Chapitre 2.3 - Le chat qui aimait les licornes

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– Je comprends rien à ce que tu baragouines, miaula le chat tigré en reprenant sa tête de crapaud triste.

L'adolescent le posa sur le lit à côté de lui ; il se leva et s'activa autour de la licorne échouée à terre.

– Elle ? s'étonna Matar en observant son manège, les yeux ronds. Dans l'état où elle est, elle fera pas trois pas ! Tu devrais plutôt faire ça avec ton dragon décapité, il est plus costaud.

Il prit conscience de ce qu'il venait de dire et rectifia :

– Oui, bon, le problème c'est qu'il est décapité. Certes. Mais bon.

– Arrête de miauler deux minutes ! grinça son maître. Tu veux faire venir les parents, ou quoi ?

Matar grommela dans ses moustaches et regarda Diogon rassembler la licorne disloquée, la prendre dans ses bras avec délicatesse.

– S'il te plaît, prends vie toi aussi, murmura-t-il à son oreille figée. S'il te plaît. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi. Pour tous ces moments où tu m'as écouté avec patience, où tu m'as supporté. Mais maintenant, c'est l'autre Diogon qui a besoin de toi, d'accord ? Lui, c'est juste un autre moi. Je veux que vous restiez ensemble, que vous vous aidiez. Que vous vous aimiez.

Matar le rejoignit et s'assit à côté de lui.

– Je suis désolé de t'avoir enchaînée si longtemps. Je voulais te garder avec moi. J'avais besoin de toi. J'étais égoïste, je voulais que tu prennes vie, mais sans que tu puisses t'enfuir. J'étais un sale gosse… Mais je te libère cette nuit. Je sais que tu as une âme, tu fais partie des statues qui en ont une. Matar le sait lui aussi. Je suis sûr qu'il t'a déjà vue bouger quand je n'étais pas là.

– Je ne dirai rien, répliqua le chat en roulant des yeux. C'est un secret entre nous.

– Va avec le nouveau Diogon, pars avec lui. Il faut qu'il ait quelqu'un sur qui compter. J'ai toujours pu compter sur toi et sur Matar. Il faut qu'il ait droit à la même chose.

Le garçon déposa doucement sa licorne à terre, rassemblant ses membres épars.

– Je suis désolé de t'avoir faite infirme… Je m'en veux… Mais il est trop tard à présent. Fais de ton mieux…

Il caressa les longues chaînes de sa crinière, qui s'étiraient du cou jusqu'aux poids de bronze scellés sur le plancher. Ses mains habiles détachèrent les lourds anneaux. Un par un. Rendant sa liberté à la créature.

– Voilà. Tu es toute rouillée… J'aurais dû prendre soin de toi… Pardonne-moi.

– Tu ne vas pas te remettre à pleurer ? grogna Matar dont la queue fouettait l'air avec mécontentement.

– Chut, mon gros. (Le chat lui fit les gros yeux.) Maintenant c'est à toi qu'il faut que je parle.

Il le prit dans ses bras et Matar se mit à ronronner dans un réflexe irrépressible. Il adorait l'odeur poussiéreuse qui se dégageait du garçon, une odeur de sculpteur.

– Je vais m'en aller, Matar. Tu ne vas plus me voir. Personne ne me verras plus. Je suis désolé. Je t'aime, tu sais. J'aimerais bien rester rien que pour toi…

Il se rembrunit d'un coup et son visage perdit sa douceur, retrouvant la dureté de l'acier.

– Mais si je reste pour toi, je resterai pour les autres aussi. Je ne veux plus les voir, tu comprends ?

Il grattouilla le menton du gros chat mou, qui hérissa ses moustaches de bonheur. D'accord, le petit allait faire une fugue, ça ne lui posait pas de problème. Ce serait toujours plus constructif que de s'ouvrir le poignet. Il allait l'accompagner, ça ne lui ferait pas de mal de se dégourdir un peu les pattes.

– Mais toi, je te dis un truc : je ne veux pas que tu t'approches de ma statue. Du nouveau Diogon. S'il est maudit par les Dieux, il sèmera la mort partout sur son passage. Je ne veux pas que tu meures. Alors tiens-toi éloigné de lui, d'accord ? Tiens-toi bien loin de lui.

– Je m'en fiche, de ce soi-disant Diogon, c'est toi mon maître, c'est toi que je vais suivre dans ta petite fugue sympathique.

L'adolescent le posa à terre et s'approcha de la fenêtre, avant de l'ouvrir et de passer la tête au-dehors.

– J'espère que tu as compris… Ne t'approche pas de cette statue. Je sais que tu es un gros curieux mais fais ça pour moi ! D'accord ?

– Ah, je nous imagine déjà. Deux célibataires endurcis, deux explorateurs fiers et vaillants en train d'arpenter une montagne quelconque au soleil couchant. Je suis certain que ce sera bien plus intéressant que ce village rempli d'idiots bigots.

Diogon s'agrippa au cadre de la fenêtre, et grimpa sur le rebord étroit. Puis il se mit debout, à l'extérieur, plaqué contre la façade de la maison. De là, il passa sur le toit avec une difficulté manifeste. Le gros chat regarda disparaître ses pieds.

– Oh, ça faisait longtemps qu'on n'était pas montés sur le toit pour regarder les étoiles. Tu te souviens, on faisait souvent ça quand tu étais plus petit. Mais la maison n'avait encore que deux étages, là elle en a quatre, d'ailleurs entre nous, je n'ai jamais compris pourquoi tes parents avaient voulu l'agrandir autant, s'ils avaient cinq enfants je comprendrais encore, mais…

– Arrête de miauler ! Les parents vont venir… Je ne veux pas… qu'ils voient ça…

– Ah, c'est sûr qu'ils seraient pas très contents, commenta le chat en se glissant à son tour sur l'appui de fenêtre. Mais au fait, cette fameuse fugue, on s'y met ? Non parce que je nous vois déjà partir vers l'aventure tous les deux, comme je le disais à l'instant, je vois déjà nos deux silhouettes disparaître à l'horizon sur fond de soleil couchant, ce serait vraiment…

Matar ne comprit pas tout de suite lorsque le corps du garçon lui passa devant le nez, dans un sens manifestement vertical – et manifestement descendant. Ce fut seulement un battement de cœur plus tard qu'il réalisa ce que venait de faire son maître.

– DIOGON !

Son cri couvrit le bruit mat du corps qui venait de s'écraser au sol.

Le chat se pencha doucement par-dessus l'appui de fenêtre.

Diogon s'était jeté tête en avant.

En plein sur les lourds pavés de pierre qui entouraient la maison.

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