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 L’homme aux cheveux bleus ne détournait pas le regard pour s'assurer que la bête ne se réanime pas tout de suite. Le corps famélique ne bougeait bel et bien plus. Le second homme qui était venu à la rescousse de Niels lui tendit le bras et cherchait à comprendre :

 — Vous allez bien ? Que s’est-il passé ?

 — Je pourrais aller mieux. Je ne sais pas ce qui lui a pris.

 — Ah, elle est de votre groupe ?

 — Oui, malheureusement… Elle a un comportement étrange depuis le réveil.

 Il observait le visage de Niels couvert de stries, les hématomes qui le parcouraient et son nez mordu à la moitié qui semblait pouvoir se décrocher sans trop d'efforts supplémentaires. Il lui conseilla de se rendre sans plus attendre à l’infirmerie, s’il pouvait encore marcher. Niels se leva difficilement mais réussi à se déplacer convenablement. Il tenait son nez dans sa main droite, sûrement par peur qu’il ne tombe. L’homme brun lui proposa son aide, mais il refusa, sans doute par fierté.

 Les deux anciens otages – à moins qu'ils ne le soient toujours –contemplèrent l’état de la scène. Une quantité incroyable de nourriture jonchait le sol, piétinée. Deux flaques d’eau arrosaient les graines. Plus de la moitié des sacs étaient déchirés, craqués, et certains renversés. L’homme aux deux couleurs de peau et aux cheveux de cobalt remarqua un couteau dans un coin.

 — Heureusement qu’elle l’a laissé tombé. Imagine le massacre si elle s’en était servie…

 Il s’appelait Harlow et n’avait pas souvenir d’avoir jamais donné un coup si violent. Il ignorait si Milla était en vie mais n’osait pas vérifier. Il préférait garder ses distances. Sa grande et fine taille rappelait celle d'un lampadaire. Son camarade se nommait Jean. Il était petit, robuste, blanc, brun, et avait un énorme nez implanté entre ses deux yeux.

 Celui-ci doutait encore.

 Il avait pensé que l’autre groupe était constitué de menteurs, peut-être même de maraudeurs. Mais dès l’instant où Niels les avait libérés de l'emprise de Herma, Jean avait compris qu’ils étaient comme lui, comme eux. Des victimes, des prisonniers. À moins qu'il ne s'agisse d'un coup de bluff ?

 Désormais, c'étaient surtout ces questions qui trottaient dans son esprit : « Sont-ils vraiment de notre côté ? Peut-on avoir confiance en eux ? Seraient-ce de vrais dangers ? Cherchent-ils à nous trahir une fois notre confiance acquise ? Et si leurs intentions sont pures, ne risquent-ils pas tout de même de nous porter préjudice ? »

 Selon lui, ces quatre personnes étaient atteintes d’une certaine folie. Herma, violente, brutale et bipolaire ; Milla, attaque ses propres coéquipiers avec l’intention de les tuer ; Myrmid, trop détendu pour la situation ; Niels, tire sur Matthew sans s’en repentir et son comportement soupçonneux qui dissimule à n'en pas douter des secrets.

 Jean ne comptait pas révéler sa perplexité à quiconque. Il lui fallait un minimum de preuves avant de partager ses appréhensions avec ses camarades. Les inquiéter pour rien risquerait de créer des tensions.

 Jean était réputé pour tout remettre en question, tout le temps. Grand prudent, précautionneux, il ne voulait rien laisser au hasard. Il supposait régulièrement que le monde n’était pas tel qu’il le croyait, allant même jusqu’à douter de sa propre existence. Il enjoignit à Harlow d’attacher Milla avant qu’elle ne sorte de son coma. Mais ils ne disposaient d’aucune corde. Alors il lui prescrivit de veiller sur elle, de ne JAMAIS détourner son regard.

 Niels entra dans l’infirmerie où Matthew était déjà en train de se faire ‘"recoudre", son épaule à moitié réparée. Il demanda alors :

 — Il respire encore ?

 — Oui, acquiesça la soigneuse sans détourner les yeux de son patient. Mais il est totalement inconscient. Les dégâts que vous lui avez fait subir sont considérables, il va falloir encore du temps avant de le remettre sur pied.

 — Je m’excuse...

 — Ah... Ce n’est rien. Je peux vous comprendre. Si j’étais à votre place j’aurais sûrement... Voilà.

 — Merci... Par contre, j’aimerais vous demandez une faveur.

 — Je vous écoute.

 — Vos deux collègues m’ont conseillé de venir vous voir le plus tôt possible...

 Elle se retourna alors pour regarder son visage, à demi caché par sa main ensanglantée. Elle poussa un léger cri de surprise.

 — Seigneur ! Que s’est-il passé ?

 — Une petite dispute, on va dire...

 — Montrez-moi ça.

 Elle posa ses ustensiles et s’approcha du visage du nouveau blessé. Il n’osait bouger sa main, aussi le somma-t-elle de la retirer pour observer l’étendue du ravage. Elle contempla quelques secondes.

 — Asseyez-vous ici. Ça risque fortement de s’infecter. Respirez lentement par la bouche, je vais régler ce problème. Désolée, je n’ai pas d’anesthésiants ni de morphine à disposition, les soins piqueront.


 Myrmid venait de récupérer de l’eau dans l’entrepôt, sous le regard défiant de Jean. Il fit boire Herma qui sortit de l’évanouissement peu de temps après en relevant promptement son buste et en respirant très fort. Sa gorge lui faisait copieusement mal. Elle tourna son regard vers Myrmid et chercha à savoir ce qu’elle avait manqué. Il répliqua :

 — Bof, pas grand-chose. Tu t’es faite étrangler de ce que j’ai compris. Puis on a essayé de te sauver. Et on a rencontré d’autres gens. C’est tout je pense... Ah, si ! Milla a attaqué Niels et il est parti dans cette direction.

 — Et tu racontes cette histoire comme si ce n’était rien, s’étonna Herma, à qui chaque mot prononcé lui paraissait semblable à une dague qu’on lui enfonçait dans le cou.

 — Bah, j’ai pas tout suivi donc c’est difficile. Et puis j’ai mal au crâne aussi.

 — Ouais c’est bien. Il faut qu...

 Il lui était trop douloureux de continuer à parler. Sa voix était déchirée, essoufflée et grave. Sous le coup des hématomes, son cou lui paraissait avoir triplé de volume. Elle eut alors le réflexe de boire l’eau qui se trouvait à ses pieds. Mais chaque gorgée lui irritait encore plus l’intérieur. Elle recracha, posa la bouteille, puis regarda fixement le mur devant elle. Elle voulait absolument faire quelque chose, mais elle devait attendre et se reposer. La douleur se multipliait à chaque instant pendant lequel Herma se concentrait sur elle. Son calvaire lui paraissait sans fin. Myrmid restait debout à l'observer et ne faisait rien, les bras ballants. Soudain il réagit. Il ne comprenait pas comment il avait pu rester inactif tant de temps face à Herma – une des personnes qu’il aimait le plus au monde – meurtrie. Il lui proposa de s’allonger dans sa capsule pour se reposer. Herma agit. L’intérieur des engins d’inertie artificielle avait pour avantage d’être très confortable, ce qui permit à Herma de ne pas devoir endurer un plus grand supplice.

 Myrmid aurait aimé voulu ne plus la voir souffrir, mais la réserve de produits liquides pour la cryogénisation était vidée. Il songea à regarder dans la carcasse d’IRIS si elle en conservait. Il ne comprenait pas pourquoi leurs kidnappeurs l'avaient également ramenée. Ni comment ils avaient pu la neutraliser sans l'abîmer...

 Le robot n’avait rien sur lui. Myrmid s’allongea dans la capsule à côté de celle d'Herma, qui pleurait. Il s’excusa mais il n’eut pas de réponse. Puis il remarqua sa propre somnolence.

  — Je peux encore être fatigué après un sommeil de quarante ans, s’amusa Myrmid, avant de plonger dans ses rêves.

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