PURPLE BAR (1/1)

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3h36. Je n'arrive pas à dormir. Ma chambre me cuit à l'étouffée. Saloperie de saison. Sans parler de tous ces cons de chats toujours à miauler et à se battre sur le toit d'à-côté.

— Bon allez ! Ras-le-bol ! Faut que je sorte de là !

Je me lève, enfile t-shirt, jeans et chaussures. Il doit faire presque trente degrés dehors.

Il y a ce bar à deux pas d'ici. J'ai remarqué qu'il restait ouvert jusqu'à pas d'heure. Un pote m'a d'ailleurs avoué avoir essayé de se taper la serveuse. Essayé seulement, car il avait dû partir en urgence pour un autre rencard. Quel queutard, celui-là ! Incurable ! Pourtant, il s'en est pris des râteaux, tellement qu'il pourrait ouvrir un commerce.

Je récupère mon trousseau sur la table, m'assure de la présence de ma crapette et d'un peu de monnaie à l'intérieur avant de quitter ma piaule. Détour par la salle de bain. Je me rafraîchis, me refais une beauté puis… en route !

La rue est déserte en ce soir d'août. Je marche tranquillement en direction de ce fameux bar, en périphérie du centre-ville, éclairé par les lampadaires en fer forgé fleuris de géraniums. Dix minutes plus tard, j'atterris devant la façade du Purple. L'enseigne en néons diffuse une lumière mauve clignotante. Personne à l'extérieur. Seul indice, un mégot encore fumant dans le caniveau.

La porte vitrée laisse deviner le sombre intérieur de l'établissement ainsi que l'absence manifeste de clients. Parfait. Je pourrai monopoliser l'attention de la barmaid.

J'entre. Le tintement d'une clochette retentit. Le comptoir de marbre jaspé et ses tabourets en cuir noir longent le mur de gauche. En face, flippers électroniques, baby-foots et billard occupent l'espace. Pourtant, personne pour y jouer. Les toilettes se situent au bout de l'axe principal du troquet, intégralement plongé dans une atmosphère presque fantasmagorique. Camaïeu de violet, de mauve et de parme. Un peu surchargé à mon goût.

— Bonjour, lancé-je à l'employée qui ne s'était même pas retournée au signal de mon arrivée.

— Salut, me répondit-elle, continuant d'essuyer les verres avec son torchon.

Je progresse vers la rangée de tabourets, ce qui me permet de constater que mon pote ne m'avait pas menti. Une belle blonde à chignon haut. Son jeans délavé moule à merveille les reliefs de son fessier de sportive ; son haut s'ouvre en triangle jusqu'aux lombes. Taille de guêpe. Une vraie bombe.

— Je prendrai une Ruby, s'il vous plaît, fais-je, en m'installant.

— Ça marche !

— Etonnant que vous soyez encore ouvert à cette heure.

— En fait, on fait que des nuits.

— Ah, ouais ? Je savais pas.

— De temps en temps, on organise des 'touzes pour les habitués ou des parties de poker pour le fun. Mais pas d'argent. On veut pas d'emmerdes.

— Quoi ? Des partouzes, tu dis ? relevé-je, les yeux écarquillés.

Je contemple la finesse de ses traits et le bleu métallique de ses yeux lorsqu'elle me sert la bière déjà décapsulée. Peut-être ne l'ai-je pas vue faire, trop monopolisé par son superbe popotin.

Je descends deux goulées.

— Qu'est-ce que ça fait du bien ! Elle a un petit goût différent de d'habitude, je trouve. Un chouia plus amer.

— C'est normal, on rajoute un ingrédient secret. C'est ce qui fait la réputation du Purple… Un aphrodisiaque.

Elle pose ses coudes sur le bar de façon à m'exposer son décolleté très plongeant. Se mordille la lèvre.

— Et ces orgies, tu y participes ? tenté-je directement.

— Ouais, j'adore ça ! Dépêche-toi de finir ta bière, que je te montre la salle où ça se passe.

— Tu déconnes ? m'extasié-je, un sourire tiré d'une oreille à l'autre, avant d'avaler d'une traite le reste de ma boisson.

Elle aurait pu me donner de la pisse d'âne, je crois que je l'aurais bu comme de l'eau. Quel crevard j'étais. Moi aussi.

— Allez, viens. Je te montre, lance-t-elle, menton levé en direction du fond du bar voilé d'un rideau, juste à côté des gogues.

— T'as des capotes, au moins ?

— À ton avis ? En faisant des 'touzes, forcément qu'on est équipés. C'est même obligatoire.

On se rejoint au niveau du rideau, qu'elle tire. Un coffrage en bois apparaît. Mon guide passe la main dans une encoche mystérieuse. J'entends cinq bips puis un sixième de validation. Un bruit sec confirme le déblocage de l'accès. Elle pousse le coffrage et la porte dissimulée, m'attrape le poignet avant de m'attirer dans l'ambiance tamisée d'une grande pièce violette, munie de matériel S.M. en ses quatre coins. Une seconde porte existe. Elle rabat le coffrage. Nous voilà enfermés, isolés. Un verrouillage automatique s'enclenche.

— Et celle-là, elle donne sur quoi ? la questionné-je, curieux et excité.

— Sur la salle de poker. Mais c'est pas ça qui t'intéresse, hein ? souffle-t-elle, paumes plaquées sur ses seins.

Elle se tourne, colle son dos à moi pour mieux se dandiner contre mon sexe. Tandis qu'elle fait grimper le mercure, je commence à me sentir vaseux. Ses phalanges courent sur ma verge, par-dessus la braguette. Elle ne doit pas être déçue par ma réceptivité. À mon tour de balader mes doigts sur son corps, sur sa poitrine. Mais mon état empire. J'interromps les préliminaires, forcé de la repousser avec délicatesse quitte à saboter ma chance.

— Excuse-moi, mais... Je sais pas... Je me sens pas bien. Comme si j'allais… tomber dans les vapes. C'est quoi cette aphrodisiaque dont tu m'as parlé ?

— Oh t'inquiète pas. Ça fait ça des fois à certaines personnes. Attends, je vais appeler mon boss. Il a un truc pour stopper l'effet.

Sa prononciation venait de changer. Un accent jusqu'alors inexistant se dégage.

— C'était… quoi... dans...

Je ne parviens même pas à finir ma phrase. Mes jambes me lâchent. Je me retrouve allongé au milieu de la salle, au bord de l'inconscience. La barmaid s'éloigne, utilise un interphone que je n'avais pas remarqué. Elle se met à parler russe. Aussitôt, une armoire à glace en costume noir pénètre dans la pièce, attrape la serveuse par les hanches et l'embrasse en lui glissant quelques mots à l'oreille :

— Good job, Tatiana, la félicite-t-il, en lui décernant une tape amicale sur les fesses.

Il s'approche, penche son visage carré et balafré au-dessus de moi. Je me sens partir. Je suis paralysé. Une poignée de mots distincts précède mon évanouissement. Le patron aussi roule les « r ».

— Réjouis-toi, mon ami ! Tes organes vont sauver des vies !

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