LA MAISON AU BOUT DU CHEMIN (3/3)

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Marcus respira un grand coup. Progressa avec prudence vers l'entrée, marquant un arrêt en haut des marches. Puis il s'adressa à la vieille dame aux cheveux d'argent si clairsemés qu'on pouvait distinguer le lentigo qui avait colonisé son crâne.

— Bonjour. Excusez-moi, j'ai cru que c'était abandonné.

— Ce n'est pas étonnant. Tout le monde le croit, depuis dix ans déjà. Que le temps passe vite, chevrota-t-elle, inexpressive, figée comme la pierre. Vous cherchez un endroit où passer la nuit, n'est-ce pas ?

— Euh, oui. Je… vis dehors.

Marcus employait toujours cette expression pour décrire sa situation.

Il détailla son hôte de la tête aux pieds. Elle lui rappelait cette vieille dame à la fin de Titanic, avec un regard deux fois plus perçant, et brillant malgré l'obscurité ambiante. Ses grands yeux avaient la couleur de la jade, bien qu'un peu plus sombre. Pas de bijoux, aucune breloque. Elle portait juste un pull rose en piteux état et un pantalon gris. Le bas de son pantalon, tout comme ses sabots, étaient largement recouverts d'une fine poussière grisâtre. Probablement de la cendre. Elle répondit :

— Et moi, ici. Je vis avec le strict minimum.

— Comment se fait-il que la maison soit dans un pareil état ?

— Je me fais vieille et, je n'ai pas les moyens de faire faire les travaux qui s'imposent,

voyez-vous. Et la plupart de mes visiteurs ont une fâcheuse tendance à s'attaquer aux fenêtres.

Marcus piqua un fard.

— Je suis vraiment désolé. Je ne m'attendais vraiment pas à trouver quelqu'un dans cette maison.

— Eh bien, entrez !

Réflexe de personnalité à tendance paranoïaque, Marcus regarda derrière lui avant de s'exécuter. Tout au bout du chemin, il crut apercevoir l'homme qui lui avait offert de l'eau, le béret sur la poitrine, immobile. Aussitôt, ce dernier se retourna et déguerpit, comme apeuré.

— Allons, qu'attendez-vous, s'impatienta la petite femme. Vous n'allez quand même pas craindre une petite vieille, si ?

Cachant tant bien que mal son malaise, Marcus la remercia d'un signe de tête, peu rassuré, avant d'entrer. Rien, absolument rien à l'intérieur.

— Mais comment faites-vous pour vivre sans...

La porte claqua brutalement. Marcus sursauta. Lorsqu'il se retourna, son hôte avait disparu. N'écoutant plus que son instinct de survie, il bondit sur la poignée, s'acharna dessus. En vain. Idem sur les fenêtres, qu'il tenta de pulvériser à coups de gourde.

— Putain ! On nage en plein délire, paniqua-t-il, démuni.

Le mauvais temps fit alors place à une magnifique éclaircie, qui illumina le néant où Marcus se retrouvait prisonnier. À travers la fenêtre arrière, il remarqua quelqu'un : la vielle dame, en train de cueillir des haricots verts dans un potager on ne pouvait mieux entretenu. Non loin, un homme inconnu, à peu près du même âge, déversait des seaux de cendre au milieu d'un poulailler intégralement grillagé, pour le plus grand plaisir des volatiles.

Marcus n'y comprenait plus rien. Que faire ? Pas grand-chose sinon essayer de comprendre le pourquoi du comment, et reprendre ses esprits. Il continua d'espionner les deux personnes âgées. Chacune vaquait à ses occupations lorsque deux jeunes surgirent de nulle part, armés de couteaux. Quelques paroles s'échangèrent, inaudibles pour Marcus, entre le couple et le duo de rôdeurs. Le vieil homme s'interposa entre la femme et la petite frappe, ce qui lui valut une flopée de coups de lames au niveau du tronc et de la gorge. Même sort pour celle qu'il n'avait pu protéger bien longtemps. Aucune once de pitié dans le regard glacial des meurtriers qui s'acharnèrent davantage sur l'un et l'autre, pourtant allongés et baignant dans leur sang. Une barbarie absolue.

Puis, les criminels disparurent du champ de vision de Marcus, lequel changea de fenêtre dans l'espoir de localiser à nouveau les assassins. Mais peine perdue. Puis, le silence. Total. Pesant. Jusqu'à ce que l'habitante des lieux réapparaisse dans le dos de Marcus, avec ce même pull, cette fois troué de partout, à l'image de sa gorge et de sa joue gauche.

— Mais qu'est-ce qui se passe ici, nom de Dieu ? brailla-t-il, en secouant la tête nerveusement comme pour supplier l'espèce de cadavre ambulant de ne pas avancer.

Marcus capta soudain une étrange odeur, cette même odeur qui se dégage des poils qu'on brûle. De la fumée émanait à présent de la vieillarde.

— Vous autres, cafards, nous avaient tué, avaient pillé notre maison et nos corps. Vous ne méritez pas de vivre.

Son pull rose commençait à se consumer au niveau du nombril et des manches.

— Mais… J'y peux rien, moi. Je suis pas responsable de ça, se justifia Marcus, désespéré et impuissant, tout en cognant la fenêtre avec vigueur.

— Vous êtes tous pareils. Tous des voleurs, tous des opportunistes. Charognards ! Vermine !

Le mari révéla sa présence de l'autre côté de la fenêtre. Son corps était dans le même état, à cela près que les flammes s'étaient propagées sur lui. Il souriait, faisait coucou à la fenêtre, l'air ravi. Sa femme reprit, en avançant vers Marcus. Elle prit alors feu à son tour :

— Pas de pitié avec les cafards ! Vous devez tous disparaître !

— Laissez-moi partir ! J'ai rien fait ! Je suis pas un tueur, moi !

— Tous !

La peau de l'interlocutrice rougissait, cloquait, se craquelait à vue d’œil. Elle courut vers Marcus, qui lui asséna un coup de poing. Puis une série. Mais les flammes venaient de conquérir ses propres vêtements. Il hurlait comme jamais il n'avait hurlé tout en tapant frénétiquement sur son corps, dans l'espoir ultime d'éteindre les flammes. Ce fut dans une extrême douleur qu'il se mit à rouler sur le plancher. La vieille dame se jeta sur lui de façon à nourrir le feu naissant. Les cris de Marcus étaient assourdissants, mais personne ne les entendrait jamais.

* * * * *

Le lendemain matin, les bergers allemands du vieil homme aboyèrent au son de la cloche.

— Ouais ?

— Salutations, mon ami. Moi c'est Tchito. Voyez-vous, j'ai comme qui dirait des petits problèmes d'argent et de logement en ce moment. Et allez savoir pourquoi, mon petit doigt m'a dit que je pourrais trouver mon bonheur dans le coin.

— Bah 'coutez, malheureusement, y a rien d'spécial par ici. À part une épave d'caravane un peu plus loin, c'est pas l'paradis du tout.

— Parfait ! Je vais aller voir. Merci, l'ami.

Une fois le portail refermé, le propriétaire se demanda intérieurement pourquoi tant de SDF continuaient d'affluer de la sorte depuis tout ce temps. Presque un tous les jours. Lui pensait à un trafic. Et lorsqu'il promenait ses bêtes dans le chemin, la caravane paraissait toujours la même. Que pouvaient-ils tous bien faire au bout d'un chemin qui ne donnait que sur les ruines d'une ancienne maison, carbonisée dix ans auparavant ? Et pourquoi s'amusaient-ils tous à déverser continuellement de la cendre autour ? 

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