Asphodel (Louise Le Bars et Flokera)

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Résumé : Sept portraits de femmes très différentes à travers les siècles et le regard à la fois cruel et tendre de leur bourreau et amant, le vampire Asphodel. Sept, ou plutôt huit femmes : la galante du XVII° siècle aussi lisse qu’un miroir, la nonne de couvent qui rêve de rencontrer Dieu (mais tombera dans les bras du diable), la vampiresse fatale prise à son propre jeu, la voyante de salon hongroise qui échoue à deviner sa fin, la danseuse orientale esclave sexuelle qui trouvera la liberté dans la mort, la belle métisse des îles au lourd et dentu secret, la fleur de maison close aux prises avec Jack l’Eventreur, l’étudiante en lettres faussement ingénue, et enfin, la mère sorcière et castratrice. Qui sont-elles réellement ? Et à qui appartient cette voix féminine qui prend de plus en plus d’ampleur dans son cœur vide ?

Voici donc la fameuse œuvre qui a provoqué tant de discorde et de polémiques sur certains blogs de littératures de l’imaginaire ces dernières semaines ! Pour vous dire la vérité, c’est cette tentative d’autodafé en agora virtuelle qui m’a fait connaître ce livre. Sorti tout récemment, il avait échappé à mon radar vampirique, pourtant très affûté pour ce genre d’histoires. Accusée d’avoir produit une œuvre « raciste et anti-féministe », faisant « l’apologie de la culture du viol », l’auteure à été obligée de se fendre d’un billet sur son blog pour expliquer à ses censeurs la différence entre un artiste et son œuvre (et leur rappeler ce qu’est un vampire au passage, tant dans le folklore que la littérature). La maison d’édition, elle, a été attaquée pour l’absence de mise en garde sur le-dit bouquin, et également pour avoir vendu le livre comme un roman « abordant des thématiques féministes » (ce qui est précisé sur la quatrième de couverture). Elle a dû également s’expliquer et manifester son soutien à l’auteure.

Louise Le Bars n’est pas tout à fait une inconnue : elle a fait une entrée très remarquée dans le monde de l’édition SFFF avec son livre gothique-romantique, Vert-de-Lierre, en se payant le luxe d’avoir été lue et encensée par la papesse Amélie Nothomb en personne. Asphodel est son troisième récit publié chez Noir d’Absinthe, une jeune maison d’édition qui se targue de publier le côté le plus sombre des littératures de l’imaginaire.

Alors, le roman est-il véritablement scandaleux ? Mérite-t-il ce fameux « trigger warning » et le label « interdit aux moins de 18 ans » ? À mon humble avis, non. Même si l’écriture et les aventures du vampire sont indubitablement érotiques et la notion de consentement assez floue chez Asphodel (autant que pour Dracula, Nosferatu ou Carmilla, je dirais), il n’y a pas de quoi faire transpirer un cénobite. L’ écriture est sensuelle, certes, mais jamais vulgaire. Pour vous donner une idée, un petit extrait de ce qui est probablement l’un des passages les plus « hot » :

« Ma belle captive se trouvait derrière : je pouvais sentir l’odeur salée de son sexe écartelé sous sa robe pourpre, ses cuisses couvertes de sueur, son dos cambré sous l’effort de la torture, son beau visage si fier concentré à ne pas se tordre de douleur. »

Dans ce passage, la « torture » en question, un bon vieux kinbaku en cordes de soie rouges, n’est même pas du fait du vampire, mais de l’infâme tyran (bien humain) dont il se propose de la délivrer. Le roman montre tout types de femmes, dont certaines ont à se débattre entre les chaînes d’un patriarcat sordide et violent : c’est le cas de la jeune vierge enfermée au couvent, de la danseuse exotique, de la prostituée et de l’esclave métisse (une protagoniste qui a valu à l’auteure d’être taxée de racisme, puisqu’un auteur blanc n’a plus le droit de mettre en scène des personnages racisés, aujourd’hui… mais c’est un autre débat). Le vampire leur offre à toutes une porte de sortie. Alors oui, le vent de liberté qui leur fait miroiter leur coûtera cher. Et très souvent, ces femmes font preuve d’une volonté de révolte ultime en refusant à la fois de lui céder et la domination que leur imposent les hommes mortels. C’est en cela, je pense, que le livre est féministe. Les personnages féminins meurent, certes (comme vous et moi), mais elles ne sont pas victimes. La vraie victime, dans ce livre, c’est Asphodel lui-même.

La « consommation » n’est mentionnée explicitement qu’une fois sur deux, et parfois, elle ne se déroule pas comme prévu. Très souvent, c’est Asphodel qui est floué par les femmes qu’il veut séduire ! Et elles ont des armes pour le moins efficaces. La seule fois où il tente de forcer l’une des belles, il s’en repent gravement… La punition qu’il subit est à cet égard particulièrement jouissive, humiliante et originale, je vous laisse la découvrir ! Elle nous permet également de comprendre sans équivoque les intentions de l’auteur. Ici, le propos n’est pas de glorifier l’outrecuidant dandy, ses frasques et ses conquêtes, mais au contraire, de rire de ses illusions et déconvenues. On peut même le plaindre, parfois, à la manière d’un anti-héros pathétique, à la fois malheureux et sulfureux, qui, comme tout chasseur, manque sa proie une fois sur deux. C’est vrai que je suis biaisée ici, car j’apprécie à la fois les héros byroniens et le second degré. Je conviens qu’il faut avoir le sens de l’humour (noir) pour apprécier ce récit. Mais diantre, on sait où on met les pieds en ouvrant ce genre de livre ! Je m’étonne qu’on puisse prendre cette histoire au pied de la lettre… Et, en admettant qu’on le fasse, la chute, et les échec cocasses et nombreux d’Asphodel, devraient suffire à nous faire prendre du recul. Ce livre mérite d’ailleurs une seconde lecture pour mieux apprécier son propos et sa construction, après le twist final.

Objet singulier, sorte d’hybride entre le recueil de poésie ténébreuse, l’artbook d’illustration gothique (par l'illustratrice rennaise Flokera, dont le coup de crayon m'a rappelé celui de l'artiste espagnole Victoria Francès) et le journal intime de dandy séducteur dans la plus pure tradition du « romantisme noir », ce projet est né d’une campagne ulule qui, pareille à un Frankenstein démoniaque, s’est vicieusement retournée contre ses créateurs, puisque les détracteurs du livre faisaient paradoxalement partie des généreux mécènes. Pour ma part, j’ai bien aimé son petit côté rétro, avec la police gothique du titre, les illustrations colorisés à l’aquarelle et l’acrylique, au trait un peu naïf, les impressions de taches de sang sur les pages et les extraits de poésie entre les chapitres, même si je trouve que ce type de présentation peut avoir tendance à entretenir les malentendus sur ce titre, en laissant entendre qu’il s’adresse à un public plutôt jeune. C’est probablement là le souci principal de ce livre : il n’a peut être pas su bien cibler son public. Sans vouloir stigmatiser les moins de 25 ans, ma petite expérience de cette audience me fait penser que cette nouvelle génération de lecteurs n’est, dans l’ensemble, pas prête à accueillir ce genre d’œuvre : il lui manque le recul nécessaire pour éviter de s’engluer dans des positions identitaires et des réactions viscérales. J’invite donc les jeunes offusquées à le relire dans dix ans. Elles auront peut être changé d’avis.

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