L'OMBRE DU PANDA (4/7)

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De retour à la maison, Lucas raconta à sa mère qu'il avait passé une bien agréable journée, en dépit d'une chute dans la rivière, par maladresse. Pas née de la dernière pluie, Élise flaira le fumet du mensonge, mais préféra ne pas nuire à la joie sincère de son fils. Elle le questionnerait pendant le dîner. Pour le moment, elle avait prévu de se regarder un DVD, le fessier vissé dans le canapé.

De son côté, Lucas regagna sa chambre, revêtit des vêtements secs puis, agenouillé sur le lino, vérifia les dégâts de l'eau sur ses affaires. Par chance, les différentes couches du sac avaient tout absorbé, épargnant cahiers et classeurs. Quant à la calculatrice, à peine humide. Dans ses mains, ses boutons se remirent à s'enfoncer seuls bien qu'éteinte. La séquence se répétait. Cette fois, Lucas rassembla feuille et stylo afin de l'identifier : M+ 0 1 / 5 1 M+ 0 In / : )

Celle-ci changea dès lors qu'il fut en mesure d'écrire. Cette fois, deux secondes s'écoulaient entre chaque touche pressée, laissant le temps à Lucas d'écrire symbole après symbole.

0 = 0 ( ) 1 / X = In O In.

Quelques instants de réflexion furent nécessaire à l'adolescent avant qu'il n'émette sa première hypothèse :

— Zéro, égal, oui et fois, égal, non ?

: )

— Ah ! Mais du coup, l'autre combinaison veut dire… Moi, Simon ?

: ) : ) : )

Lucas ne comprenait pas ce qu'il était en train de vivre, et surtout, à qui ou à quoi il avait affaire. Il ne lui restait qu'à poser les bonnes questions, non sans une once d'adrénaline ;

— Es-tu une espèce de… d'esprit qui s'appelle Simon ? C'est ça ?

0

Poser la calculette et partir en courant, ou poursuivre cet étrange dialogue, Lucas hésita.

— Tu es vieux ?

X

— Jeune ?

0

— De mon âge ?

0

Lucas déglutit, réfléchissant à comment obtenir réponse concernant la raison de sa présence. Avant même qu'il n'ait pu formuler quoi que ce soit, Simon pressa de nouvelles touches :

5 7 3 √ 3 In

Le plancher des escaliers grinça. Élise arrivait. Aussi son fils s'empressa-t-il de ranger le tout dans son sac, qu'il catapulta sous son bureau avant d'allumer la console. La porte s'ouvrit.

— Tout va bien, chéri ? s'enquit sa mère, d'un ton soucieux.

— Ouais, m'man. Pourquoi ?

— Euh… Non rien. Comme ça. Bon, je te laisse tranquille. Tu as des devoirs pour demain ?

— Pas beaucoup. Je les ferai avant de manger. Promis.

— Bien. À tout à l'heure.

À peine eut-il compté le nombre pile de marches descendues que Lucas récupéra stylo, feuille et calculatrice. En vain. Simon n'était plus là, ou du moins, plus disposé à communiquer avec lui. Lucas ne dirait rien à sa mère, ni à personne d'autre.

Le lendemain, il se rendit en cours, s'assit à sa place habituelle pour suivre le cours de français, l'âme guillerette. Le professeur s'apprêtait à démarrer lorsque la directrice de l'école fit irruption dans la salle, l'air grave. En signe de respect, chacun se leva, puis se rassit sur autorisation.

— Bonjour à tous. Ce que je vais vous dire risque de vous faire un choc, et je comprendrais que certains d'entre vous aient besoin de sortir un instant. Comme vous l'avez remarqué, Steven est absent aujourd'hui. Il ne reviendra plus. Il a eu un grave accident hier.

— Qu'est-ce que vous voulez dire, m'dame ? s'emballa Déniss, craignant de comprendre le sous-entendu.

— Eh bien… Il est malheureusement… décédé des suites d'un violent choc à la tête, hier, peu après les cours.

Lucas s'efforçait de conserver son masque d'empathie. Ne pas attirer l'attention. Se fondre dans la masse. Verser une larme si besoin. Quoi que, pour une vermine pareille, certainement pas, affirma-t-il intérieurement.

Déniss était décomposé, le visage plongé dans ses bras en appui sur la table. Il sanglotait. Puis il envoya un coup de poing dans le mur sur son flanc gauche.

— Déniss ! rugit le professeur. On comprend ta colère, mais détruire la classe ne le ramènera pas.

À part lui, personne ne parut particulièrement touché par cette annonce. Bien sûr, la plupart estimait qu'il méritait beaucoup de choses, comme des heures de colle, au mieux une expulsion manu militari de l'établissement, mais pas de mourir si jeune.

— Si vous avez besoin de parler, je suis à votre disposition, précisa la directrice avant de prendre congé, laissant la parole à l'enseignant :

— Est-ce que quelqu'un a besoin de respirer un peu ?

— Ouais ! Moi, répondit l'endeuillé.

— Tu as dix minutes, après tu reviens, d'accord ? Personne d'autre ?

Déniss se leva en furie, quitta la classe, dans un silence de plomb. Il ne prêta guère attention à Lucas, qui se délectait secrètement de la situation. L'enseignant, quant à lui, embraya sur la suite des cours, presque impassible.

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