Les tentacules (Rita Indiana)

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Résumé : 2027, République Dominicaine. Acilde, ex-ado prostitué transgenre, travaille pour la célèbre prêtresse de la Santeria (le vaudou cubain) Esther Escudero. Cette dernière a pour possession la plus précieuse une anémone de mer d’espèce condylactis gigantea, polype quasi-éteint dans ce futur durement touché par les catastrophes écologiques. La vente de l’animal-fleur pourrait permettre à Acilde de changer de sexe définitivement, par le moyen d’une drogue aussi révolutionnaire qu’onéreuse. Mais la mystérieuse bestiole cache d’autres pouvoirs…

Je ne sais pas quoi penser de ce livre étrange. Je vais donc essayer de me tenir à une fiche de lecture scolaire.

Parlons de l’auteur, tout d’abord. Rita Indiana est une musicienne et romancière queer de Saint-Domingue, dont l’œuvre tourne autour des notions d’écologie, de genre, de problèmes sociaux et ethniques. Il y a de tout cela dans son bouquin : une énergie musicale, des personnages hybrides qui transcendent les frontières sociales, du pessimisme dystopique. Le problème, c’est que c’est ramassé sur 166 pages !

Le rythme va à cent à l’heure, sans interruption, le tout émaillé de réflexions sur l’art contemporain et la culture pop distillées par des personnages drogués et désabusés qui m’ont un peu évoqué ceux de Bret Easton Ellis de l’époque Moins que Zéro. L’ambiance cyberpunk teintée de new-age, la débauche de termes techniques, de noms de groupes et de jargon SF très 90s dans les chapitres concernant Acilde contribuent à poser une ambiance qui m’a fait penser à celle du Babylon Babies de Maurice G. Dantec (un livre que j’ai adoré). Il y a quelques bonnes trouvailles, comme l’application PriceSpy, utilisées par les gens en 2027 pour scanner tout objet (animaux compris) et connaître son prix, ou les robots nettoyeurs chinois qui patrouillent dans les quartiers riches et passent au lance-flamme les pauvres contaminés par l’un des nombreux virus qui déciment la Terre (la proximité temporelle peut faire peur…).

La confusion du lecteur est renforcée par une construction particulière : on passe d’un personnage à un autre au gré de sauts dans le temps : Acilde en 2027, puis Argenis vingt-sept ans plus tôt, et enfin, le 17° siècle, le tout mélangé et déconstruit comme un film de Tarantino. Au début, ces ellipses audacieuses peuvent être confondues avec un énième délire opiacé des protagonistes. Un fil conducteur se dessine néanmoins : tous ces gens sont reliés par le fameux mollusque, avatar du dieu hermaphrodite de l’océan Olokun, qui possède le pouvoir de faire voyager dans le temps. La créature, en baladant Acilde et Argenis à travers les époques et les corps (Acilde change de sexe au milieu du roman), leur donnera la possibilité de changer le monde ou de tout oublier, un peu à la manière de la super-pieuvre alien dans Edge of Tomorrow, qui avant d’être un blockbuster avec Tom Cruise était un livre de SF japonais. Les chapitres concernant Acilde, à qui on s’attache plutôt facilement, m’ont paru plus intéressants que ceux mettant en scène Argenis, artiste raciste, misogyne et homophobe.

Malgré un départ excitant (le premier chapitre est très bon), des personnages intéressants, un pitch très accrocheur et novateur, j’ai perdu mon intérêt pour ce récit assez vite. L’effet train de la mine, mais aussi le manque de développement des personnages ont fini par me lasser. Les protagonistes vivent toutes sortes de péripéties (prostitution, meurtre, changement de sexe, balades dans le temps, épidémies mondiales, extinctions massives...), mais on a l’impression d’assister à tout ça de derrière une vitre, sans être vraiment touché par ce qui leur arrive. Cette impression de manque d’empathie avec les personnages est renforcé par leur apathie nihiliste, puisqu’ils regardent le monde s’effondrer autour d’eux sans voir plus loin que leur petit nombril (Acilde est prête à trahir sa bienfaitrice et à vendre la dernière anémone pour changer de sexe, Argenis à tuer pour devenir un artiste reconnu). C’est sans doute fait exprès, le livre étant une sorte de manifeste écolo-queer pour l’auteure. Malheureusement, cela dessert la narration et peine à faire accrocher à un univers qui aurait pu être passionnant.

Le point le plus fort du livre, à mes yeux, se trouve dans l’utilisation de la mythologie yoruba qui se dessine en arrière-plan du récit. Depuis toujours, j’ai une fascination pour la culture yoruba (Afrique de l’Ouest), dont la religion a essaimé avec la diaspora africaine dans les Amériques et a donné lieu à ces merveilles de syncrétisme que sont la santeria, le candomblé et le vaudou, avec leurs divinités foisonnantes et passionnantes. J’ai regretté qu’il ne s’agisse ici que d’un décor... et j’attends toujours le livre de SFFF sérieux avec des loa ou des orisha.

Un petit extrait pour finir (p. 17) :

« Avant de travailler chez Esther, Acilde taillait des pipes au Mirador sans enlever ses vêtements, sous lesquels son corps – seins minuscules et hanches étroites – passait pour celui d’un garçon de quinze ans. Elle avait une clientèle fixe, pour la plupart des hommes mariés, la soixantaine, dont la verge ne retrouvait quelque vigueur que dans la bouche d’un joli enfant. »

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