Chapitre 8

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La vue du littoral était tout simplement magnifique. Le soleil, s’embrasant dans l’horizon, embellissait la mer avec ce rouge et cet orange. Les vagues s’entrechoquaient contre les parois des collines, et la brise fraîche faisait monter l’odeur salée. Hjalmar contempla ce paysage féérique. Ce n’était pas la première fois qu’il observait le crépuscule, seulement, c’était un tout autre tableau par rapport à celui de son île.

« Qu’est-ce que tu attends, Hjalmar ? Demanda Walfrid d’un ton froid. »

Le blond soupira doucement, il ne pouvait même plus apprécier un instant de tranquillité à cause de cette boule nerveuse. Le brun avait toujours été ainsi ; nerveux, dynamique, colérique et énergique. Impatient comme il était, il aimait que tout soit fait le plus rapidement possible.

Hjalmar rejoignit le groupe à la plage. Les poings sur les hanches et le menton levé, Walfrid l’accueillit avec un regard désapprobateur.

« T’as finis de rêvasser ?

-Lâche-moi la grappe. »

Le brun alla rétorquer, mais fut empêché par Ansfrid qui lui ordonna d’embarquer par un simple regard. Ils montèrent tous à bord de la petite barque. Hjalmar se retrouva assis sur Folker et Walfrid sur Ansfrid. Tous les quatre gênés et embrassés par la tournure des évènements. Leur fierté masculine venait d’en prendre un coup.

« Tu pourrais arrêter de gigoter ? Demanda le petit blond sur la défensive.

-Calme-toi, p’tite tête. C’est pas comme si je te voulais sur moi. Répondit le métisse, dégouté.

-Taisez-vous tous les deux. Rétorqua Ansfrid. Nous n’avons pas d’autres choix.

-Supportez-le jusqu’à ce que nous arrivions sur un îlot. Dit Wilfrid, une carte à la main.

-Je pense qu’il y a un autre problème. Déclara Erling en montrant la chienne, accrochée à sa jambe.

-Tu l’as prise avec toi ! Accusa Walfrid en se levant brusquement.

-Je ne l’ai pas volée, si c’est ce que tu insinues. Répondit le ténébreux d’un ton calme.

-T’aurais pu la laisser sur la terre ferme !

-Essai de la décrocher de ma jambe, nous verrons si tu feras le malin.

-Oh il n’y a pas qu’elle que j’ai envie de décrocher !

-Fermez-là ! »

Quand Ansfrid haussait le ton, ça donnait toujours un effet glacial. Il n’avait pas la voix la plus grave du groupe, mais lorsqu’il hurlait, toute sa virilité sortait d’un coup. Cependant, cette fois-ci, c’était différent. Erling avait senti une divergence. C’était comme un écho, répercutant la propre voix d’Ansfrid. Grave, éraillée et monstrueuse.

Walfrid reprit place sur les jambes de l’aîné tandis qu’Erling détourna son regard sur Gunnar. Cette dernière s’était encore plus collée à lui, la langue toujours pendue et ses yeux rivés sur le ténébreux. De ses yeux de jais, il observa sa main tremblante. Etait-il le seul qui avait remarqué ? Les autres ne semblaient pas s’en être rendu compte. Soudain, les souvenirs de la dernière fois surgirent dans ses pensées. Il les chassa rapidement.

Six heures plus tard.

Hjalmar et Folker accostaient la barque sur le sable doux de l’îlot. Les autres avaient déchargé leurs sacs qu’ils avaient déposés sous un palmier. Gunnar s’était mise juste à côté où elle s’endormit.

« Où sont nos armes ? Demanda Ansfrid au groupe, épuisé du voyage. »

Ils le regardèrent un instant, silencieux. Ce fut Wilfrid qui hurla d’horreur. Il accourra vers la barque et chercha sous les planches et couvertures. Rien.

« Nous avions bien emmené des armes, rassurez-moi. Dit l’aîné, abasourdi par cette situation.

-Et merde ! Rugit Walfrid en frappant son sac. Comment avons-nous pu oublier !

-Ce voyage tourne au cauchemar. Murmure Hjalmar pour lui-même.

-Comment allons-nous faire, maintenant ? Nous sommes au beau milieu de nulle part sans aucun moyen de défense ! Dit Folker en frottant sa main contre sa tête, signe de frustration.

-Calme-toi, s’énerver ne résoudra rien. Clama le cadet qui s’était assis en tailleur.

-Que je me calme !? Nous sommes bloqués ici, sans armes et rien qu’une minuscule barque pour voyager ! Comment ferions-nous face au Gardien !? Lui donner à bouffer, peut-être ! Craqua le métisse, il faisait les cent pas désormais.

-Ça ne sert à rien de t’énerver, ça ne fait qu’empirer la situation. Rétorqua Ansfrid.

-Arrête de jouer au chef, toi ! N’oublie pas que c’est en partie de ta faute si nous nous sommes retrouvés là !

-Il ne vous a pas demandé de nous accompagner que je sache ! Intervint Walfrid.

-Ne te la ramène pas !

-Cessez vos engueulades à la con ! Ce n’est pas du tout le moment ! Interrompit le cadet.

-Arrête de te mêler de ce qui ne te concerne pas. Dit Hjalmar à Wilfrid. C’est chiant à la longue.

-Au moins, j’essaie de calmer le jeu au lieu de rester assis à ne rien faire.

-Ne crois pas que tu es le seul à réfléchir à une solution. »

BAM

Hjalmar et Wilfrid se turent avant de se tourner vers Folker et Walfrid. Ces derniers se battaient de toutes leurs forces. Le métisse envoya plusieurs coups au brun qui les esquiva avec vitesse. Le point faible du gros balaise fut la lenteur de ses poings. Bien qu’ils soient puissants, ils manquaient cruellement de rapidité. Walfrid évita un autre coup avant d’en asséner sur le ventre de son adversaire. Folker eut un sourire moqueur. Le brun fut rapide et souple, mais son manque de puissance ne fit rien au métisse. Celui-ci le frappa au visage, l’envoyant à un mètre loin de lui.

Le cadet intervint. Il retint son frère qui gigotait dans tous les sens, lui ordonnant de le lâcher. Du sang coulait de son nez.

Ils furent tous frustrés, angoissés et stressés par la dangerosité de ce périple. Aucun d’eux n’avait prédit la mort de leurs camarades, ni que leur inconscience allait les conduire à leur perte. Ansfrid se sentit coupable. S’il n’avait pas lu ces fichues lettres, seraient-ils toujours sur leur île ? S’il avait ignoré la disparition de son père, auraient-ils eu une chance de survivre ? Sa main droite trembla. Il n’entendit plus rien, les cris et disputes de ses compagnons se changèrent en un brouhaha infernal. Sa tête bouillonna de l’intérieur. Il sentit la même brûlure d’autrefois au niveau de son torse. Sa respiration se saccada. Puis, un vertige le prit.

Enfin, le trou noir.

« Vous allez vous calmer à la fin ! Hurla Erling, Gunnar se réveilla en sursaut. »

Les deux individus ne l’entendirent point de cette oreille. Walfrid –qui s’était libéré de l’emprise de son frère- fonça sur Folker. Hjalmar fut pendu sur le bras de ce dernier, impuissant face à ses muscles. Inconsciemment, le petit blond se retrouva au milieu du combat. Angoissé, Erling leur cria une nouvelle fois d’arrêter, en vain. Le ténébreux eut un mauvais pressentiment. Il eut la chair de poule lorsque son regard tomba sur la figure d’Ansfrid. Il fut affreusement calme et ne fit aucun mouvement depuis le début de la dispute entre Folker et Walfrid.

Sans crier gare, Wilfrid lui tomba dessus. Il fut jeté par Folker qui était au-dessus de Walfrid, en train de l’étrangler. Hjalmar fut sur le dos du métisse, essayant tant bien que mal de retirer ses mains du cou du brun. Erling poussa le cadet, ce dernier se leva rapidement avant de trébucher et de retomber sur le ténébreux.

« Mais dégage !

-Ne crie pas à ton tour ! »

Soudain, les deux bruns se retrouvèrent à flotter dans les airs. Intrigués par ce phénomène, ils s’accrochèrent au tronc du palmier. Même les cailloux et les grains de sables se mirent à voltiger au-dessus de l’îlot. Bien qu’il n’en ait pas eu l’expérience, Erling reconnut cette capacité étrange. Ses yeux se dirigèrent automatiquement vers Ansfrid qui fut à moitié enfoui sous l’aura noir.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? Chuchota Wilfrid, à la fois ébahi et effrayé devant son cousin. »

Le ténébreux reconnut l’œil marin. La main effroyable de la dernière fois surgit de la brume noirâtre et fonça sur les trois autres compagnons. Ces derniers, surpris par la soudaine attaque, crièrent de douleur lorsqu’ils furent empoignés avec force. Tous les regards se tournèrent vers l’aîné du groupe.

Son côté humain fut en léthargie. Son œil turquoise n’exprima rien, il fut vide. Comme tous ses muscles d’ailleurs. En revanche, l’autre moitié fut vive et pleine d’énergie. Un demi-sourire accroché à sa bouche. Les sortes de flammes noires se propageaient lentement sur tout le corps d’Ansfrid. Une autre main, moins imposante que la première, se rapprocha dangereusement d’Erling et de Wilfrid.

Quand tout à coup, la terre se mit à trembler. La mer se perturba tandis que le ciel s’assombrit de plus en plus. De grosses vagues se formèrent, balayant l’îlot. Toujours empoignés, les trois hommes virent une sorte de colline surgir du fin fond de l’océan, provoquant un tourbillon géant. La barque fut engloutie par le gouffre marin qui se rapprochait rapidement de la petite île. Le Charybde.

« Nous ne pouvons jamais passer un jour sans que rien ne puisse arriver, merde ! S’énerva Hjalmar.

-Ces foutus dieux ont maudit toute la terre ! Rugit Folker en se débattant de l’emprise d’Ansfrid. »

L'aîné observa la catastrophe se diriger vers lui. Il ne fit rien jusqu’à la dernière seconde. Soudain, il se retrouva projeté vers le ciel, toujours avec ses camarades. Il changea de trajectoire et fonça sur un ongle horizontal avant de se laisser tomber et d’atterrir sur un rocher, éloigné de plusieurs mètres du Charybde.

« J’ai envie de gerber…Gémit le métisse.

-C’est moi ou il maîtrise la gravité à sa guise ? Commenta Erling, la tête à l’envers.

-La gravité ? Dirent en chœur Walfrid et Hjalmar.

-Vous étiez trop « occupés » pour remarquer quoi que ce soit. Répondit Wilfrid d’un air blasé, il était dans le même état qu’Erling. »

Le corps d’Ansfrid se changea en une chose lugubre. Ce n’étaient pas des flammes, mais ça y ressemblaient. Seul son œil gauche était resté indemne. Le gouffre s’arrêta net, tourna et s’élança vers le petit groupe. Un nouveau bras surgit du corps de l’aîné. La nouvelle main se serra en poing et Ansfrid se jeta sur le Charybde. Et dans un rugissement terrifiant, il frappa la chose et l’explosa en mille morceaux.

Il atterrit sur le rocher, observant les pierres du gouffre couler dans les profondeurs des océans. Ansfrid tomba à genoux. L’ombre se dissipa lentement de son corps -faisant tomber ses compagnons à la mer- avant de s’évanouir.

Les autres hommes s’accrochèrent au rocher et considérèrent leur camarade. Ce dernier était exténué, toute son énergie s’était faite absorber par cette chose. Wilfrid sortit de l’eau et essaya de le réveiller, en vain. Erling le rejoignit.

« Qu’est-ce que c’était que ça ? Demanda Hjalmar dans un murmure, de peur de « le » réveiller.

-Vous étiez au courant ? Continua Folker, les jambes rigides par les mouvements trop rapides d’Ansfrid.

-C’est la première fois que nous voyons ça. Répondit le cadet, les yeux fixés sur les cheveux bruns de son cousin.

-Je l’ai vu. Déclara le ténébreux, la tête baissée. Tous les regards se tournèrent vers lui. C’était lors de l’attaque du Gardien. Il te tenait dans ses bras et criait de rage, il avait tué la bête en transperçant son torse avec ses mains. »

Aucun n’osa dire un mot. Ils étaient encore sous le choc de cette découverte monstrueuse, voir leur aîné se transformer en un démon était une chose difficile à croire. Surtout pour les jumeaux, eux qui le connaissaient depuis leur enfance, ils ignoraient ce côté-là. A aucun moment, Ansfrid n’avait fait preuve d’autant d’agressivité et de violence. Il avait, certes, combattu contre Folker quand il persécutait Wilfrid, mais jamais, ô grand jamais s’était changé en cette chose effrayante. Les frères doutèrent un instant. Connaissaient-ils vraiment Ansfrid ?

«Où est Gunnar? Demanda Erling en regardant autour de lui

Au-dessus d’eux, où l’aube se leva, un trou noir se forma. Sentant le danger, Erling se mit en défense avant d’être suivi par ses compagnons. Ils fixèrent le trou. Un homme en sortit. Il eut une longue chevelure écarlate, des yeux cristallins et une peau aussi blanche comme neige. Il fut vêtu d’une combinaison claire. Son regard se porta sur la nouvelle génération avant d’observer le corps d’Ansfrid. Il fronça les sourcils.

« Eldrid. Dirent en chœur les jumeaux.

-Les descendants du survivant, le prince sans visage, celui qui détruira le monde et deux moustiques. Dit le dénommé Eldrid.

-Faites attention. Mit en garde le cadet. C’est un titan capable de maîtriser le feu.

-Comment veux-tu qu’on fasse attention sans armes. Répliqua le ténébreux. »

Wilfrid n’eut pas le temps de répliquer qu’une énorme boule de feu se dirigeait vers eux. Par réflexe, ils se jetèrent dans l’eau, Walfrid tirant son cousin par a veste à moitié lacérée. Ils remontèrent rapidement à la surface avant de découvrir la taille gigantesque de leur adversaire. Folker jura dans sa barbe tandis que Hjalmar perdit tout espoir de survie. Erling plongea son regard dans celui d’Eldrid, ce dernier n’avait pas lâché Ansfrid du regard. Il tendit sa main vers eux et conta des mots incompréhensibles. Son membre s’illumina, puis, le titan se pencha vers les six hommes et les empoigna sans grande difficulté. Le petit groupe se débattait tant bien que mal, en vain.

Six tourbillons apparurent sur le ciel. Tenant Ansfrid fermement, Wal tendit sa main vers son frère pour qu’il la tienne et ne pas lâcher. Tous s’accrochèrent l’un à l’autre, attendant leur sentence. Leur jetant un dernier regard, Eldrid envoya chacun d’eux valser dans un trou avant qu’il ne disparaisse dans l’atmosphère.

« Adieu, pourritures. »

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