Chapitre 6.9 - La sorcière qui mangeait les enfants

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La licorne haussa à nouveau les sourcils, narguant Yaga avec humour, avant de s'ébrouer ; ses articulations grincèrent comme de vieilles roues de charrette, projetant des éclats dorés autour d'elle, éclaboussant Yaga et ses étagères.

– Hmph ! éructa la sorcière en s'ébrouant à son tour, avec la maladresse du bipède.

Enfin, de l'unipède.

Voilà ce qu'on y gagnait, à vouloir aider ceux qui le refusaient.

– On ne m'y reprendra pas, glapit-elle en secouant une main dans le vide pour essorer son tapis. Satanées statues percées !

Ledit tapis se hérissa comme un porc-épic multicolore, avant de recracher la tisane dans un rot désappointé.

La vieille dame contempla le désastre avec résignation, les mains posées à l'endroit où se seraient trouvées ses hanches.

– Je ne sais pas pourquoi est-ce que je continue à inviter des gens chez moi, par le Diable, puisque ça finit toujours comme ça.

Elle siffla une note aussi vive que celle d'un rouge-gorge, et un petit tabouret se précipita vers elles en trottant gaiement sur ses trois pattes de bois. Il lécha consciencieusement la flaque de tisane, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus une goutte, puis rota de concert avec le tapis avant de retourner dans l'obscurité de son coin.

– Heureusement que certains gourmands m'aident à faire le ménage, conclut Yaga en se rasseyant.

Il y eut un silence relativement gênant pendant lequel la licorne louchait vers le bol vide, tandis que Yaga se demandait, déçue, ce qu'elle allait bien pouvoir lui offrir pour continuer son périple.

– Bon, finit-elle par grogner en grattant son grand menton. Tu ne peux prendre vie comme l'a fait Diogon. Je vais bien trouver autre chose.

– Je vous remercie, mais il faut que je continue ma route. Il a déjà bien trop d'avance sur moi. Je ne peux pas le laisser en prendre davantage.

– C'est justement pour cela que tu dois accepter mon aide, éructa la sorcière en tendant un index squelettique vers son invitée. Dans l'état où tu es, tu ne le rattraperas jamais, je te l'ai déjà dit ! Laisse-moi réfléchir deux minutes, je vais bien trouver quelque chose.

La licorne ne dit mot et finit par acquiescer de la tête, laissant le silence napper la chaumière avec délicatesse. Derrière elle, le tabouret ronronnait dans son coin, le ventre plein ; tandis qu'au sol, le tapis lissait ses poils laineux avec une élégance empreinte de déception.

– AHA ! s'exclama soudain Yaga, faisant sursauter tous les meubles de la maison.

– Vous avez trouvé quelque chose ? demanda la licorne avec politesse.

– Ma petite, ne compte pas m'échapper, répondit la vieille dame en hochant le nez d'un air menaçant. J'ai exactement ce qu'il te faut.

Elle se mit à traverser la maison, cognant lourdement le plancher de son pied unique, jusqu'à aller ouvrir une vieille armoire aussi tordue et contrefaite que sa propriétaire. Puis elle se mit à fouiller à l'intérieur, étouffant et toussant dans les nuages de poussière qui s'élevaient des peaux et des vêtements rangés là.

– Kof ! Je suppose qu'une tunique magique ayant appartenu à Ivan le – kof ! – le possesseur de l'Oiseau de feu ne t'intéresse pas, ni la – kof kof ! – huitième patte de Sleipnir que j'ai précieusement momifiée depuis des centaines d'années. Pas non plus ce vieux truc… Ni celui-ci… Ni ça…

Elle se mit à jeter derrière elle une avalanche d'objets poussiéreux, faisant voler robes brodées d'or, cornes d'abondances, cages d'oiseaux vides et crânes de serpents à travers la pièce.

Baba Yaga n'aimait pas trier tous ses trésors, alors elle les amoncelait, les cachait dans ses tiroirs, jusqu'à ce qu'ils débordent et qu'elle ne puisse plus s'y retrouver. Elle détestait ce désordre. Par le Diable ! Allait-elle enfin réussir à trouver cette fichue peau ?

– Quel bazar dans cette foutue armoire ! Un jour, il faudra vraiment que je fasse le ménage, grommela-t-elle en extirpant enfin ce qu'elle cherchait.

Elle fit volte-face, dressée au milieu d'un océan hétéroclite digne d'une décharge des contes des Mille et une nuits, et brandit triomphalement ce qui ressemblait à un renard écrasé.

– Regarde cette merveille !

La licorne hésita une minute ou deux, laissant s'installer un silence gênant, avant de demander poliment :

– C'est un… C'est un cadavre de renard, Yaga ?

– Un cadavre de… répéta Yaga en portant ses gros yeux sur la chose qu'elle tenait toujours. Par le Diable ! Il est vrai que le temps ne lui a pas rendu service !

Elle claqua des doigts en grommelant quelques mots indistincts, et l'objet s'ébroua dans un nuage de poussière, avant de se hérisser en retrouvant soudain tout son lustre d'antan.

– C'est une peau de renard divin, une peau de renard à neuf queues, expliqua la sorcière en posant son fétiche sur la table. N'est-elle pas magnifique ?

Il était inutile de poser la question, elle le savait. La fourrure splendide avait résisté aux mites et aux puces. Elle scintillait de mille feux orangés sous la lumière de la cheminée, chacun de ses poils comme paré d'une gangue d'or pur. Deux grandes oreilles fardées de cendres et un petit museau charbonneux complétaient le tableau.

– Bon, ajouta la vieille dame avec regret, il lui manque les queues, un jeune idiot me les a volées il y a quelques années. Il n'a pas dû faire grand-chose de son trophée avant de périr étranglé par lui… Héhé ! Ne mutile pas un renard sacré qui veut !

– Mais Yaga, que veux-tu que je fasse d'une peau de renard ? interrogea la licorne en pointant vers elle ses oreilles curieuses.

– Pardi ! L'enfiler ! Voilà ce que je veux que tu en fasses ! Elle te donnera la force, la ruse et l'agilité de son ancien possesseur ! En plus de te rendre les deux pattes que tu as perdues.

La sorcière, dans un grand geste, lança soudain la pelisse qui vola à travers la pièce en réfractant la lumière du feu telle une étoile filante. Elle atterrit sur le dos rouillé de la licorne, qui sursauta ; puis, dans un frémissent presque animal, la peau du renard ondula sur son échine de métal, avant de s'y souder dans une étreinte passionnée.

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