LA MAISON AU BOUT DU CHEMIN (1/3)

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À peine eut-il fléchi le genou pour refaire son lacet que Marcus grimaça. Il avait déjà goûté aux tuyaux, aux bouteilles cassées, aux boots, mais jamais, jusqu'à hier, au pied-de-biche. Un passage à tabac qu'il n'oublierait pas de sitôt.

Tandis qu'il forçait sur ses muscles meurtris, il repensait au visage haineux et raviné de son agresseur, surnommé « Tchito » dans le secteur, ainsi qu'à ses menaces de mort.

« Maintenant, c'est ma rue, alors soit tu disparais, soit demain on te retrouve crevé dans ta pisse. Tu captes ? »

Si Marcus faisait montre d'une incroyable débrouillardise en matière de survie urbaine, il ne présentait aucune aptitude particulière dans l'art du combat. Aussi avait-il préféré céder son territoire sans broncher plutôt que de risquer sa vie ou de finir handicapé. Après tout, ce n'était pas la première fois que le destin le pousser à s'exiler. L'idée lui était venue comme ça. Pourquoi cette commune-là plutôt qu'une autre ? Il n'en savait vraiment rien, mais il sentait en son fort intérieur que ce serait la bonne.

Après une heure et demi de marche en direction de la campagne, Marcus se tint devant le panneau de l'agglomération visée. Loup solitaire, de surcroît sans attache familiale, il espérait bien reconstruire sa routine ici, et ce, avant l'imminente tombée de la nuit. Il lui fallait d'abord trouver un toit de fortune qui ne soit ni un foyer d'accueil, ni le hall des urgences les plus proches, ni des toilettes publiques. Du moins, dans la mesure du possible.

Le long de la nationale, le quinquagénaire aux cheveux rasés – ou comment limiter l'hygiène capillaire – ne remarqua rien d'intéressant, pas même un empilement de tôles ou même un véhicule abandonné en plein bois. En observant au loin les longues cheminées de la zone industrielle, Marcus s'arrêta un instant, vida le fond de sa gourde puis bifurqua sur un chemin de terre glissant. Quelque chose d'inexplicable l'y attirait.

— On verra bien…

Premier coup de chance un bon kilomètre plus loin : une pyramide de betteraves en bordure de chemin. Marcus posa son sac à dos, en sortit un sac plastique troué çà et là, qu'il chargea de trois beaux légumes, peu importait qu'ils soient couverts de terre. À proximité branlaient les murs de briques d'une fermette, lesquels murmuraient aux oreilles du nomade son proverbe favori : « la chance sourit aux audacieux ». Ni une ni deux, Marcus gagna le portail et sonna l'énorme cloche en fonte fixée à hauteur de tête, aussitôt suivi de l'aboiement d'un duo de bergers allemands. À ce bruyant concert s'ajouta le son de pas dans les cailloux qui parsemaient la cour. Un vieil homme au béret déchiré calma ses bêtes puis demanda :

— Ouais ? C'est pour quoi ?

— Bonjour monsieur. Excusez-moi de vous déranger mais, auriez-vous un peu d'eau pour remplir ma gourde, s'il vous plaît ? Même de l'eau de robinet, peu importe. Je suis à sec.

— Z'avez pas vraiment la tête d'un randonneur, fit-il en toisant son interlocuteur. Et puis personne randonne dans le coin.

— Je vis dehors, si vous voulez tout savoir.

— Ah... hoqueta le retraité. Bon ben, donnez-moi vot' gourde, j'vais la remplir. Vous bougez pas de là, sinon ces deux gaillards risque d'vous bouffer une guibolle.

— Pas de problème. Merci beaucoup.

Le petit homme pansu referma le portail, rebroussa chemin avant de réapparaître quelques minutes plus tard avec ma gourde, pleine.

— V'là.

— Merci, vraiment. En passant, vous savez s'il y aurait un coin pour moi passer la nuit ? Vous voyez ?

— Bah, y a bien une caravane pourrie au bout du ch'min, mais bon… Ça doit grouiller d'bestioles là-d'dans. J'sais pas si ça vous ira. À part ça, que tchi ! Allez, bon courage, mon gars.

— Eh bien, je vais aller voir ça de plus près. Bonne soirée à vous. Au revoir.

Douze minutes supplémentaires à marcher dans les sillons creusés par les roues de tracteur pour enfin atteindre la fameuse caravane. Rouillée de partout, sans fenêtre ni porte – toutes éparpillées par terre –, et dégageant des relents d'urines macérées dans un lit d'immondices, entre autres réjouissances.

— Bon ben au moins, il m'a donné de la flotte. C'est mieux que rien.

Impossible pour Marcus d'envisager de dormir dans un tel cloaque. Lorsqu'il jeta un œil aux alentours, il aperçut, au-dessus des cimes, un toit et une girouette noire en forme d'hirondelle.

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