Terreur (Dan Simmons)

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Résumé : À l’époque où l’Empire britannique dominait les mers du globe, le club très fermé de la Royal Geographical Society envoie un ultime témoignage de l’hubris anglaise sous la forme de deux bombardiers réaffectés pour affronter les glaces et ouvrir le légendaire passage du nord-ouest : le Terror et l’Erebus. C’est la tristement célèbre expédition Franklin, restée dans les annales de l’histoire arctique pour avoir disparu corps et biens… avec ses 128 membres d’équipage, dont on ne retrouva, près de dix plus tard, que trois cadavres au rictus gelé et une poignée d’os éparpillés. Que s’est-il passé, au large de l’île du Roi-Guillaume – dernier point connu sur la carte en 1845 ? À quelles forces terrifiantes ces hommes se sont-ils heurtés ? Les hypothèses sont nombreuses : empoisonnement dû à des conserves avariées et truffées de plomb, scorbut, mutinerie, faim et anthropophagie… Dan Simmons nous donne ici son interprétation du mythe, à la fois terrible et plausible, mais toujours très bien documentée.

Les ours me font très peur. Surtout les blancs. Pas vous ? Un animal pouvant mesurer plus de trois mètres et peser presque une tonne, habitué à attaquer sans prévenir, et qui, d’après les éthologues, aurait une prédilection pour la chair humaine… l’ours polaire est, en plus, l’un des rares animaux qui ne craignent pas du tout l’Homme. Les autorités canadiennes conseillent à ceux de leurs ressortissants amenés à partager un bout de territoire avec ce super-prédateur de sortir armés, préférentiellement d’un gros calibre. Et même là, si vous lui tournez le dos, c’est foutu. À noter que la bestiole est loin d’être bête, et qu’elle a l’habitude de dissimuler son museau noir avec ses pattes lorsqu’elle chasse… pourquoi, me demandez-vous ? Mais pour mieux vous surprendre dans la neige blanche, pardi ! Bref, c’est une sale bête, qui a déjà joué le rôle du méchant dans de nombreux scénarii.

Alors, imaginez un esprit maléfique et invincible déguisé en ours blanc… depuis le Gritche, Dan Simmons ne nous avait pas autant traumatisés avec un monstre. Celui qui apparaît dans Terreur mérite de figurer sur le podium des plus effrayantes créatures de l’auteur ! Au passage, oubliez sa version télévisée, bien moins virulente que l’original : cela vaut mieux (je conseille vivement la série d’AMC pour son ambiance et ses acteurs, tous excellents. En revanche, regardez la après avoir lu le livre).

Mais comme toujours avec Dan Simmons, les pires monstres ne sont pas toujours les plus évidents. L’auteur éprouve la formule qu’il réutilisera plus tard dans l’Abominable (2013), où le monstre fait office de métaphore pour figurer la bestialité humaine. Finalement, ce croquemitaine qu’on nous agite sous le nez tout au long de l’histoire (et qui arbore un beau tableau de chasse ! ) incarne une force inexorable et presque noble, comparée à l’égoïsme, la mégalomanie, la lâcheté, la duplicité et la folie qui saisit les hommes en situation de survie. En tant que personnification du blanc glacial de l’Arctique, de sa cruauté et de son caractère impitoyable, la créature que ces marins en perdition affrontent sur la banquise paraît belle et fascinante. En revanche, le sentiment que nous laisse la grande majorité des protagonistes humains une fois le livre refermé est l’écœurement. Le chemin de croix qu’ils subiront et la lutte pour la survie serviront de révélateur à leur mesquinerie : l’auteur nous brosse un portrait sans concession de l’humanité. Naïveté, manque de prévoyance, étroitesse d’esprit, orgueil et suffisance d’officiers qui se prennent pour les maîtres du monde et pensent bêtement que leurs titres de noblesse les exemptent du sort commun ; bassesse et la lâcheté de l’équipage… tous les éléments sont réunis pour nous conduire à une catastrophe qu’on sait inévitable. Quelques personnages sortent du lot, de par leur intelligence, leur humanité ou leur héroïsme, mais ils se comptent sur les doigts d’une main. Au milieu de ce panier de crabes, les Inuits et leur culture font office d’îlot de poésie salvatrice, comme une terre promise qui n’arrive jamais, puisque les marins anglais refuseront leur aide d’une manière pour le moins radicale.

Si vous aimez les ambiances glaciales et macabres, le souffle impitoyable du vent du Nord, si les mises à mort par animal sanguinaire interposé et le chamanisme cruel du Concile de Pierre de Grangé vous avait fasciné, si les histoires de navire fantôme, d’expédition en débâcle, de survie en milieu très hostile, le cannibalisme et autres amputations vous transcendent, ne cherchez plus, vous avez trouvé votre nouveau livre de chevet ! Ce bouquin est au survival tragique ce qu’Hypérion était au space-opéra : un chef-d’œuvre.

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