Aucune plainte, aucune explication

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3 ans plus tard
Howard

-Pauvre Harper, gémit le majordome.

-Il ne s'en est jamais plains ! ajouta la nièce.

-Et pourtant, aucune explication, soupira la Marquise venue s'éjourner à Harper-Barnes.

C'était partout pareil, que je sois au Village ou ici, quand ils me voyaient j'entendais toujours la même chose. Je roulais des yeux chaque fois que ces mots sortaient de leur bouche. Je n'étais pas sourd, pourtant eux faisaient comme si. Cela m'agaçait fortement mais je ne disais rien.

-Trop bien éduqué, me disais-je.

Depuis tout petit, mon caractère n'avait pas beaucoup changé. Du moins pas du tout. Jamais je ne me suis plains -du moins je n'en avais pas le souvenir-, mon air mystérieux et le regard fuyant permettant aux autres bourgeois de me surnommer Discret. Pas très original je dois vous l'avouer bien que ce surnom collait parfaitement à mon caractère. Je l'étais beaucoup car depuis tout petit les décès de ma famille s'ensuivèrent. Hop! un orphelin de plus mais un orphelin accédant au thrône. La Marquise appellée Colette me répétait souvent que la chance dans ma famille n'avait jamais existé. Et je la croyais car j'étais bien d'accord avec elle. Avec tous ces décès, les personnes autour de moi pouvaient penser que je devenais fou.

Pourtant, ce que les gens ne savaient pas de moi c'est que je menais une autre vie. Tous les soirs, transformé en loup ou en genette, je venais voir la fameuse fille blonde des bois. Elle qui a toujours crut que je demandais à manger, elle me nourissait. Je savais qu'elle lisait dans mon regard, ce n'était pas une fille comme les autres. Ces cheveux étaient blonds ondulés souvent attachés en une couronne de nattes et la lune illuminait aussi ses yeux bruns couleur jais.

Me tirant de mes pensées, Colette toussota pour marquer sa présence. Je sursautai en manquant de tomber de ma chaise. Je remis ma veste comme si de rien n'était. Elle pencha la tête, sa peau ridée s'étirant face à un large sourire.

-Vous êtes partis loin dans vos pensées mon cher, sourit-elle.

-Excusez-moi, fis-je.

Colette et moi étions dans le petit salon du bas buvant notre café habituel. Le soleil qui brillait peu faisait scintiller ses grands yeux gris comme si la couleur avait recouvert celle d'auparavant. Colette portait une longue robe de printemps bleue marine à dentelles, deux grosses fleurs brodées au bas de sa robe. Ses cheveux d'un mélange gris et blanc étaient attachés en un chignon avec un petit chapeau de paille qui lui donnait un air de paysanne. La tête toujours penchée en me fixant, elle dit :

-Vous ressemblez beaucoup à votre père.

Je me renfrognai.

-Il est mort il y a un an, soupirai-je en détournant le regard.

-Et votre mère il y en a cinq.

Elle marqua un point. Touché par cette remarque, quelques souvenirs avec ma mère revinrent, mes yeux fouillant le sol comme si ceux-ci y étaient coincés. Ma mère était morte par la faute de mon père en étant le sacrifice pour le Grand Comte d'Écosse. Alors que ceux-ci voulaient la guerre, ils acceptèrent ma mère telle une offrande. En réalité, j'ignorais ce qu'ils avaient fait d'elle mais si elle était en vie, elle serait déjà de retour. Lorsqu'elle me l'annonça, j'en voulus énormément à mon père que je ne considérais plus comme tel. Des disputes fulgurantes s'abattaient entre lui et moi durant des années en hurlant l'un sur l'autre. J'appris donc à me défendre rien qu'avec la parole. Pas besoin de se battre physiquement quand on peut blesser mentalement. Mon père annonça au Village qu'elle fut morte emportée par la pandémie. Bien sûr tout le monde y crut et y croyait encore. Seuls mon père et moi le savions. Puis sa mort arriva, ne versant aucune larmes trop en colère. Maintenant il était avec ma mère dans une vie infinie et cela m'allait très bien.

-D'ailleurs, votre grand-père l'est aussi. Hier, ajouta-t-elle.

-Celui que je n'ai pas connu?

Elle acquiesça. Je remis la mèche noire qui tombait sur mon front à sa place avant de finir ma tasse de café et de la reposer.

-Il a laissé un héritage.

-Lui? Vraiment? m'étonnai-je en fronçant les sourcils.

-Oui, votre père ne s'en est pas occupé alors c'est lui qui s'en est chargé.

-Mais il ne me connait pas... baffouillai-je.

Elle haussa des épaules.

-Tout ce que je sais, c'est qu'il est en votre nom, dit-elle.

Je me penchai pour écouter attentivement la suite.

-Je-Je vais recevoir quelque-chose?! Expliquez-vous, insistai-je.

-Bien sûr. Seulement...

Elle marqua une pause en penchant de nouveau la tête. Je détestais quand elle faisait ça, je faillis tourner une nouvelle fois le regard. Simplement, je voulais m'accrocher à ce qu'elle allait me dire. Finalement, elle sortit :

-Vos yeux sont d'un bleu...

-Je me fiche de mes yeux, je veux des détails à propos de l'héritage!

-Bien sûr, excusez-moi, s'offusqua-t-elle. Voilà : je ne sais pas où il se trouve.

-Mais... c'est un héritage!

-Calmez-vous jeune homme, on va le trouver. Puisqu'il appartenait à votre père il ne doit pas être loin.

Je soupirai.

-Vous trouverez ce que vous cherchez.

Un silence s'abattit entre nous avant de me lever et de tendre la main à Colette. Celle-ci posa sa tasse sur la table basse et prit ma main pour se relever. Elle me remercia du regard et partit sans un mot, mes yeux suivant son corps fragile. Elle finit par disparaître derrière les grandes étagères de bibliothèque.

Colette était comme une deuxième mère. Où que je sois, je la trouvais même dans les moments les plus difficiles. Quand ma mère partit, elle était là, quand ma petite soeur partit, elle était là, quand mon oncle partit, elle était là... Tout s'était enchaîné si vite que j'avais l'impression que seule Colette avait compté dans ma vie. J'en étais heureux et j'avais bien l'impression d'être le seul à l'apprécier. Sûrement parce-qu'elle au moins était toujours présente.

La nuit tomba très vite. Vers dix heures du soir, je descendis dans la court pour filer en douce. Je passai par le mur de derrière et me retrouva hors de la deumeure. J'avançai jusqu'à l'entrée du bois Pemberleigh. La lune était cachée par de gros nuages sombres et une brise glaciale soufflait légèrement dans mon dos. J'inspira profondément tandis que le vent soufflait un peu plus fort faisant voler mes cheveux noirs. Ma vision devint plus nette, des crocs se formaient à la place des dents tout en rapetissant. Je fus obligé de me mettre à quatre pattes pour tenir en équilibre.

Le calme revint autour de moi, la brise reprenant son rythme. La respiration sifflante, je repris mes esprits et courut à travers le bois tel un loup affamé. En fait, j'étais un loup. Je venais de me transformer. Vif, je ralentis l'allure pour arriver chez Amélia. Oui, elle s'appelait comme ça. Je l'entendais souvent quand une voix d'homme l'appelait pour faire je ne sais quoi. La langue pendante, j'arrivai enfin à la maisonnette, à quelques mètres. Amélia m'y attendait déjà un panier à la main et sa capuche rouge sur la tête. Pour ne pas l'effrayer comme toujours, je m'assis à trois mètres d'elle et patienta. Elle me sourit marchant lentement jusqu'à moi. Comme toujours, elle tendit la main pour me caresser et comme toujours j'acceptai sans hésitation. Elle me grattait le haut du crâne jusqu'à me caresser lentement sur le dos.

-Tu n'as plus ton poil d'hiver mon grand, souffla-t-elle. Dommage, j'aimais bien quand tu étais tout doux.

Je rentrai la langue et me rassis en penchant la tête. Comme toujours, on se regardait un long moment sans qu'elle ne dise rien. J'ignorai à quoi elle pensait et elle ignorait ce à quoi je pensais. Cela ne faisait rien car sa beauté me suffisait.

-Tiens, finit-elle par dire en me tendant deux morceaux de viandes pas cuites.

Dans une vie humaine, on détesterait ça. Dans une vie animale, on adore la chair de viande alors je dévorai les deux morceaux en un rien de temps. Elle était juteuse, le sang se mettant à couler depuis mes babines. Je m'assis une nouvelle fois, la langue pendante. Amélia gloussa.

Mon regard se porta jusqu'à la petite fenêtre de la maison. J'ouvris grand les yeux, mes pupilles rétressissèrent, mes oreilles se couchèrent. J'étais pétrifié. Le vieil homme était à la fenêtre, m'observant en fumant une petite pipe, le regard noir, les yeux plissés.

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