LA 7EME PORTE (1 / 5)

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Quatre personnes patientaient dans une pièce vide depuis dix bonnes minutes. Seule consigne à respecter pour l'instant, attendre, en silence, l'ordre de pouvoir retirer les cagoules, ouvertes uniquement au niveau du nez.

S'il n'y avait que des volontaires dans cette pièce, chacun ignorait toutefois les détails de cette expérience inédite, hormis le fait que le ou les gagnants empocheraient cent-cinquante mille euros. Ils savaient également que tout ceci ne se produirait qu'une seule fois, simultanément dans de nombreuses communes du pays, pour une rediffusion hebdomadaire étalée sur une année. De quoi faire vibrer un public toujours plus friands de sensations fortes.

Une voix off modifiée, semblable à celle des demandeurs de rançon par téléphone, annonça :

— Vous pouvez vous découvrir et parler. Laissez les cagoules par terre. Vous refermerez la porte derrière vous en quittant cette pièce.

— Eh ben, c'est pas tôt ! Ça commençait à chauffer là-dessous, s'exclama l'un des deux hommes, revêtu d'un uniforme bleu. Je suppose que c'est l'heure des présentations ! Moi, c'est Benjamin, trente-trois ans. Forcément, tout le monde m'appelle soit Benji, soit Ben, au choix.

Le trentenaire en imposait avec son physique charismatique. Quiconque aurait pu imaginer d'emblée un lien de parenté avec le chanteur Rory Charles Graham, alias Rag'n'bone man. Autrement dit, pas le genre de type à qui l'on chercherait des noises sans craindre un KO à la première mandale ou de finir accrocher par le col à un porte-manteau. Néanmoins, Benjamin en était une version tout de même moins massive.

— Tu l'as dit, mec ! Heureusement que la combi est plus légère. Du coup, moi, c'est Demba, j'ai quarante ans.

Une asperge dégarnie d'un mètre quatre-vingt-dix, d'origine sénégalaise, capable de toucher le plafond du bout des doigts.

— À mon avis, celui ou celle qui t'a filé une tenue verte doit adorer les After Eight, plaisanta Benjamin, en essuyant, de l'avant-bras, son front ruisselant.

Les deux femmes à proximité étouffèrent leur envie de rire. Prudence oblige.

— D'ailleurs, il faudra que je demande à cette même personne pourquoi elle t'a pas réservé la couleur cholestérol, rétorqua aussitôt Demba, sans aigreur aucune, habitué à ce genre de blague depuis sa naissance dans l'hexagone. Et vous, les filles ? Vos noms ?

La petite brune fluette à queue-de-cheval, au physique entretenu, afficha un rictus au coin des lèvres, empreint de gêne.

— Nérine, vingt-cinq ans. Oui, je sais, c'est le nom d'une jolie plante bulbeuse. Mes parents étaient horticulteurs. Voilà pourquoi… Donc par pitié, épargnez-moi toutes les blagues et comparaisons végétales, ok ? En tout cas, je veux bien te croire concernant le choix des couleurs. Comme par hasard, moi, j'ai le rose.

Ben venait de se faire couper l'herbe sous le pied, aussi ravala-t-il sa nouvelle pulsion clownesque.

— Yuko, cinquante-et-un ans, la touche asiatique du groupe. Pourquoi rouge ? Peut-être par rapport au disque du drapeau national ? Je ne vois pas d'autre raison particulière.

— Pas plus que moi, pour le bleu.

— La vache ! Tu les fais pas du tout, nota Nérine. Tu fais du sport ? T'es encore plutôt bien gaulée pour ton âge ! Si je peux avoir ce corps-là à cinquante piges, ça me va !

— Oui. Et je vis sainement.

Demba joignit les paumes et redirigea la conversation :

— Bien ! Est-ce que quelqu'un a une info que d'autres n'ont pas ?

— Une belle récompense à la clé, fit Benjamin, en se léchant les lèvres. Quoi d'autre ? Qu'on est tous volontaires et qu'on doit se démerder pour trouver comment gagner. C'est tout.

Les trois autres acquiescèrent. Demba reprit :

— Bon… Rien de plus, en gros. Et vous faites quoi dans la vie ? Ça pourra peut-être aider par la suite. Moi, je fais de la maintenance informatique en entreprise et des marathons, de temps en temps.

— Chômage, confessa Ben. Licenciement économique. Mais dernièrement, je bossais dans l'isolation. J'ai fait du déménagement aussi.

— Étudiante en psycho, précisa à son tour Nérine, avant de se tourner vers Yuko.

— Vendeuse dans un magasin de produits bio, jardinage et yoga.

Las du verbiage, Benjamin se dirigea vers la seule sortie possible.

— Action, messieurs dames ! C'est parti ! De toute façon, y a pas grand-chose de mieux à faire. Vous savez à quoi ça me fait penser d'entrée de jeu ? À un espace game.

— On verra bien, dit Demba.

Benjamin ouvrit la porte. Derrière, le groupe tomba sur un couloir blanc en cul-de-sac, d'une dizaine de mètres de long sur environ trois de large, présentant sur chacun de ses flancs trois autres portes identiques, à l'instar de leur espacement, le tout structuré dans une symétrie parfaite. Au fond, un petit écran rectangulaire était fixé au mur.

Le groupe progressa jusqu'au milieu du corridor, tout en observant les lieux, sous l’œil sombre des caméras placées dans les angles et à mi-distance. Ben fit coucou à l'une d'entre elles, leva un pouce confiant, gestes que Demba jugea immatures en son for intérieur.

— Vous avez vu ? Y a pas de serrure aux portes, nota Nérine.

Yuko sursauta lorsque la voix trafiquée se fit entendre à nouveau :

— Ecoutez attentivement. L'ouverture d'une des six portes verrouillera automatiquement toutes les autres jusqu'à ce que vous la refermiez, ce qui vous redonnera aussitôt accès aux autres. Chaque porte ne peut être ouverte qu'une seule fois et sera ensuite condamnée une fois refermée. N'essayez pas d'en ouvrir deux simultanément, cela ne fonctionnera pas. N'essayez pas non plus de les enfoncer ou de les endommager d'une quelconque façon que ce soit, cela sera tout bonnement inutile. Vous pouvez par contre les ouvrir dans l'ordre de votre choix. Un chronomètre va s'afficher sur l'écran au fond du couloir. Vous avez dès à présent une heure pour terminer l'expérience. Une fois, ce délai imparti, l'expérience s'arrêtera et le ou les candidats encore qualifiés seront déclarés vainqueurs, auquel cas, la récompense finale sera divisée équitablement.

— Quelle arnaque ! s'agaça Benjamin. C'est pas ce qu'on avait compris ! Pfff ! Bon alors, quelle porte ? Elles sont toutes pareilles.

Tandis que Demba, Yuko et Nérine réfléchissaient, Benjamin, lui agissait, se moquant royalement de la moindre forme de concertation. Il attrapa la poignée la plus proche de lui, porte centrale gauche, et tira. Un clac confirma le verrouillage des autres portes.

— Putain, mec ! T'as un train à prendre ou quoi ? s'emporta Demba, l'index tapotant sa tempe. Faut peut-être réfléchir deux secondes avant de faire quoi que ce soit !

— Réfléchir à quoi ? Tout ce qu'on a faire ici, c'est ouvrir ces foutues portes. Ça demande pas un diplôme d'état, que je sache.

Du visage crispé de Demba affleura une expression de dédain. Les filles, quant à elle, ne savaient pas vraiment du quel pied danser.

Chacun se tut, jeta un œil à l'intérieur de la pièce. Tout ce qu'elle contenait se résumait à une petite table métallique des plus simples, aussi longue que le bras amputé qui y trônait.

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