De Pierre et d’Os (Bérengère Cournut)

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Résumé : Uqsuralik est une jeune inuit. Formée par son père, traqueur hors pair, à la chasse aux phoques, elle fait montre de capacités de survie supérieures à celles, déjà extraordinaires, de la moyenne des femmes inuit. Le matin même de sa puberté, une fracture de la banquise la sépare de sa famille, mettant ses capacités de survie à l’épreuve et marquant le début d’une longue quête initiatique…

Voilà une histoire comme je les adore ! Roman d’apprentissage, quête mystique, mais également récit de survie dans tout ce qu’elle a de plus élémentaire, qui nous parle d’un monde, d’un temps « où hommes et animaux partageaient le même langage ». Il ne s’agit pas véritablement de fantastique, mais les éléments surnaturels sont bien présents. Pour les Inuit dont l’auteur se fait ici le porte-voix, les esprits – animaux, des morts ou autres – font partie intégrante du paysage. Les hommes doivent composer avec eux : par le biais de l’alliance, magique, d’abord, puis matrimoniale, bien sûr, puisque le ou la chamane prend toujours femme ou époux dans l’autre-monde. L’auteur, qui a bien potassé ses classiques (de Jean Malaurie à Knut Rasmussen, avec un petit détour chez Roberte Hamayon peut être ?), n’oublie pas cette loi anthropologique. En cela, son récit, très documenté sans être didactique, évoque les meilleurs ouvrages d’ethno-fiction. Tout le long de la lecture, j’ai pensé notamment au sublime l’Étrangère aux yeux bleus (2004) de Youri Rytkhéou, auteur tchoutchke, qui raconte la vie de l’un des derniers chamanes sibériens par les yeux d’une ethnographe russe ayant tout lâché pour vivre parmi eux.

Le Nunavut – la terre des Inuit, qui s’étend originellement de la Sibérie au Groenland – est un monde dur, composé de tragédies élémentaires et de joies simples. Un monde où la vie s’arrache à coups de dents, littéralement, un monde de sang, de pierre et d’os. Dans ce monde minéral, l’organique est pourtant omniprésent : dans la nourriture qu’on mange – de la viande crue, grasse et sanguinolente – dans la temporalité des corps - qui naissent, s’aiment, se réchauffent, se rencontrent et vieillissent - et dans les passions humaines, animales et spirituelles, qui tournent autour de la chair, du sang, de la jalousie. Tout ces éléments, entremêlés, forment un grand chant polyphonique, celui du vivant.

Les hymnes chamaniques émaillent le récit, dévoilant les secrets et l’identité réelle de chacun. Le premier à se faire entendre, c’est celui du Géant « De Noir et de Nuit » , le premier esprit à se révéler à l’héroïne. À la fois effrayante, drôle et étrange, son intervention évoque celle des fétiches dans le dessin-animé Kirikou. De chant en chant, Uqsuralik se révèle et se construit. Comme dans un conte, son chemin sera émaillé de rencontres diverses : chiens, phoques, ours, morses hermaphrodites à tresse, humains à tête de chien, « petites personnes », esprits divers, tour à tour alliés et ennemis. Comme souvent, de ces rencontres, celles avec des humains se révéleront les plus terrifiantes.

Dans ce récit de chasse, de survie et de glace dure, la romance est présente, mais elle va à l’essentiel : on prend le conjoint que les esprits nous donnent, et les enfants sont des âmes qui ont bien voulu se réincarner. Parmi tous les alliés que le destin donnera à Uqsuralik, « la femme-pierre » (dont on ne comprendra le nom qu’à la fin), le plus émouvant reste cet esprit encapuchonné qu’elle finira par fuir, tant sa passion est forte : à chaque rencontre, il manque de la tuer. La jeune Inuit sauvage finira par se contenter d’un époux humain, mais toujours marqué par l’altérité : un chamane d’une autre tribu, le tendre Naja, qui lui apprendra à dompter ses pouvoirs. Des personnages féminins poignants, comme la vieille Sauniq, ou la petite Hila, nous rappellent que les femmes sont les gardiennes de ce cycle éternel de la vie et de la mort : « Car naître ou mourir, cela est si proche… Les femelles le savent, qui naissent et meurent, comme chaque être vivant », nous chante la femelle ovibos, « celle dont la peau sert à draper les cadavres ».

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