MYSTERIA (2/5)

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La prudence murmurait aux oreilles d'Émilia de libérer ses phalanges. Aussi ridicule que cela puisse paraître, elle avait l'impression de ressentir de la gratitude, d'être au centre de l'attention singulière d'un autre organisme vivant que son mari.

— Tu t'y prends déjà mieux que lui, pouffa-t-elle avec une once d'amertume dans la voix. Pourquoi je reste avec, hein ? Si tu savais comme j'en ai marre de cette situation.

Sur ces derniers mots, la température du pot calé entre ses paumes grimpa. Richard brailla soudain depuis la fenêtre donnant sur le jardin :

— Tu fais quoi ?

Qu'est-ce que ça peut te foutre ? T'as pas d'autres conneries à regarder ?

— J'examine la plante.

— Bon, je vais venir jeter un coup d'œil. De toute façon, faut que je sorte, j'ai laissé ma caisse à outils dans la cabane. J'arrive.

Émilia regardait les racines et les feuilles gagner du terrain, enserrant avec délicatesse sa main et son poignet. Un frisson parcourut son échine.

Emmitouflé dans un manteau rembourré et souillé d'un peu de tout – poisse, bave de chien, sève, écailles – Richard arriva de son pas lourd, mains dans les poches. Dire qu'il l'avait un jour séduite par son élégance et son bon goût.

— Alors, c'est quoi son petit nom ? s'enquit-il, assis à côté de sa femme.

Emilia se caressa le menton puis répondit avec fierté :

— Mysteria paludicola.

— Et en français, ça donne quoi ?

— Mystère des étangs.

— En voilà un joli nom qui pourrait très bien t'aller. Émilia padulicola.

— Pa-lu-di-co-la, soupira Émilia.

— Et qu'elle commence à s'enrouler autour de ton bras comme ça, c'est normal ? Ça a pas l'air de t'inquiéter.

— Ce qui est inquiétant, c'est qu'elle arrive à me faire ressentir des choses que je n'ai plus ressenties depuis un bout de temps...

— Pfff ! Et ça recommence ! Des critiques, des critiques et encore des critiques. Quand t'auras autre chose à vomir, fais-moi signe.

Alors que le renfrogné prenait appui sur ses cuisses en vue de se relever, la plante libéra le membre d'Émilia, sinua tel un orvet et s'empressa de saisir le poignet poilu. De par sa force naturelle, Richard n'eut aucun mal à se libérer malgré la résistance de l'assaillante qu'il catapulta contre le tronc du saule.

— Non ! Non ! Arrête ! hurla la jardinière avec rage.

— Mais qu'est-ce que c'est que cette saloperie de plante ! Je vais aller te la cramer à l'essence, moi, tu vas voir ! Vite fait, bien fait !

— Dégage ! Dégage, je te dis !

— Tu deviens complètement tarée, ma pauvre ! Et hystérique, en plus ! Allez, c'est bon, je me barre.

Tout en se frottant le poignet avec aigreur, Richard se dirigea vers la cabane afin de récupérer son outillage. Pendant ce temps, Émilia s'assurait de l'état de Mysteria, laquelle demeurait indemne. Même le pot, qui avait pourtant heurté l'écorce avec violence, n'avait subi aucun dommage. Juste souillé par un peu de mousse et de terre.

— Mais quel con ! pesta la jardinière en essuyant le pot avec sa manche. Ne t'inquiète pas, ma belle, je suis là.

De retour sur son banc, Émilia plaqua la plante contre sa poitrine. Le végétal déploya derechef ses bras, les enroula autour du cou et des épaules d'Émilia, telle une pieuvre. Le verre du contenant dégageait une chaleur agréable, irradiait dans son tronc et ses membres. Une chaleur pareille à celle d'un feu dans l'âtre.

Mille questions foudroyèrent son esprit, tant au sujet du devenir proche de son couple que sur l'origine et la nature de cette plante énigmatique. Elle s'en posa davantage sur le lien qui naissait entre elles, lien qu'elle qualifiait déjà d'unique. D'intense.

Un bon quart d'heure passa. Richard n'était pas encore ressorti de la cabane. Au bout de quarante minutes, Émilia décida quand même de vérifier ce que son époux fabriquait. Tout paraissait trop calme, lui d'ordinaire si bruyant, si râleur.

Elle longea la berge, sous la pluie, s'amusant à lâcher le pot. Comme elle l'espérait, la plante demeurait suspendue à son cou. Sensation plaisante, presque maternelle. Arrivée à destination, elle tira la porte vermoulue et trouva Richard, allongé de tout son long, face contre terre.

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