L'OMBRE DU PANDA (1/7)

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Lucas s'arrêta devant la porte d'entrée, tête baissée. Pendant de longues minutes, son regard alterna entre ses chaussures et la poignée dorée. Il se demandait qu'elle serait la punition du jour. Sa mère allait-elle innover, comme la dernière fois ? D'abord, le vélo, les jeux vidéos, les sorties, puis les trois d'un coup. Son corps se mit à frémir. Ses yeux, à briller.

— Tout ça à cause de ce truc sur mon visage, comme à chaque fois ! enragea-t-il, s'imaginant le dépecer au couteau.

Élise, sa mère, passa au même moment dans le couloir et reconnut la voix de son fils derrière la porte. En chemin, elle se détailla dans le miroir mural, moment opportun pour replacer une mèche récalcitrante, avant d'ouvrir.

— Chéri ? Tu en fais une tête ?

Le collégien fondit en larmes contre le top imprimé de sa mère, qui comprit aussitôt que la première semaine de cours n'avait pas fait exception.

— Allez, viens. On va discuter tranquillement dans la cuisine, tenta-t-elle de le rassurer.

Lucas abandonna son sac à dos au pied du porte-manteau surchargé, en sortit son carnet de liaison, pour enfin s'asseoir devant la mine empourprée de sa mère, encadrée par une frange.

— Alors ? soupira-t-elle, les bras croisés.

L'air coupable, l'enfant ouvrit le petit cahier à la bonne page, qu'il fit glisser en direction du juge habituel, lequel entama la lecture à haute voix :

— « Bonjour madame Berlot. Je n'ai pas souvent l'habitude de commencer l'année scolaire de la sorte, et je n'y prends aucun plaisir, mais vous devez savoir que Lucas a donné un coup de poing au visage d'un autre élève. Selon ses dires, ce dernier l'aurait traité de « panda borgne ». Je peux comprendre la réaction de Lucas, mais il ne doit pas faire justice lui-même, quoi qu'il se passe. Qu'il vienne nous voir. L'autre élève a également eu un rappel à l'ordre. Je vous saurais gré de faire le nécessaire afin que ce genre de règlement de compte ne se reproduise plus. Cordialement. Madame Henocq, professeure principale. »

Élise referma le cahier, se caressa mécaniquement le visage :

— Je ne sais plus quoi dire ou quoi faire pour que tu arrêtes de te battre encore et encore ! grinça-t-elle, d'un ton acéré.

— Mais je… Il m'a insulté ! sanglota Lucas. Tous les autres se moquent de moi sans arrêt ! J'en ai marre ! Marre ! Les punitions, ils s'en foutent ! Ils continuent de me traiter de tout et n'importe quoi. L'année dernière, c'était le « monstre », et cette année, ça va être le « panda », c'est ça ?

— Lucas, écoute. Je sais que c'est toujours à cause de cette fichue tache de vin mal placée, qui nous pourrit la vie, à tous, tu m'entends ? À toi comme à nous. Mais on n'a pas le choix, il faut attendre ton rendez-vous pour le traitement au laser. Et dis-toi bien qu'il faudra encore attendre entre chaque séance. Jusqu'à six mois, peut-être. Alors en attendant, tu ne dois plus taper les autres, sinon tu vas finir par te faire virer de cet établissement-là aussi. On a déménagé. C'est une nouvelle chance. En plus, on habite à deux pas. Ça facilite beaucoup de choses. Contente-toi de signaler ce qu'on t'inflige à tes professeurs ou aux surveillants. Vraiment, j'insiste. D'accord, Lucas ? S'il te plaît.

— Et on me traitera de « lopette » et de « mouchard », comme d'habitude ! Super !

Cette vérité vrilla les lèvres d'Élise, démunie. Conseiller, une énième fois, à son fils de douze ans de choisir le choléra plutôt que la peste lui nouait les boyaux. D'ailleurs, il lui avait fallu consulter dernièrement son généraliste pour des reflux gastro-œsophagiens si récurrents qu'elle en avait attrapé une otite.

Dépité, le garçon quitta sa chaise puis disparut dans sa chambre, au premier. Une vague de trémulations assaillit le menton de sa mère, à deux doigts de prévenir Christophe, son mari, en déplacement professionnel. Un énorme contrat, si juteux qu'il avait prié sa femme, à l'aéroport, de ne le déranger qu'en cas d'urgence absolue. En était-ce une ? Élise avait conscience que non, aussi détourna-t-elle son regard du téléphone fixe, pétrifiée sur sa chaise, les yeux rivés aux motifs champêtres de la nappe. Après tout, ce n'était pas la première fois qu'elle devait affronter ce genre de situation. Piètre réconfort que de se le rappeler.

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