Chapitre 7.8- La géante qui aimait les trésors

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Une petite bête, une petite bête étrange se tenait là, à quatre pattes sur le sentier des géants, minuscule sous les grandes ailes des fougères et les fruits bulbeux des tout-graines. Deux immenses oreilles se dressaient sur sa tête, mais un bec pointu miroitait sur son front. Des écailles scintillantes parsemaient l'une de ses pattes, un pelage ras et gris en couvrait une autre, et des plumes d'un bleu lagon, plus intense que tout ce que Mamounette avait vu jusqu'alors, hérissaient son cou et ses flancs ; avant de déployer une corolle de ciel et de saphir, ocellée d'yeux verts, par-derrière son échine, comme une traîne majestueuse. Mamounette écarquilla les yeux. Outre les écailles et les plumes, une toison de feu et d'or se mêlait au reste, un pelage long et doux qui cascadait sur son petit poitrail en une crinière rousse, qui se déchirait, s'entremêlait, caressait les plumes céruléennes et le pelage couleur cendres dans un velours soyeux dont elle n'avait jamais vu la pareille.

– Mamounette, pourquoi t'arrêtes-tu ? dit la voix chaude de Diogon derrière sa nuque, mais elle ne l'entendit même pas.

Des myriades d'éclats dansaient dans la pénombre de la jungle, des kyrielles de notes lumineuses s'échappaient au moindre mouvement de la petite créature, pareille à un diamant posé sur le sentier.

Mamounette, profondément touchée par cette vision qui était ce qu'elle avait toujours rêvé d'être, mariant la douceur du tout-poil, la force de l'écailleux et la beauté du tout-plumes, dans des noces chatoyantes et inconnues de son monde, décida qu'il ne pouvait y avoir que deux options possibles.

– Mamounette ?

Soit elle adoptait cette adorable créature, la protégeait des autres grands et la soignait comme sa propre fille, soit elle la dépeçait, la dévorait et drapait cette peau magnifique sur son échine à elle.

Mais avant qu'elle ait pu dire quoi que ce soit à l'étrange petite bête qui la regardait d'en bas, dépourvue de peur sous sa toison bariolée, Mamounette sentit son cavalier sauter de son dos. Il chuta lourdement sur le sol, cinq mètres plus bas.

– Diogon ! s'exclama-t-elle sous la surprise – et la peur qu'il se soit fracassé les membres.

Mais il se releva sur ses jarrets puissants, fit rouler les os de sa nuque, puis dévisagea du coin de l'œil la petite bestiole. Sous son toupet d'or et de velours, celle-ci lui rendit son regard inquisiteur et totalement sans-gêne.

Ils restèrent ainsi quelques instants, plongés dans les relents douceâtres de la jungle, semblant jouer à qui baisserait les yeux le premier.

Puis le protégé de Mamounette se détourna et allongea ses foulées, avant de disparaître au détour du sentier, perdu dans des bruissements d'humus et de feuilles.

– Diogon ! Diogon ! appela la géante-à-plumes, prise de terribles tourments à l'idée de laisser son nouveau petit trésor tout seul, mais torturée de culpabilité à celle de laisser partir Diogon ainsi.

Elle finit par pousser un grondement qui fit vibrer les fougères luxuriantes.

– Oh, et puis zut !

Prenant son essor, elle bondit à travers le sentier, martela la terre tendre et passa au dessus de la bestiole qui commençait à trottiner elle aussi vers la plaine.

Mais elle disparut derrière eux, avalée par la jungle, trop minuscule pour pouvoir rattraper leurs foulées de géants.

– Diogon !

Il s'éloignait déjà vers le fleuve, sa silhouette noire et musculeuse tendue comme une ombre devant le soleil. Au loin, l'horizon saignait doucement. Il éclaboussait de rouge les immenses tout-touffes, les essaims de petits-volants qui arpentaient les cieux, ainsi que les dos paisibles des grand-piquants qui broutaient les tout-vertes.

– Merci de m'avoir accueilli, Mamounette, dit Diogon par-dessus son épaule. Et merci de m'avoir appris à manger.

Il fit une pause. Ses yeux errèrent sur le ciel enflammé qui se dévoilait à lui. Vers l'ouest. Vers la nuit. Là où allaient les statues.

– Je n'oublierai pas ce que vous avez fait pour moi.

Il ajouta, si bas qu'elle ne l'entendit pas :

– Pardonne-moi. Je ne sais pas s'ils seront encore au nid lorsque tu rentreras… Et je ne sais pas si tu leur reviendras un jour. Pardonne-moi pour cette mort qui frappe chaque fois derrière moi…

La géante-tout-plumes le regarda disparaître, se frayer un chemin à travers le troupeau de colosses aux plaques acérées. Il s'effaça doucement derrière un voile de petits-volants qui tourbillonnait en cachant le soleil.

Un instant plus tard, brusquement rappelée à la réalité, Mamounette fit volte-face et fonça dans la jungle, reniflant l'air à petits coups précis, scrutant les traces du sentier, tendant l'oreille aux moindres bruissements des fougères.

Mais elle dut se rendre à l'évidence.

Le petit trésor s'était déjà carapaté sur ses quatre petites pattes.

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