L'OMBRE DU PANDA (6/7)

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Lucas n'était pas rentré chez lui. À cela, il avait préféré quelque vagabondage dans le parc, obnubilé par ce poing réduit en charpie. À ses yeux, il s'agissait de l’œuvre de Simon. Cela ne faisait aucun doute. Que lui voulait-il exactement ? Non pas qu'il ressentait la moindre âcreté à son égard pour l'avoir, à deux reprises, débarrassé de la menace qui planait sur lui, mais il s'inquiétait de la tournure que prenait les événements. Bientôt, il aurait des explications à fournir, sinon des comptes à rendre. Il était grand temps d'obtenir davantage de réponses. Le lycéen obliqua. Direction la bibliothèque du centre-ville. Là-bas, on lui ficherait la paix.

Sur place, il s'installa devant l'un des nombreux ordinateurs à disposition. Lança le moteur de recherche. Habitué à pianoter, Lucas n'avait même plus besoin de regarder le clavier. Aussi réalisa-t-il rapidement que le texte disparaissaient à mesure qu'il tapait, comme si… Non, Lucas ne rêvait pas. La touche supprimer demeurait pressée, quoi qu'il tente.

Ni une ni deux, l'adolescent cessa de résister. La présence de Simon se confirma lorsque les touches du clavier s'enfoncèrent en totale autonomie. Dans la barre de recherche apparut Simon Guéret, 1998. S'ensuivit une courte série de clics. Devant les pupilles étrécies de Lucas, s'afficha un article du journal régional intitulé : « Tué parce qu'il était différent ».

Il le lut attentivement, un peu plus abasourdi à chaque paragraphe. Simon Guéret était donc un collégien, tout comme lui, harcelé par une bande de jeunes de son établissement. Sa différence, la couleur de ses cheveux. Un vrai roux. Humiliations, brimades, violences, un triste résumé de ce que Simon avait enduré, jusqu'au dérapage fatal. La poussée de trop, la mauvaise chute et l'hémorragie méningée. Peut-être aurait-il survécu si ces assassins avaient choisi de prévenir les secours plutôt que de le traîner dans un buisson. Majeurs, le juge les avaient condamnés à vingt années de réclusion pour homicide aggravé. Une ligne de plus à leur casier judiciaire déjà bien garni, pour certains.

Lorsque Lucas eut terminé la lecture de l’article, la souris se déplaça seule. La page se referma au profit d’une page blanche de traitement de texte. Il comprit. Préférant ne pas attirer l’attention en dialoguant de vive voix avec un écran d’ordinateur – l’épisode de la cour de récré lui avait suffit –, il préféra écrire ses questions :

Est-ce toi qui a fait tomber l’échelle ?

Oui

Écraser le poing ?

Oui

Pourquoi cherches-tu à me protéger ?

L'adolescent surveillait les alentours, au cas où quelqu’un remarquerait la mystérieuse autonomie des touches du clavier. Pas de chance, un groupe d’élèves pénétra à l’intérieur du bâtiment, se dirigeant tout droit vers les PC libres. Simon se chargea lui-même d'abréger l'échange en fermant le fichier. Aussi frustré qu'agacé, Lucas se leva et quitta la bibliothèque, bien décidé à poursuivre dès que possible.

Il retraversa le cœur bétonné de la ville en vue de regagner ses pénates. Quelle surprise eut-il en apercevant la voiture de son père dans l’allée. La porte n’était pas verrouillée, alors il entra à pas feutrés, tel un cambrioleur diurne, ce qui lui permit d'espionner la discussion volcanique de ses parents :

— On s’est fait duper comme des bleus, s’enflamma son père. Ce contrat-là, on aurait jamais dû le perdre. Qu’est-ce qu’on a branlé, bordel ? Fais chier ! Des guignols, voilà pour quoi on passe maintenant !

— C’est pas grave ! Y en aura d’autres des contrats, relativisa sa mère, avec appréhension.

— Et comment que c’est grave ! Pour nous, tout était calé. Ils avaient plus qu'à signer. Notre chiffre va en prendre un sacré coup ! À la dernière minute, ils nous annoncent qu’un concurrent sorti de nulle part leur a fait une proposition « plus intéressante ». Ça fait des années qu’on bosse avec ce client et il nous la fait à l’envers, juste parce que l’autre est moins cher ? Sérieux ? J’avais envie de lui enfoncer ses lunettes jusqu’au trognon !

— Calme-toi, chéri ! Ça sert à rien de péter les plombs.

— En plus, tu me dis que le gamin a recommencé ses conneries. Il va voir celui-là.

Lucas devint pâle comme un linge, ce qui soulignait davantage sa tache-de-vin. Si sa mère s’accommodait de privations et d’interdictions en tout genre, Christophe, son père, avait la fâcheuse tendance à recourir, en supplément, aux gifles en cas de montée de sang. Et la redondance des écarts de son fils en généraient de plus en plus. Certes, cela ne constituait guère une forme sévère de maltraitance, mais Lucas estimait, en toute légitimité, que ce qu’il vivait en dehors de la maison suffisait amplement. À son grand dam, cet argument ne faisait plus mouche.

— Merde, j’ai laissé mes clés dans la bagnole, fit soudain son père avant de rebrousser chemin.

Lucas demeura figé, acceptant son sort. Il aurait pu prendre ses jambes à son cou, errer çà et là dans les rues, au risque d’être pris à parti pour la énième fois ou de finir le nez dans la rivière. Mais pas cette fois. Ses yeux gagnèrent en brillance.

— Ah, tu tombes bien ! s'égosilla Christophe, index tendu comme un fleuret. Va falloir qu’on ait une petite conversation, toi et moi. Va dans ta chambre, j’arrive.

Sans broncher, ni même essayer de jouer sur la corde sensible, Lucas compta les escaliers tel un condamné. Il posa ses affaires dans un coin, puis s’assit sur le lit. En bas, un claquement de porte annonça la couleur, suivi d’une dispute au sujet de l'efficacité des sanctions physiques. Chaque mot qui émanait de la bouche de sa mère ne faisait que tisonner la véhémence de son mari, lequel coupa court au débat et escalada les marches à son tour.

Lucas recompta.

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