Chapitre 2

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Le soleil se leva doucement sur le village, ses premiers rayons éclairèrent les champs et les plaines. Le coquerique réveilla les habitants du village. Les hommes se levèrent en premier, il y avait un petit comité d’ici quelques heures, ils devaient être prêts. Les femmes préparèrent le petit déjeuner tandis que les enfants furent déjà dehors à courir partout. Quelques devantures s’ouvrirent alors que d’autres non. Le village n’était plus aussi animé depuis la veille, la scène des incendies ravageant leurs maisons sera toujours ancrée dans leur mémoire.

« Je vous dis que c’est la persécution des dieux ! Rugit un vieil homme de plus de soixante ans. »

Le comité avait débuté. Les hommes étaient tous réunis dans une vieille bâtisse. Cette dernière datait du temps de la guerre. Elle avait été bâtie comme protection contre l’attaque des dieux ; la pierre utilisée était l’une des plus résistantes de toutes, elle ne succombait point aux forces divines. Le vieil homme avait combattu contre les dieux, il était témoin de leurs forces dévastatrices.

« Tais-toi, vieux croulant ! Les dieux ont péri !

-Vous n'êtes qu’une bande d’ignorants ! Vous ne connaissez pas l’étendue de leur pouvoir. Ce sont des monstres, des bêtes déchaînées assoiffées de sang ! Vous n’avez pas vu le désastre qu’ils ont causé, vous n’avez jamais vu vos proches mourir d’une manière atroce !

-Je crois que le vieux a raison…Dit Walfrid, assis dans un coin de la pièce. »

Tous se retournèrent vers lui. Depuis leur arrivée, les deux frères n’avaient prononcés mot, ils s’étaient éloignés de la foule et avaient préféré observer de loin. Walfrid écoutait attentivement depuis le début de la réunion tandis que Wilfrid scrutait les environs espérant tomber sur la touffe d’Ansfrid. Ce dernier n’était pas rentré la veille, il avait pris une bougie et était resté sous un arbre à lire toutes les lettres. Wilfrid s’inquiétait.

« Arrêtez vos foutaises, vous voulez simplement propager la panique dans le village.

-Que vous faut-il de plus pour vous faire comprendre…Soupira le vieux. »

BAM !

La porte s’ouvrit soudainement, claquant contre les parois poussiéreuses de la bâtisse. Une silhouette robuste se tenait à l’encadrement. Assis sur une chaise roulante, il avait de longs cheveux ébène qui dépassaient son bas du dos et son œil droit était camouflé par un cache-œil. Il avança grâce au jeune homme -qui poussait sa chaise- dont les yeux turquoise firent taire l’assemblée. Wilfrid soupira de soulagement avant rejoindre Ansfrid et son père, suivi de Walfrid.

Le cadet se permit d’observer le brun. Ce dernier avait de grosses poches noires en-dessous de ses yeux rougis par les larmes, les traces de boue sur son visage et ses vêtements étaient une preuve qu’il avait dormi à la belle étoile. Wilfrid voulut lui poser la question. Il voulait savoir ce qu’il avait lu, mais il s’abstint. Ce n’était ni l’endroit, ni le moment. Surtout sous les regards méprisants des autres hommes.

Certains des villageois détestaient Ansfrid. Ils le voyaient comme un échec, une erreur qu’avait commise Albert parce qu’il avait trouvé Dagmar belle, un instant. En fait, ils haïssaient Albert également ; il avait osé laisser une femme s’occuper de son enfant, seule, alors qu’il aurait pu l’aider au lieu de s’enfuir pour vivre son rêve stupide. C’était enfantin et immature. Ils voulaient les chasser du village, de l’île tant ils les détestaient. Mais ils n’en firent rien parce qu’ils étaient sous la protection d’Odal, un homme respecté et aimé. Ce dernier se positionna sur l’estrade de la pièce, il arborait un regard sérieux et légèrement grave. Il observa toutes les personnes présentes dans la bâtisse avant de se racler la gorge.

« Je crois que ce serait inutile d’essayer d’expliquer ce qui était arrivé la veille. Malgré tout notre savoir, notre développement et notre intelligence, vous savez aussi bien que moi que ça ne peut être que l’œuvre des dieux. Dit-il calmement avant de faire une pause le temps que le brouhaha cesse. J’ai parlé aux esprits et…

-Tu es aussi fou que l’ancien ! Le coupa un homme de grande taille. Tu ne nous duperas pas avec cette supercherie !

-Je suis d’accord ! Cria un autre. Tu n’as plus ta tête depuis ton retour, tu parles aux esprits, tu pries chaque soir au sommet de la montagne ! Tu n’avais pas seulement perdu tes membres, mais ton cerveau aussi. »

Le chahut recommença. Odal ne dit rien, il attendit que le silence revienne. Par contre, Walfrid commençait à perdre patience, il serrait les poings et grinçaient les dents. Ô combien ils pouvaient être pénibles, parfois ! Il les regarda tous un à un, certains étaient silencieux et exprimaient de la confusion alors que d’autres rugissaient comme des chiens. Ces derniers étaient plus souvent les plus idiots et têtus, le genre qui ne voulait rien entendre malgré les nombreuses preuves. Walfrid inspira profondément avant d’avancer vers la table, il leva la main et un bruit sourd fit taire la foule.

Walfrid fut surpris par le bruit ; sa main était toujours suspendue en l’air. Il se retourna doucement avant d’apercevoir le poing d’Ansfrid collé au mur, ses yeux rouges n’exprimaient qu’impatience et colère. Sa respiration était légèrement saccadée.

Wilfrid observa son aîné, il décela en lui un profond chagrin et ce, dès son entrée dans la bâtisse. Et depuis le début du discours de son père, Ansfrid avait la tête baissée, ses mains tremblantes s’étaient serrées au fur et à mesure que l’allocution continuait. Le cadet avait également remarqué une certaine répression, comme s’il voulait camoufler un sentiment. Puis, les cris reprirent et Ansfrid avait frappé le mur tant il ne supportait plus aucune parole.

« Comme je disais, j’ai parlé aux esprits. Les dieux sont dans une rage effroyable ; lors de la grande Sanglante, les habitants du nord avaient mis fin à une des déesses, Nèsoi. Celle-ci s’est réincarnée en une petite fille, loin du monde, toutefois, elle a été enlevée et les dieux la cherchent partout, ils maudissent nos terres pour qu’on la leur rende.

-Nous ne l’avons pas, leur stupide déesse !

-Va leur faire comprendre ! Grogna Walfrid. Pour eux, nous sommes des êtres corrompus et non dignes de confiance, ils nous prendront pour des menteurs à coup sûr !

-Là n’est pas le problème. Répliqua Odal. La disparition de Nèsoi est notre plus gros souci, s’ils ne la retrouvent pas, notre monde disparaîtra pour de bon…

-Nous les combattrons alors ! Comme auparavant !

-Arrêtez vos sottises ! Réprima le vieil homme. Vous ne savez pas ce qu’est la guerre, arrêtez de souhaiter des choses que vous regretterez.

-…Personne ne souhaite un tel massacre, pas une seconde fois. J’ai pu entrer en contact avec les îles des environs et nous avons été d’accord d’envoyer plusieurs bateaux à la recherche de la réincarnation.

-Comment !?

-Non !!

-Je réfute cette idée ! »

Les objections fusèrent de part et d’autre. Certains réclamaient leurs droits, d’autres juraient la décision d’Odal. Les deux frères furent surpris du choix de leur père, ils ne s’y attendaient pas du tout. Certes, Odal avait changé durant ces dix dernières années, il s’était construit un petit temple en bois où il priait matin et soir. Parfois, il passait des journées entières à communiquer avec les dieux, il s’était même excusé de sa naïveté et de son ignorance auprès d’eux. il était devenu un homme de foi.

Wilfrid ne sut quoi dire. D’une part, il était évident que sacrifier plusieurs vies pour celle d’une déesse -réincarnée en une gamine- était de la pure folie. Bien qu’il n’ait jamais rencontré de dieux, il avait compris de par les récits contés par les survivants qu’ils étaient une menace pour la race humaine. Qu’ils profitaient de leurs étranges pouvoirs afin de l’exterminer. D’autre part, ne serait-ce pas le meilleur moyen de mettre fin à ce combat désolé ? A cette haine qui dure depuis des décennies ? Il était temps d’enterrer la hache de guerre une bonne fois pour toutes.

L’assemblée procéda au vote ; cinquante contre dix-huit, ils n’enverraient pas de bateaux.

Ansfrid marchait lentement vers la maison de ses cousins où sa mère se reposait. L’habitation d’Odal avait échappé à la catastrophe. Elle était située derrière la bâtisse, éloignée de plusieurs mètres seulement.

Ses pas le guidaient mollement vers la porte d’entrée. Il salua Borglinde d’un signe de la main avant de se diriger vers la chambre où dormait sa mère. Cette dernière était couchée sur un lit fait de pailles -couverte par un drap rose pâle-, son teint était plus coloré, elle ne transpirait plus, ne s’agitait plus. Ansfrid prit place sur la chaise à côté du lit et observa cette femme qu’il chérissait de tout son cœur. Elle ne s’était pas encore réveillée depuis son évanouissement de la veille. Ses yeux défilèrent sur ce corps caché sous ce fin tissu et il put remarquer l’absence de sa jambe droite. Un frisson lui parcourut l’échine ; elle a été amputée. Il n’avait pas pu la protéger, il n’avait pas réussi à prendre soin d’elle. Au lieu d’être resté auprès d’elle, il s’amusait à la rivière. Quel abruti de fils !

Une larme tomba sur sa main, serrée dans celle de sa mère. Depuis hier, rien n’allait dans l’esprit du brun. D’abord l’incendie, puis sa mère et enfin ces maudites lettres. Il les avait lues, toutes sans exception. Il s’était focalisé sur chaque mot écrit, chaque gribouille, chaque phrase mal exprimée et lisait entre les lignes. Il essayait de les déchiffrer, tout simplement. La toute dernière lettre était écrite sous forme d’un poème d’adieu, son géniteur jetait sa vie avec sa mère dans les oubliettes du passé pour en construire avec une autre qu’il avait rencontrée lors de son voyage.

La porte s’ouvrit doucement sur les jumeaux. Le cadet portait une petite bassine d’eau fraîche et une éponge, il se mit aux côtés de Dagmar et lui essuya le visage et les bras. Walfrid se tint devant Ansfrid, une main réconfortante du son épaule. Il était difficile de voir leur grand frère dans cet état, lui qui avait souffert d’un manque paternel. Malgré les efforts d’Odal qui souhaitait combler ce vide…Il n’avait jamais réussi.

Dagmar rafraîchie, Wilfrid se débarrassa de la bassine et de l’éponge au coin de la pièce. Il les mit derrière la table de chevet où il trouva -avec surprise- un bout de papier chiffonné, caché sous le meuble. Il jeta un regard vers les deux hommes, trop préoccupés pour le remarquer. Il déplia discrètement le papelard et tomba sur un poème ;

« Salutations les plus sincères,

A mon amour éphémère,

Un cœur changera,

Veuve tu deviendras,

Elite, il sera,

Mon héro mourra,

Oublié dans les abysses,

Ici, je rejette mon fils. »

« Toujours aussi fouineur…Dit Ansfrid, debout derrière le cadet. »

Ce dernier sursauta et se cogna la tête contre la table, il grogna de douleur en tombant au sol. Walfrid ne put s’empêcher de pouffer dans sa barbe, trouvant la scène hilarante. Puis, son rire fut suivi de celui d’Ansfrid, ce dernier aida Wil à se relever et le dépoussiéra. Le cadet les rejoint dans leur délire. Il leur fallut plusieurs secondes pour se calmer. Wilfrid plongea ses yeux dans ceux turquoise de l’homme en face de lui et sans un mot et aucun signe, ils se comprirent.

L’histoire sortit en vrac. Les lettres s’emmêlaient dans sa tête, il mélangeait les évènements. Il ne savait plus s’il oubliait certains ou s’il en avait rajouté, tout ce qu’il voulait désormais, c’était de vider son sac. Il leur conta les aventures de son père, du périple vécu, de son combat contre des dieux, contre des pirates et de la Marine. Sa découverte de créatures étranges et puis, de son envie de changement. C’était à la fin de la 1713e lettre qu’il avait abordé le sujet. Son père désirait se détacher du passé et oublier la vie qu’il avait avant son voyage. Albert avait rencontré une autre femme, plus belle, plus intelligente et gracieuse que sa mère. Il était tombé sous son charme et avait fini par l’épouser.

Ansfrid racontait en pleurant. Au fond de lui, il avait également espéré le retour de son père inconnu, de goûter à son étreinte, de sentir son odeur. Juste de le voir devant lui, seulement et rien que ça. Alors que lui construisait sa vie avec une autre femme…

Les deux frères restèrent silencieux tout au long de l’histoire. Ils l’écoutaient avec intérêt, essayant de mémoriser toutes les informations importantes. Le plus jeune du Trio ressortit le poème de sa poche avant de le lire une nouvelle fois. À son entente, Ansfrid frappa le sol d’un coup de poing.

« C’est étrange…Commença Wilfrid, ses yeux rivés sur la lettre. Il y a quelque chose qui cloche...

-De quoi parles-tu ? Répliqua son jumeau.

-Il y a des mots qui ne sont pas à leur place, en fait, il y a des phrases qui n’ont aucun sens…Les quatre premiers vers parlent de tante Dagmar, puis il parle d’élite et d’héro et juste après il cite Ansfrid, est-ce logique ? »

Wil donna la lettre au concerné qui essaya de la déchiffrer pour la énième fois. Le cadet avait raison, ce poème ne tenait pas la route. Ansfrid tourna le papier sur tous les ongles. Soudain, il le vit, le message caché. Il avait passé la veille en deuil de la trahison de son père au point de n’avoir réussi à comprendre correctement le véritable message.

« -Sauve-moi…Chuchota Ansfrid…Sauve-moi ! »

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