Âmes perdues (Poppy Z. Brite)

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Résumé : Nothing est un ado goth mal dans sa peau et incompris de ses parents adoptifs. Sans le savoir, il est le fruit des amours d'une jeune fille enfuie de chez elle et d'un vampire, qui a disparu au petit matin... Une nuit, Nothing décide de partir à son tour et de se rendre à Missing Mile, la ville d'un groupe de rock amateur dont les chansons lui parlent. En parallèle, un trio de vampires féroces et sauvages, beaux comme des anges mais aussi dépourvus de sens moral qu'une troupe de démons, prend la route à son tour...

À une certaine époque de ma vie (car moi aussi j'ai été ce genre d'ado qui porte exclusivement du noir, écoute du métal et achète des fanzines en rêvant à des jours - des nuits pardon - meilleures), je lisais avidement tout ce qui avait trait aux vampires. C'était bien avant le cataclysme Twilight, et la littérature vampirique de l'époque constituait ce qu'on peut appeler aujourd'hui "le second âge d'or des vampires". Dans ces histoires, les vampires étaient punk, goth et glam, ils étaient à la fois très méchants et très romantiques, mais en tout cas, ils n'allaient jamais au lycée (même si leurs victimes, elles, fréquentaient cette horrible boîte à formater les cerveaux). Je crois que des vampires qui vont au lycée, c'est complètement antinomique. Avant qu'une certaine Stephanie Meyers s'en empare pour le jeter en pâture au public mainstream, le vampire était la figure par excellence de la subversion. Et le prince du mal ne peut pas aller au lycée. C'est impossible. Point.

Bref. À cette époque bénie, donc, Poppy Z. Brite faisait partie du corpus obligatoire. Mais je l'ai lue trop jeune, et, abreuvée d'Anne Rice et consorts, je ne l'ai pas comprise. J'ai donc reposé le bouquin au bout de dix pages et je l'ai enterré dans un carton. Vingt ans plus tard, à l'occasion d'un déménagement, je le retrouve dans le dit carton, avec son marque-page à l'endroit où je l'avais lâché. Et je décide de reprendre la lecture, pour voir. Du début. Et là, parvenue au bout de ces dix pages fatidiques... Boum. C'est la révélation. Parce que c'est là que le récit commence réellement : au moment où Nothing décide de prendre la route. Le reste n'est qu'un prologue, magnifique, onirique et malsain, mais dans lequel il ne se passe pas grand chose. Cette fois, la magie opère, et je suis totalement happée par l'histoire. Comme tous les bouquins que j'apprécie, je le torche en trois jours. Il résonnera dans ma tête pour les trois mois suivants.

Ce bouquin a pour moi la saveur surannée des années 90, cette époque bénie où se peindre les ongles en noir, porter une épingle à nourrice en guise de boucle d'oreille et lire le fanzine Requiem était une vraie rébellion, où l'info se transmettait à coup de textes photocopiés dans un garage et où on achetait les CDs à la Fnac en se fiant à la jaquette. Tout était artisanal et, finalement, de meilleure qualité. Mais je me disperse. Revenons au bouquin. La vie, les rêves, les dégoûts de Nothing, donc, c'est ceux des ados goth de cette époque. Je parie même que certains aspects de cette vie paraitront complètement incompréhensibles pour un jeune passionné de vampires d'aujourd'hui : le manque de ressources, ou le fait qu'il doive renvoyer une carte trouvée dans la jaquette d'un CD pour avoir des infos sur son groupe préféré, entre autres.

Cependant, même si ce livre parle à merveille de l'adolescence - et de ce type d'adolescence en particulier - je ne le donnerais pas à lire à ma petite nièce de 16 ans. Pour sa violence, d'abord. Encore une fois, ici, les vampires ne sont pas végétariens. Ce sont des prédateurs, et quand ils mangent, c'est plus crado que l'heure de la pâtée de mes bulldogs. Deuxio, le sexe omniprésent. Souvent sale, amoral, et sans préservatif, entre deux gloutonneries anthropophagiques. Le tout sans avertissement ou condamnation de la part de l'auteur. Que le partenaire soit un homme, une femme, mineur ou même votre propre fils, et qu'il va en perdre la tête ou la vie, on s'en balance, chez ces vampires. L'ambiance, dans ce livre, c'est plus Rob Zombie et ses copains en goguette dans un camion rempli de sang, de drogues et de paillettes qu'affreux vampires poursuivis par des héros qui en triomphent à la fin. Ici, on est du côté des vampires, avec tous leurs vices : "le goût du sang, du sperme, des ébats, du vin et des nuits enchantées". Vous êtes prévenus. Si cet aspect m'avait rebuté à l'époque (on peut être très conformiste lorsqu'on est jeune), il m'a séduit à la relecture : je trouve qu'il apporte une dimension supplémentaire à la dangerosité du vampire, qui est un prédateur impitoyable sur tous les plans, y compris sexuel.

Le troisième aspect que j'ai vraiment apprécié dans ce livre, c'est la mythologie autour du vampire, que je trouve à la fois fondamentale et originale. Dans Âmes perdues, les vampires constituent une espèce à part, qui peut survivre au jour (tout en était essentiellement nocturne) et se reproduire avec les humains (à qui cela coûte la vie). Ensuite, il s'agit d'une race quasi-éteinte, en pleine dégénérescence. Suite à des siècles d'adaptation au monde humain, les nouvelles générations ont perdu leur crocs et sont obligées de se tailler les dents en pointe (cela constitue même une sorte de rite d'intronisation des semi-vampires dans la société vampirique). On peut les tuer, mais difficilement. Les symboles chrétiens ne marchent pas sur eux, même s'ils détestent le christianisme qui les a condamnés. Ils forment une sorte de société de l'envers, à l'opposé du "monde du jour, le monde de la raison". C'est le genre de détail qui me fascine et ce que je recherche dans ce genre de littérature.

Enfin, parlons un peu de la forme : Poppy Z. Brite, avec son écriture vénéneuse, magique et sensuelle, tout en étant simple et jamais lourde, écrit vraiment bien. Il faudrait que je la lise en anglais pour voir. En tout cas, le traducteur a fait du bon boulot (il y a juste un mot, au début, qui m'a fait tiquer : la chaîne "haute fidélité", une machine qu'on a jamais appelé ainsi en France ^^; ). La construction du récit, quoique simple d'apparence, est très bien maîtrisée également : avec un démarrage lent, tout va de plus en plus vite, jusqu'à l'apex à Missing Mile et la résolution du récit, avec la re-descente dans le monde réel. Un véritable trip, en somme. Je vous le conseille, c'est un bon cru. Mais ne donnez pas cette pilule bleue à votre petite sœur de douze ans, et ne venez pas me voir ensuite en me disant "mais qu'est-ce que tu nous a fait lire encore, Maxence !". Il y en aura d'autres comme ça, je vous promets !

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