— Elle provient d’un fusil de tir de précision, continuais-je, sans vraiment l’écouter.

Je lui rends la photo et poursuit.

— Tu as fait la liste de tous les magasins qui vendent des armes à feu ?

— Bien sûr, me répond Stéph, en me la donnant.

— Et celle de l’armée ?

— Pour quoi faire ?

— Cette arme est utilisée par les tireurs de précision. Ces modèles d’armes sont équipés d’une lunette optique qui permet de distinguer sa cible à longue distance.

Stéph me regarde l’air de ne rien comprendre et je continue.

— J’ai collaboré avec ce genre de tireur durant mon année de mission avec l’armée. précisais-je.

— Et toi, tu étais quel genre de tireur ?

— Ceux de l’élite.

— C’est quoi la différence entre les deux ?

— Le tireur de précision utilise en général une arme chambrée en sept virgules soixante-deux millimètres qui est d’une portée efficace entre quatre cents et huit cents mètres. Le tireur d’élite utilise une arme d’un calibre de douze virgule sept millimètres qui permet des tirs précis et impeccables à plus de mille huit cents mètres, expliquais-je.

— Tout se joue avec l’arme ?

— En grande partie.

— Tu tires à plus de mille huit cents mètres ? me demande Stéph, impressionné.

— Oui et en plus je ne rate jamais ma cible. Alex est là ?

— Ouais, il est à l’accueil.

— Tu peux lui dire de venir ?

— Il est arrivé à l’heure cette fois, déclara Stéph.

— Tu n’as pas besoin de le couvrir. Je souhaite lui parler d’autre chose.

En sortant du bureau, il demande à Alex d’aller dans mon bureau. En arrivant, il s’assoit sur la chaise que je lui présente.

Il faut que je l’interroge, pas question de perdre du temps.

— Ton père a gardé son fusil ? demandais-je.

— Nicole t’a parlé ?

— Réponds, ordonnais-je.

— Je crois que oui.

— Donc il a toujours son fusil de tir de précision ?

— Je pense que oui, répond Alex.

— Tu sais s’il s’en est servi dernièrement ?

— Tu me fais passer un interrogatoire là ? C’est quoi toutes ces questions ? questionne Alex, soupçonneux.

— Je sais qu’il n’est plus en taule.

— Ah.

— Donc, réponds à ma question.

— Il m’a dit qu’il voulait finir ce qu’il avait commencé, finit par lâcher Alex.

— Tu parles de ce qui s’est passé avec mon père ?

— Oui, me répond Alex.

— Il compte faire quoi ?

— Tout ce que je sais c’est qu’il veut éliminer toutes les cibles qui lui sont dangereuses pour arriver à son but, m’explique Alex.

— Il entend quoi par cibles dangereuses ?

— À ton avis ?

— C’était lui alors, bredouillais-je.

— Ce n’était pas lui.

— Qui ça pourrait être d’autre ? Ce sont ses méthodes.

— Oui je sais, mais ce n’est pas lui qui a tiré. Il était avec moi, mais je sais qu’il collabore avec d’autres personnes, poursuit Alex.

— Ce n’est pas vraiment dans ses habitudes. Pourquoi il a tiré sur Nicole ?

— Parce qu’il croit que ça fera sortir son frère de l’ombre.

— Comment ça ? demandais-je, en fronçant les sourcils.

— Elle ne t’a rien dit ?

— Pas dit quoi ?

— Avec son frère … on a conclu un marché. Je le libère et lui, il reste caché, explique Alex.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit avant ?

— Je ne savais pas si je pouvais te faire confiance.

— Ça fait plaisir à entendre, marmonnais-je.

— Comprends-moi … on ne s’est plus adressé la parole depuis cette journée-là.

— À moins que je ne me trompe ce n’est pas ton père qui s’est fait descendre par Mélissa à cause de ton père.

Nous restons là quelques minutes sans parler, puis je poursuis sur un autre sujet.

— Qu’est-ce que tu as dit à Nicole ?

— La vérité.

— Sur tous les deux, ou juste sur toi ?

— Tu crois que si je lui avais révélé ton petit secret, tu serais encore là ?

Je dois bien avouer qu’il n’a pas tort. Je ne suis pas sûr de m’en sortir indemne.

— Pourquoi tu ne lui as pas dit ?

— C’est à toi de le faire, pas à moi… en revanche, il y a une chose que tu dois savoir. Avec Nicole, on a monté une opération. Personne n’est au courant, pas même le commissaire. Je me suis infiltré dans le réseau de mon père pour le faire tomber.

Je m’apprête à lui répondre mais son téléphone sonne.

— C’est lui.

— Mets le haut-parleur.

Il décroche et la conversation suit.

— J’ai besoin d’un coup de main.

— Tu veux que je vienne ? demande Alex.

— Vois si John est disposé à nous aider.

— C’est vraiment nécessaire de l’impliquer ? interroge Alex.

— C’est moi qui donne les ordres alors tu fais ce que je te dis sans discuter.

— Entendu.

Il a à peine fini de répondre à son père qu’il raccroche.

— Je ne peux pas faire ça à Nicole et à Mark.

— Tu sais de quoi il est capable quand il n’obtient pas ce qu’il veut, me prévint Alex.

~ POINT DE VUE MARK ~


Je vois le chirurgien de l’hôpital entrer dans la chambre pendant que ma fille dort et me dit qu’il veut me parler. Pour ne pas déranger Nicole et surtout ne pas la réveiller, nous allons parler dans le couloir. J’ai enfin réussi à lui faire entendre raison et les antalgiques ont eu raison d’elle.

Une femme vêtue d’une blouse blanche en profite pour passer la porte. Elle a avec elle un plateau et une espère de petite poche à perfusion. Elle a un masque sur le visage, peut-être est-elle malade ? J’arrive à voir ce qui se passe dans la chambre grâce aux stores ouverts.

Même si je discute avec le chirurgien qui a pris Nicole en charge je garde un œil ouvert sur les personnes qui entrent et qui sortent de cette chambre.

Je la vois brancher la poche de perfusion à la tubulure et régler le goutte à goutte puis elle sort. J’ai un mauvais pressentiment tout à coup, je ne sais pas pourquoi mais cette femme ne m’inspire pas confiance. Elle évite de regarder les personnes autour d’elle et elle semble bien pressée.

Quelques secondes après, le cardioscope branché à ma fille sonne et elle se met à courir. Ni une ni deux, je me lance à sa poursuite. Je sais que l’équipe médicale s’occupe de ma fille.

Malheureusement, je ne retrouve qu’une blouse qui dépasse d’une poubelle à la sortie de l’hôpital.

— EH MERDE.

Quand je remonte, le docteur Cruz ne me laisse pas entrer dans la chambre, l’équipe médicale y est toujours. J’espère que ma fille va bien, qu’elle ne lui a rien injecté de mortel.

Il faut que j’appelle John pour le tenir au courant et savoir ce qu’il a trouvé.

— Oui allô.

— C’est Mark.

Je l’entends se redresser dans son fauteuil qui grince.

— Qu’est-ce qui se passe ? me demande-t-il.

— On a essayé de la tuer.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? s’énerve John.

— Le chirurgien avait des choses à me dire. On est allé dans le couloir et ça s’est mis à sonner.

— Tu as vu quelqu’un ?

— Y’a une bonne femme en blouse blanche qui est entrée dans la chambre et elle s’est enfuie quand ça a sonné. Je n’ai pas pu la rattraper, lui racontais-je.

Je me passe la main sur le visage et dans les cheveux.

— Tu dois contacter un Marshall pour surveiller la chambre. Il s’appelle Trudot.

— Tu as déjà bossé avec lui ? Il est fiable ? demandais-je.

— C’est le meilleur. On peut lui faire confiance.

— Tu es sûr de toi ?

— Il m’a sauvé la vie à plusieurs reprises. J’ai une totale confiance en lui.

— Bon d’accord.

— Tu me tiens au courant.

— Aucun problème. Je reste là, le temps qu’il arrive.

Nous raccrochons tous les deux.

~ POINT DE VUE JOHN ~

Je regarde Alex en fronçant les sourcils. Je crois que mon faciès a changé et il parle pour moi.

— Qu’est-ce qu’il y a eu ?

Je me lève, contourne son bureau et frappe Alex au visage.

— Qu’est-ce qui te prend ?

Je suis en colère, je ne lui réponds pas tout de suite.

— Tu sais que je peux tout entendre … mais on ne touche pas à ma famille.

— Non mais de quoi tu parles ?

— Ne joue pas à ça.

Je ne suis pas un mec violent d’habitude mais la situation fait que je perds le contrôle de moi-même. On ne touche pas à ma famille.

Je le frappe à nouveau au visage et son nez coule à flots.

Malheureusement pour moi, Stéph et le commissaire passent au même moment et ils nous voient nous battre avec Alex à travers les stores de la fenêtre. Ils entrent aussitôt pour nous séparer.

Stéph m’attrape par les bras et me tire en arrière pendant que le commissaire se met au milieu.

— Nom de Dieu, qu’est-ce qui se passe ? demandait le commissaire.

Personne ne répond, mais nous nous regardons dans les yeux pendant que le nez d’Alex continue de saigner.

— Pourquoi vous vous battiez ?

— C’est entre lui et moi.

— Vous êtes dans mon commissariat. Ça me regarde aussi.

— Des petites blessures du passé qui refont surface.

Après un instant de réflexion, le commissaire demande à Stéph de sortir de la pièce.

— Je ne sais pas si c’est une bonne idée.

— Fais ce que je te dis.

Il me lâche et sort sous le regard de Laurent. Il attend que la porte soit fermée pour entamer la discussion.

— Explications, tout de suite.

Avant de commencer, je regarde Alex qui détourne ses yeux de moi.

— Son père veut finir ce qu’il a commencé.

Je vois le regard de Laurent changer.

— Qu’est-ce qui s’est passé pour que tu sois dans cet état ?

— Une femme a essayé d’éliminer Nicole à l’hôpital.

— Et le rapport avec lui, il est où ? interroge Laurent qui montre Alex d’un signe de main.

J’ hésite puis réponds.

— Mark m’a appelé quelques minutes après que son père l’ai appelé.

— C’est vrai ? demande Laurent, en regardant Alex.

— Oui, mais je n’y suis pour rien.

— Tu es aussi pourri que ton père.

— Tu n’as pas le droit de dire ça.

— Je vais me gêner, tiens

Alex s’apprête à lui répondre, mais Laurent intervient.

— STOP !!!

Il nous regarde tous les deux.

— Qu’est-ce que voulait ton père ?

— De l’aide.

— Pour quoi faire ?

— Je n’en sais rien. Il veut que John fasse partie de l’équipe.

— Tu m’as dit aussi que si je refusais, il y aurait des représailles, lançais-je, en m’avançant de quelques pas.

— Si vous en venez encore aux mains, je vous préviens que ça va chauffer, nous dit Laurent, en sentant que la tension remonte.

Je me retiens et recule d’un pas ou deux.

— Maintenant, tu vas sortir de ce bureau et toi, tu viens.

Laurent laisse Alex sortir et m’accompagne dans son bureau.

— Il m’a semblé t’avoir demandé de garder ton calme le jour où il est entré dans ce commissariat, me prévient Laurent.

— J’ai fait ce que j’ai pu pour me contenir, mais là, non, c’était trop.

— À l’avenir, essaie de te maîtriser un peu plus sinon tu risques d’avoir des ennuis.

— TU ME DIS CA ALORS QU’IL S’EN PREND A MA FAMILLE ? criais-je.

— Ce n’est pas lui, c’est son père.

— Il trempe avec lui. C’est la même chose.

— Ça te plairait qu’on dise de toi que tu es pareil que ton père ? me demande Laurent.

Même si je ne lui réponds pas, je suis d’accord avec lui. Je n’aimerais pas qu’on m’associe à mon père mais là, la situation est différente.

— Si tu lèves encore une fois la main sur quelqu’un, je te suspends de l’enquête. C’est clair ?

— Pardon ?

— Tu m’as parfaitement compris. Je ne peux pas admettre un manque de discipline dans mon commissariat et surtout si ça vient de toi.

— C’est ça qui te dérange ? Le manque de discipline ? Alors ce qu’il fabrique avec son père, tu n’en as rien à foutre ?

— Est-ce que j’ai dit ça ?

Nous nous regardons dans le blanc des yeux pendant quelques instants et, sentant que je n’aurais pas gain de cause, je prends les devants.

— J’ai compris.

— Tu as compris quoi ?

— Tu n’as pas l’air de vouloir lever le petit doigt pour moi alors j’en fais mon affaire.

Je sors du bureau de Laurent et me faufile entre les différents bureaux.

— TON ARME ET TON INSIGNE SUR LE COMPTOIR, TOUT DE SUITE, crie Laurent.

Je m’arrête et me retourne. Je mets ma main à mon pantalon et enlève mon insigne pour le poser sur le comptoir de l’accueil.

— Je veux ton arme aussi.

— Tu peux te gratter, lançais-je.

— Tu restes là.

— Au nom de quoi ?

— C’est un ordre.

— Je viens de rendre ma plaque, par conséquent, je n’obéis plus à tes ordres. Tu ne veux pas m’aider alors je vais me débrouiller par mes propres moyens.

Tous les regards étaient tournés sur nous. Les collègues ne bougeaient pas et attendaient que quelque chose se passe.

Je pars en laissant le commissaire planté devant sa porte

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