Chapitre 4, direction Latamshah

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— Vraiment, je me demande comment tu aurais fait Ravi.

— Ce n'est pas très important de savoir ce qui aurait pu se passer, non ? Ce qui compte, c'est ce qui est arrivé.

— Tu as eu de la chance cette fois-ci.

Ravi ne réagit pas. Il ne fonctionnait apparemment pas comme elle.

— Qu'il est beau ! Qu'il est beau mon tigre !

La jeune fille voulut répliquer que ce n'était pas son animal, mais finit par s'abstenir. Elle avait compris que le garçon n'avait pas la même approche du monde. Elle ne pouvait pas le changer, du moins, pas sans son consentement. Alors elle accepta de se taire, et déposa le félin blanc qui se mit à marcher en titubant. C'est vrai qu'il était magnifique.

Magnifique, et sauvage.

Evren le plaqua à nouveau contre elle et curieusement, le tigre arrêta de bouger. Il l'observa du coin de l'oeil, plus curieux que véritablement inquiet.

— Je crois qu'on va y arriver, fit Evren en regardant Ravi, il va se tenir.

— Alors, allons-y !

La jeune fille eut l'air indécise.

— À quelle distance se trouve la ville ?

— Je dirais trois jours de marche. Mais il y a un refuge de chasseurs à quelques heures, c'est là où j'ai dormi hier. Enfin, dormi... j'avais tellement peur des bruits que j'ai dû me lever au milieu de la nuit et quitter le refuge.

— Tu as marché de nuit dans la jungle ?

— Oui.

— Tu es plus courageux que tu ne le crois Ravi. Même moi je ne le ferai pas.

— C'est peut-être vrai, mais toi tu n'as pas peur des bruits.

La jeune fille sourit. Elle avait seulement peur des bruits qui représentaient un danger réel.

— Si on part maintenant on pourrait atteindre ce refuge avant la nuit ?

Ravi répondit par l'affirmative et Evren se méfia de son optimisme. Il ne fallait pas oublier qu'ils voyageaient avec un jeune tigre dans les bras, et que Ravi était parfois trop enthousiaste.

Ravi se mit à fouiller dans sa besace et en tira un bout de corde.

La jeune fille lui fit signe de s'arrêter de la main. Elle avait l'intime conviction que ce ne serait pas nécessaire.

Le tigre pouvait lui faire confiance. Mais elle ne souhaitait pas lui mentir. Il allait grandir en captivité. Elle tâcha de lui faire comprendre tout ça en le serrant contre elle et le petit tigre maladroit sembla se détendre. Il ferma les yeux.

— Inutile Ravi, on va le porter chacun son tour.

Le garçon hésita puis rangea les liens qu'ils avaient tirés de son sac.

— Viens t'asseoir à côté de moi, fit-elle d'une voix douce.

Ravi obéit. Il s'approcha et s'assied tout près d'elle.

— Plus près, il faut que le tigre te sente.

Le garçon glissa sur le sol, un peu gêné par tant de promiscuité. Evren sentit sa peau contre la sienne, elle était chaude. Elle ressentit immédiatement un profond sentiment de joie, cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas eu de contact physique avec un autre humain ! Elle sourit, un peu gênée elle aussi. Le tigre passa de ses genoux à ceux de Ravi. Evren se leva, et Ravi baissa le regard, avant de suggérer :

— Il te faut des vêtements, Evren.

La jeune fille possédait pour seules affaires la peau de jaguar de sa grand-mère, celle destinée aux nuits fraîches. Elle l'enfila comme un manteau, et observa le résultat. La veste ne couvrait pas son corps complètement, mais elle était du plus bel effet.

— Manque plus que la ceinture, lança le garçon visiblement satisfait.

Evren dut avoir un air incrédule, aussi Ravi lui expliqua ce qu'était une ceinture. Elle se tourna alors, prit un bout de corde qu'elle noua autour de sa taille.

— Tu as de quoi manger ici ?

La jeune fille avait dans sa besace les oeufs ramassés ce matin. Elle avait quelques fruits de la veille et voilà tout. Elle les ajouta à son butin, puis se dirigea vers un petite table en bois sous son hamac. Là trônait une médaille en bronze qu'elle prit et passa autour de son cou.

— Je suis prête, annonça-t-elle.

— Déjà ? Parfait ! Alors on y va ?

Evren hocha la tête. Elle s'approcha et prit le tigre dans ses bras.

Ils voyagèrent sans difficulté pendant plusieurs heures. De temps à autre le félin semblait se débattre, mais il suffisait de le plaquer contre soi et de le rassurer un instant pour qu'il se calme à nouveau. Il avait l'air plus impatient qu'inquiet, comme s'il en avait simplement assez d'être transporté.

Voyant cela, Evren et Ravi décidèrent de le poser au sol quelques minutes, le temps de faire une pause pour boire au ruisseau. Le félin fit quelques pas incertains puis se mit à explorer les environs. Plusieurs fois les deux humains eurent besoin de le remettre sur le chemin, mais finalement ils furent soulagés de voir que s'occuper de l'animal était facile.

Il faisait déjà presque nuit lorsque Ravi annonça triomphalement que la cabane était toute proche. Il avait reconnu les lieux dans la pénombre naissante, et son enthousiasme débordait. Il faut dire qu'ils avaient marché toute la journée et une partie de la nuit. Ils débouchèrent sur une petite clairière à l'écart de la rivière et du chemin, où trônait une maisonnette ronde, faite de pierres rouges, couverte d'un toit de dalles plates.

Ils s'approchèrent de l'entrée, sans parvenir à voir quoi que ce soit à l'intérieur.

Ravi entra sans hésiter, bientôt suivit par Evren qui portait encore le petit tigre. Elle le déposa au sol, et celui-ci resta immobile un temps avant de renifler les murs qui l'entouraient. Le garçon indiqua où se trouvait la paillasse avec un air victorieux, et expliqua à Evren tout ce qu'il savait sur l'endroit, de la qualité du couchage aux bruits de la nuit.

De l'autre côté du lit se trouvaient une table tordue et deux billots de bois pour toutes chaises. Le jeune félin avait dû trouver des détritus, car il s'amusait désormais avec un objet métallique. Evren s'approcha et ramassa l'objet, c'était une cuillère rouillée. Elle la reposa et il se remit à jouer avec.

— Il a l'air de l'aimer cette cuillère! remarqua Ravi.

La jeune fille acquiesça sans quitter des yeux le petit tigre.

— Il est tellement mignon, ajouta Ravi, j'aimerais vraiment le garder.

— Comment ça ? fit Evren en se retournant.

— J'aimerais que ce soit mon tigre. Je pourrais lui donner un nom et on pourrait être amis. Il m'accompagnerait partout et les gens seraient impressionnés. Ils me respecteraient.

— Je croyais qu'on l'avait capturé pour que tu puisses sauver ta mère !

Le garçon baissa les yeux, visiblement coupable d'avoir considéré ses besoins avant ceux de sa famille.

— Oui, bien sûr, admit-il.

— Tu devrais dormir un peu, je vais monter la garde, annonça Evren en s'asseyant face à l'entrée.

— On peut dormir tous les deux, c'est un endroit sûr.

— Non, il n'y a pas de porte, et que va-t-on faire du tigre ?

Ravi posa ses yeux sur le jeune félin qui faisait danser son jouet entre ses larges pattes. Il l'observa longtemps, puis se tourna et s'endormit rapidement.

Le troisième habitant de la cabane délaissa sa cuillère et s'approcha d'Evren. Elle se fit la réflexion qu'il était vraiment beau, et surtout, qu'il avait l'air de préférer les gens à sa propre espèce.

Un peu comme moi, pensa la jeune fille. Je vis avec les animaux et les plantes, loin des miens.

Elle songea à ses soeurs, à sa mère, à son peuple. Elle savait que les bayas étaient des guerrières. Elle-même avait reçu un entraînement difficile dans la jungle pendant des années. Mais jamais personne de sa tribu n'avait utilisé son corps et ses aptitudes pour tuer d'autres humains. Elle s'interrogea pour la centième fois sur ce qui avait bien poussé des bayas à agir ainsi. Et pour la centième fois, elle n'avait pas de réponse certaine. En revanche, plus elle y pensait plus elle en était certaine, son peuple était en danger. Et ni sa fuite ni les ahbads n'y étaient étrangers.

Machinalement elle se mit à caresser la tête du félin qui avait l'air d'aimer ça. Il grimpa sur ses jambes et s'installa tandis qu'elle grattait son pelage doux. Lui aussi finit par s'endormir.

Evren surveilla longtemps l'extérieur. Elle écoutait les bruits, inquiète à l'idée que la tigresse puisse sentir l'odeur de son petit. Inquiète à l'idée d'aller en ville. Mais elle aussi tombait de fatigue, et elle décida de dormir un peu. Elle tâcha de réveiller Ravi, mais ce dernier dormait trop profondément, alors elle se glissa à ses côtés, puis glissa le jeune tigre entre eux.

La nuit était claire.

Evren était seule dans la cabane, dans le lit vide.

Elle entendait au loin la voix de Ravi, diffuse qui appelait.

Le tigre n'était plus là près d'elle. Ravi était-il parti à sa recherche ?

Elle se leva.

L'obscurité ne lui faisait pas peur, mais le ton de la voix de Ravi indiquait une certaine angoisse, que partagea aussitôt la jeune fille.

Elle atteignit la rivière, et reconnut dans la boue les traces du petit tigre et celles de Ravi. Mais il y en avait d'autres. Deux personnes, non trois ! Trois humains dont les traces venaient s'imprimer sur celles du garçon et du félin. Cela signifiait qu'ils étaient tout près, et à la poursuite de ses compagnons de voyage.

Evren sentit la panique l'envahir. Elle hésita une seconde, que faire si ces individus en voulaient à Ravi, où au tigre ? Saurait-elle les défendre ? C'était une baya certes, mais son entraînement avait cessé il y a bien longtemps.

Prudente, elle traversa la rivière pour suivre les traces.

Les pieds encore dans l'eau fraîche, elle entendit des cris. Terrifiants. Des cris de femmes, et puis encore ceux du jeune tigre. Evren se hâta.

Elle atteignit la zone d'où les cris semblaient venir. Elle ne vit rien. Le sol était immaculé.

Un nouvel appel retentit. Tout proche. Elle se retourna vivement, courut, et ne vit rien.

Elle scruta autour d'elle, à travers la jungle, en vain. À moins que... à moins que cette ombre là-bas soit quelqu'un ? Elle vit apparaître deux femmes qui rejoignirent cette silhouette sombre dont on ne voyait que le dos.

Dans les bras de la première femme, il y avait un corps. Evren le reconnut tout à coup avec horreur : c'était Ravi. Son coeur sauta dans sa poitrine. Elle eut la nausée. La seconde femme portait le cadavre du jeune tigre. Evren voulut crier, mais rien ne sortit. Les sons s'étranglaient dans sa gorge et mourraient dans un grognement à peine perceptible.

Et puis soudain les trois fondirent sur elle. Elle vit alors que la large silhouette était celle d'un homme. Quant aux deux femmes... elle les reconnut enfin. C'était sa mère et sa soeur.

C'est à ce moment-là que l'homme lui dit, d'une voix froide, inexorable, comme la mort :

— Nous t'avons enfin trouvée.

Ses mains larges se refermèrent sur les bras de la jeune fille, et elle se défendit, autant qu'elle put. Elle essayait de frapper, frapper, mais ne parvenait qu'à donner de ridicules petits coups.

— Aïe ! Bon sang ! ça va pas bien hein !

Evren ouvrit les yeux, elle venait d'asséner un coup à son camarade qui s'était mit à saigner du nez.

— Ravi !

Elle en eut le souffle coupé, il était là. Il était là.

Elle l'enroula de ses bras et se mit à pleurer.

D'abord immobile, il passa ses bras autour d'elle et la serra.

— C'était un rêve, ne t'en fais pas.

Soudain elle se redressa, repensant au tigre.

— Où est-il ?

Il était là, il dormait au bout du lit.

Evren releva les yeux et vit Ravi, les mains sur son nez sanguinolent.

— Je suis désolé, j'ai... tu étais mort. Et...

Elle ressentit le sentiment qui l'avait envahie pendant son rêve et eut envie de pleurer à nouveau. C'était si réel. Était-ce seulement possible ? Sa soeur... sa mère... des tueuses ?

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