Chronique spéciale de Noël pas SFFF du tout : La vie secrète des écrivains (Guillaume Musso)

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Résumé : Raphaël Bataille est un aspirant écrivain doté de « bonnes fesses », donc capable d’encaisser les innombrables refus de publication des maisons d’édition à qui il a envoyé son manuscrit. Un peu las de sa vie médiocre et déterminé à percer un jour, il profite d’une opportunité pour s’installer comme vendeur en librairie sur la très fermée île de Beaumont où vit justement son idole, l’auteur de best-seller retiré Nathan Flawles… Après trois romans à succès, ce dernier a tout plaqué pour s’exiler sur l’île méditerranéenne. Mais le dieu vivant est inapprochable : reclus dans sa propriété face à la mer avec son chien, il tire à bout portant sur tout intrus, qu’il soit fan ou journaliste. La découverte d’un corps féminin atrocement mutilé, en bouleversant le calme de l’île, et l’arrivée d’une mystérieuse journaliste qui semble en savoir long, viendra le tirer de sa retraite...

Je m’étais toujours juré que je ne lirai jamais un livre de Guillaume Musso, l’auteur de best-seller à la française. J’ai un côté bêtement breton, pour ne pas dire bulldog anglais, qui me fait reculer des quatre fers quand je vois le troupeau courir dans la direction du vent (c’est pour ça que j’ai jamais été bonne en judo, en dépit d’une longue pratique). Puis, sur un forum d’auteurs aspirant à l’édition, j’ai découvert que son livre « La vie secrète des écrivains » faisait partie des œuvres conseillées pour découvrir ce monde objet de tant de peurs et de fantasmes. J’en ai parlé à ma mère, qui me l’a offert à Noël… et me voilà en train de lire et chroniquer un Musso, armée d’un crayon Ikea et d’un marque-page japonais que ma copine Sao vient de m’envoyer. Je me suis donné une journée pour finir ce livre, au coin du feu, avec un thé, des truffes au chocolat et une bougie de Noël.

Dès la première page, j’ai compris pourquoi ses livres se vendaient. L’auteur semble posséder deux qualités très importantes : un style simple et fluide, qui s’efface devant un récit accrocheur dès la première ligne. Cette équation est résumée par la bouche de son protagoniste (sortant de l’atelier d’écriture à mille euros les trois séances d’un « orfèvre du style » germano-pratin) comme un manifeste littéraire, une profession de foi : «… le style n’est pas une fin en soi. La première qualité d’un écrivain était de savoir captiver son lecteur par une bonne histoire. Un récit capable de l’arracher à son existence pour le projeter au cœur de l’intimité et de la vérité de ses personnages. »

Cette phrase m’a fait poser le livre et saisir mon crayon. La suivante, qui racontait comment le jeune écrivain en devenir (ancien lecteur de livres dont vous êtes le héros), avait été bouleversé par la découverte d’un certain auteur retiré avec qui il avait tenté, en vain, de communiquer, me donna envie d’écrire : j’avais l’impression qu’il parlait de moi !

Voilà l’ingrédient magique de la formule Musso : écrire un récit intéressant et bien écrit, facile à lire, qui parle aussi du lecteur. Quel apprenti auteur de ne reconnaîtrait pas dans la figure du jeune scribouillard qui sème ses manuscrits partout, en quête de publication et de lecteurs ? Le jeune auteur en question, après des études l’ayant laissé à la porte de Pôle Emploi, décide de se retirer du monde pour se consacrer à sa passion de toujours : les livres. Il s’installe sur l’île de son idole comme employé d’une librairie en fin de course, qui n’a pas su monter dans le train du commerce post-Amazon et qui, en regrettant qu’il y ait « plus de gens voulant écrire que de lecteurs », doit « beaucoup de son désenchantement à Philip Roth ». Bref, il en est exactement là où j’en suis, au moment où j’écris cette chronique.

Le livre est une mise en abyme assez vertigineuse entre les expériences d’écriture de deux auteurs à un moment différent de leurs carrières (le début et la fin), sur un fond de mystère à la fois littéraire et policier. L’intérêt du roman n’est pas tant ce double mystère initial, classique mais suffisamment efficace pour nous donner envie de tourner la page (et assez bien écrite pour nous permettre de continuer sans décrocher) que les réflexions sur l’écriture et la vocation d’écrivain qui parcourent le livre, servis par quelques dialogues truculents, comme celui entre l’apprenti et son idole, un vieil ours peu sympathique qui n’aime plus que son chien :

« — Si tu ne veux faire que ce qui est permis, tu ne seras jamais un bon romancier. Et tu ne seras jamais un artiste. L’histoire de l’art, c’est l’histoire de la transgression.

— Vous jouez sur les mots, là, Nathan.

— C’est le propre d’un écrivain.

— Je croyais que vous n’étiez plus écrivain.

— Écrivain un jour, écrivain toujours.

— C’est faible comme citation pour un prix Pulitzer, non ?

— Ta gueule. »

Quel suspense dans cet échange entre l’auteur connu et publié et l’inconnu qui vient de lui soumettre son manuscrit ! La réponse au « vous avez trouvé ça comment ? » (on dirait presque qu'il parle de sexe) de l’aspirant auteur m’a provoqué une petite accélération cardiaque, en me rappelant ma propre excitation teintée d’appréhension dans des circonstances similaires. L’apex de ce magnifique passage de huit pages, une véritable master class littéraire, se trouve dans la révélation de ce qui est, pour l’auteur à succès, « l’essentiel », le saint graal de l’écriture :

« L’essentiel, c’est la sève qui irrigue ton histoire. Celle qui doit te posséder et te parcourir comme un courant électrique. Celle qui doit te brûler les veines pour que tu ne puisses plus faire autrement que d’aller au bout de ton roman (...) »

Jamais je n’avais rien lu de plus juste sur l’écriture que ces deux phrases !

Il faut reconnaître à Musso un art de la formule, de la phrase choc : « Dans toutes les vies, même les plus merdeuses, le ciel te donne au moins une fois une chance de faire basculer ton destin. (…) Mais le moment est généralement très bref. Et la vie de repasse pas les plats. »

Malheureusement, après cet acmé que représente l’aboutissement de la relation entre les deux écrivains (le premier est d’ailleurs évacué un peu trop rapidement), la tension redescend. La première partie du livre, avant le démarrage de l’intrigue policière, est nettement plus intéressante que la seconde, qui, à mon avis, part vraiment trop loin et frise avec l’incohérence : la seule survivante d’un horrible crime qui oublie le massacre de sa famille, la dite scène de massacre qui est un copié-collé de celle du film Léon, une multitude de personnages qui changent radicalement de comportement et de manière de parler au moment d’être démasqués, ou encore le fait qu’ils soient tous liés – sans le savoir – par un même drame... J’ai parfois eu l’impression de lire un Carlos Ruiz Zafon avec ses intrigues réunissant des personnages autour d’un mystère de manière un peu trop artificielle. La fin est une apothéose grand-guignolesque, heureusement rattrapée par l’apostille qui revient sur ce qui fait la force de ce bouquin : les réflexions sur l’écriture. Clairement, on ne lit pas ce livre pour son côté thriller ! Mais plutôt pour recevoir une master class à huit euros quarante, délivrée par l’auteur lui-même qui se met en scène dans son propre livre à la fin, déployant un jeu de miroirs qui semble infini.

Au final, en refermant le roman, on comprend qu’en s’adressant à nous, lecteur potentiellement auteur (qui d’autre s’intéresserait à un tel propos?), à travers ces deux écrivains et lui-même mis en scène, Musso a donné à sa leçon d’écriture la forme d’un escargot diabolique. La figure du dragon, un autre animal pouvant s’apparenter à l’Ouroboros, est omniprésente et plutôt bien utilisée : « Une allégorie du monde de l’édition ? » demande Musso en observant une peinture de dragons sur le mur du bureau d’une puissante maison d’édition new-yorkaise. « Ou celle des écrivains », lui réplique l’agent littéraire. Il lui fallait passer par toute cette mise en scène, par cet exemple mis en roman, pour s’adresser à nous (et régler au passage quelque comptes avec le monde éditorial). Pour moi, la recette a fonctionné, puisque j’ai eu l’impression que l’auteur me parlait, et que je comprenais ce qu’il me disait.

« La seule relation valable avec l’écrivain, c’est de le lire », nous dit Musso à travers la bouche de Nathan Fawles. Je suis bien d’accord.

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