IMMERSION (1/1)

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Ma tête… Mais...

Mon cœur augmenta son tempo. Impossible d'ouvrir les paupières. Quelque chose comme de l'adhésif les maintenait closes. On m'avait également attaché poignets et chevilles aux accoudoirs de mon siège et enfoncé un bâillon dans la bouche.

Non entravé, mon nez capta un abominable mélange d'odeurs : métalliques, fécales, animales, florales…

Je ne suis pas chez moi. Et tout ce bruit...

J'avais l'impression de me trouver à l'intérieur d'une usine où les machines tournaient à plein régime. Malgré cette cacophonie, je pouvais percevoir des hurlements étouffés derrière moi.

Alors, quelque chose ou quelqu'un attrapa mon support puis me fit rouler comme s'il acheminait une vulgaire cargaison. Je gigotais, beuglais de toutes mes forces dans la boule de tissu imprégnée de salive.

Mon corps bascula sur le côté. Virage à 90 suivi d'un arrêt franc.

Une série de bips aigus trahit la composition d'un code ou d'un numéro. On me poussa de nouveau, quelques mètres encore, avant que des doigts glacés n'arrachent d'un coup sec le scotch sur mes yeux. Et un gémissement.

Putain, c'est quoi ce délire !

Un cri d'effroi s'ajouta au tintamarre ambiant. Mes prunelles détaillaient à présent un imposant humanoïde qui se tenait droit devant moi, lui et son visage alvéolé de plusieurs globes oculaires. Des centaines de facettes bleu guède occupaient la moitié de sa tête en forme de ballon de rugby recourbé et luisaient sous les halos blancs lumineux lévitant au plafond. Il s'adressa à moi :

— Ne crains rien, commença-t-il d'une voix d'agonisant, dépourvue de toute vibration de cordes vocales.

Pas un mot supplémentaire n'émana de la fente exiguë qui lui servait de bouche. Je tremblais comme un parkinsonien. Il pivota, quitta la pièce, recomposa le code et fit apparaître un pan translucide, fermant ainsi ma cellule comme si l'accès n'avait jamais existé.

Trois cubes de verre, identiques au mien, m'entouraient. À ma gauche, une femme s’époumonait, gesticulant au milieu d'une dense nuée de mouches multicolores. Le verre devait présenter une incroyable épaisseur pour autant insonoriser nos cages respectives. À ma droite, un homme d'âge mûr, vêtu d'un simple boxer, voyait son cube se remplir d'eau à vitesse grand V. Enfin, face à moi, séparé par une allée éclairée par le sol, une seconde femme venait de s'évanouir dans la l'épaisse couche de sang où baignaient ses pieds nus.

Mon Dieu, qu'est-ce qu'ils vont me faire ?

Mon regard s'éleva : une gueule noire circulaire béait au-dessus de moi. Je suais comme par canicule, me sentais sale.

Poisseux.

Lorsque ce mot me traversa l'esprit, il m'écartela les paupières au passage. Bien que toujours bâillonnée, je braillai comme un porc d'abattoir.

Non, Seigneur, je t'en supplie… Tout, mais pas ça.

Trop tard. De la canalisation déferla un torrent de poissons de toute taille, visqueux et puants, morts pour la plupart. Les derniers survivants sautillaient tant bien que mal. L'un d'eux me gifla de sa queue. Mes cheveux s'engluèrent à mesure que leurs écailles glissaient sans relâche sur mon visage.

Je gueulais. Littéralement. Comme jamais je n'avais gueulé de toute ma vie.

L'enveloppe grisâtre qui m'enserrait se relâcha soudain. Aussitôt, je me levai. Balayai des mains les corps écœurants de mon pyjama alourdi de mucus et d'algues filandreuses.

La tension me concassait les tempes à chaque battement.

Je m'écartai du jet de poissons. M'adossai contre la paroi, recouverte d'insectes de l'autre côté. Le dernier cube, que je n'avais pu voir puisque auparavant dans mon dos, contenait une personne déguisée en clown, tentant coûte que coûte de se libérer de son costume. On lui avait solidement attaché un masque blanc à joues rouges spiralées ainsi que de fausses frisettes orange de part et d'autres de son crâne. Devant pareille détresse, un frisson dévala mes vertèbres.

Mais l'heure n'était pas à l'apitoiement sur le sort d'autrui. Je devais me concentrer sur ma situation. Du pied, je repoussai désespéramment la marée de cadavres infects loin de moi, marée qui se reformait aussitôt.

L'origine de cette phobie absurde resurgit alors dans ma cervelle en ébullition. Je visualisais chaque détail, revivais chaque seconde de cet instant. Le ricanement malicieux de mon frère aîné dans mon dos. La chute dans le bassin. Et toute cette poiscaille répugnante me fouettant et me glissant dessus.

Impuissant, je me résignai à attendre, recroquevillé dans un coin, et pleurai. Pleurai jusqu'aux spasmes.

Passées plusieurs longues minutes, l'extraterrestre resurgit de nulle part avec une espèce de fine baguette noire entre ses quatre doigts étiques et bleuâtres, chacun dotés de cinq phalanges.

— Ton passage à la phobothèque est terminé, humain.

Il dirigea la mystérieuse tige vers moi. Je sentis une espèce de picotement puis un flash m'aveugla.

* * * * *

— Alors, chéri ? Bien dormi ? me demanda mon épouse, allongée sur le flanc dans notre lit. T'as dû avoir drôlement chaud cette nuit ? C'est bien la première fois que je te vois enlever ton pyjama pour dormir... Tiens, c'est quoi ça ?

Son visage zooma puis afficha une grimace horrifiée.

— Euh... Surtout, ne bouge pas, ordonna-t-elle avec sang-froid.

— C'est quoi ?

Elle attrapa quelque chose, collé dans tignasse.

— Ben… Ne panique pas, hein. On dirait des… écailles ?

— Hein ? Qu'est-ce que tu me chantes ?

Tandis que j'examinai sa trouvaille du bout des doigts, un troupeau d'éléphanteaux à mèches blondes chargea dans les escaliers en vue de nous prendre d'assaut.

— Papa, maman ! Merci ! Merci ! C'est trop cool ! Ils sont trop beaux en plus. Y en a, on dirait ceux dans Némo !

Ma femme et moi nous regardâmes comme deux ronds de flan.

— Merci pour quoi ? m'étonnai-je, sourcil levé.

— T'es bête ! lança ma fille. Ben, tu sais pour quoi ! Pour l'aquarium, voyons ! Surtout que toi, t'as peur des poissons ! Maman, faut que tu viennes. Y en a un qui a sauté dehors ! Faut le remettre à l'eau. Vite !

— Un aquarium ? souffla ma moitié, dans un état de confusion absolu.

— Mais oui, quel aquarium ? Et depuis quand j'ai peur des poissons, moi ? N'importe quoi. martelai-je en détournant mon regard en direction de ma femme. T'es sûre que t'as mis que du chocolat dans le gâteau d'hier ?

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