Chapitre 9.4 - Le chien qui haïssait son maître

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– Elle est partie par là, je l'ai vue, je vous dis ! haleta le dernier de la file en fonçant droit devant, bondissant d'un seul geste au-delà du tronc titanesque qui barrait le sentier.

Déployés en arc-de-cercle, les guerriers commencèrent à avancer à sa suite, leur lance prête à frapper brandie au niveau de leur torse.

– Imbéciles ! aboya le chien. Celui-là vous décapitera d'un coup de dents !

– Ta gueule !

– Sauve-toi, grand ours noir ! Va-t-en vite ! hurla-t-il de plus belle.

– Qu'on amène Elissi ! brailla l'un des chasseurs en lui plantant méchamment sa lame dans l'épaule, à trois reprises. Qu'il le fasse taire ! Qu'il le fasse chasser avec nous !

– Même ce foutu loup roux se rendrait utile face à un tel monstre…

– Il est trop tard, gronda le chien aux canines dégoulinantes de haine. Vous ne l'aurez pas ! Un mort suffit pour aujourd'hui.

Mais une voix haïe – plus encore que celle des autres hommes – s'éleva bientôt dans son dos.

– Pars devant. Trouve cette bête, immobilise-la, et aide-les à la capturer.

Le timbre d'Elissi était affaibli, suant de souffrance, mais c'était bien le sien. Le chien, regard tourné vers les guerriers qui s'éloignaient sur le qui-vive, refusa de se retourner vers son maître.

– Capturez-la, répéta celui-ci plus fort à l'attention des autres. Mais ramenez-la en vie.

Le chien grondant, l'échine hérissée de colère, obéit et franchit le tronc centenaire d'un bond avant de trotter vers les traqueurs et de reprendre sa place dans leur rang. Puis il jeta un œil derrière lui. Elissi était debout au loin, soutenu par l'un de ses coéquipiers. Son grand masque de bois couvrait toujours ses traits, déployant une crinière de plumes de feu, mais le chien le reconnut immédiatement. Une ceinture de cuir compressait son épaule. Le sang de l'ours teintait son corps luisant de sueur, rappelant les peintures rouges du masque immobile.

Sa voix acheva, sans émotion derrière le visage de bois.

– On ira la montrer au chef… On la tuera seulement quand on saura de quoi il s'agit.

Le chien courait sans répit. Il traçait son chemin au milieu des effluves de feuilles, de fleurs et de bêtes fauves, déployait sa course au cœur de la jungle.

Il aboyait régulièrement, jouant de l'absence d'Elissi qui était resté derrière ; les guerriers pensaient qu'il les aidait à diriger leurs pas, mais son maître aurait su, lui, qu'il prévenait ainsi la proie de leur avancée.

Mais il était trop tard. Elle courait vite, bien plus vite qu'eux tous, mais elle ne connaissait pas la jungle, se perdait entre ses mille méandres, trébuchait dans les pièges posés par les chasseurs. Le chien sentait son hésitation dans l'odeur qui noyait ses empreintes lourdes.

Son hésitation. Pas sa peur. Pas grand-chose ne devait pouvoir effrayer pareille bête.

Soudain, les troncs face au chien s'écartèrent, nimbant sa vision d'un océan de lumière, et il déboula dans une clairière.

La bête nommée Diogon était là. L'un de ses jarrets était mordu par la puissante mâchoire d'un piège à ours. Elle les attendait.

Le chien lança un regard désolé vers les pupilles moirées qui le fixaient tout là-haut.

– Ils arrivent, lui dit-il. Ils ne veulent pas encore te tuer. Moins tu opposeras de résistance, plus ils te laisseront entier.

Son vis-à-vis hocha sa lourde tête, puis releva son intelligent regard pour le poser sur la lisière de la jungle.

– Au moins, ici, il y a des hommes, l'entendit soupirer le chien.

Les guerriers se déversèrent dans la clairière, leurs pas souples faisant jouer les craquements sous leurs pieds, leurs lances levées et leurs masques de bois dansant dans les rais lumineux de la canopée.

Ils entourèrent la bête noire, la menaçant de leur cercle de lames qui se resserrait vers son corps, inexorablement.

– Emmenez-moi où vous voulez, dit l'animal en haussant les épaules. Je ne vous attaquerai pas.

Les chasseurs ne comprirent pas un traître mot, ne comprirent même pas que cette langue de silence et de mimiques en était une.

– Ils n'écoutent pas les bêtes, lui apprit le chien.

La créature répéta ses deux phrases, cette fois avec sa voix chaude et lente. Les guerriers baissèrent brièvement leurs armes sous la surprise, puis se concertèrent du regard.

– On fait comme Elissi a dit, trancha l'un d'eux. On l'emmène.

Ils traversèrent à nouveau la jungle et ses ombres moites, baignant dans les effluves de leurs sueurs animales.

Lorsque le cercle des guerriers, lances toujours tournées vers le cœur de la bête, l'amenèrent au centre du campement, auprès du grand feu, les femmes, les enfants et les chasseurs plus expérimentés se rassasièrent de son étrangeté, et le chef vint l'examiner.

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