Confessions

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Flavia se réveilla dans le lit immense où elle avait été déposée par le colosse napolitain. Celui-ci, assis sur le rebord, l’observait s’étirer, émergeant doucement de son agréable torpeur. Étonnée de se retrouver là, elle croisa son regard de glace cendrée qui la couvait intensément. Il arborait son habituel sérieux, silencieux face à elle.

Elle s’attarda sur ses traits parfaitement réguliers mais sévères. Le matelas ployait sous le poids de son imposante musculature, que dévoilait également sa chemise entrouverte. Sa longue chevelure argentée et sa pâle carnation tranchaient sur le tissu noir. La jeune fille se mordit les lèvres au souvenir de sa peau veloutée sous ses baisers, de son souffle fiévreux dans sa nuque alors qu’il l’enveloppait dans ses bras puissants.

Un soupir léger interrompit cette rêverie. À l’autre extrémité du lit se tenait le sublime capo, dont les incandescentes prunelles céruléennes la sondaient jusqu’au fond de son âme. Elle reconnut que sa mémoire avait trahi sa beauté irréelle, elle ne rendait pas justice à son sublime visage illuminé par ses yeux immenses. Toutefois, leur lumière marine était assombrie par de longs cils qui portaient leur ombre jusqu’au nez romain. La commissure de ses lèvres sensuelles se relevait à peine, exprimant l’ironie du capo, comme d’ordinaire. Il était vêtu d’un élégant costume blanc, une couleur dont il ne se départait jamais, qui contrastait avec sa peau hâlée, lisse comme du bronze. Ses cheveux bruns, tombaient raides sur ses épaules, retenus au sommet par une attache en or. Plus fin que son second, il n’en était pas moins athlétique, ce qui transparaissait malgré sa posture indolente. Mais tout son être respirait la majesté, imprégné de la hauteur de sa position, malgré l’extravagance de sa tenue.

Flavia baissa les yeux sous le feu croisé de leurs regards et ses mains se crispèrent sur la dentelle de sa nuisette.

Le désir incendiait peu à peu sa poitrine et contracta bientôt son ventre. Des mots qu’elle n’aurait jamais cru prononcer jaillirent comme un aveu.

— Prenez-moi, prenez-moi comme vous avez pris toutes les autres avant moi… s’il vous plaît, murmura-t-elle sur un ton suppliant.

Elle fixait les draps, immobile, retenant son souffle dans l’attente de la réaction des hommes, immobile.

— Tu veux qu’on se serve de toi comme de toutes les autres ? répéta le capo de sa voix chaude.

Flavia acquiesça d’un signe de tête sans oser lever les yeux vers lui, son corps se tendait dans l’incertitude de la réponse de l’homme.

Mais si celle-ci ne vint pas, elle perçut le bruissement des draps à son côté, et bientôt le souffle de l’homme sur son épaule.

— Tu vas souffrir, Flavia, tu sais que c’est que ce j’aime par-dessus tout. En es-tu consciente ? reprit la voix à son oreille.

— Oui, répondit-elle si bas qu’il pouvait seul l’entendre.

Un bras lui saisit la taille alors qu’au même moment, une main agrippa fiévreusement son menton pour le lever vers lui.

Le regard bleu se planta dans le sien, la captivant instantanément. Allait-il l’embrasser ? Leurs visages étaient si proches l’un de l’autre qu’il aurait suffi à la jeune fille de se hisser un peu pour atteindre les lèvres sensuelles que le sourire habitait toujours. Elle ferma les yeux, espérant qu’il en prendrait l’initiative, l’embrasant du même coup.

Le contact se fit, doux, lisse, mais froid, et elle se redressa brusquement, surprise.

Au lieu de la chambre au coloris jaune de Naples de la villa vésuvienne du capo, elle se trouvait dans une sorte de boudoir aux murs tendus de tentures somptueuses tout en nuances précieuses de garance et de kermès.

Elle enlaçait les draps de satin comme elle l’aurait fait du corps de ses amants, les pressant contre sa poitrine dénudée.

Comme l’illusion se dissipait, la douleur irradiant de son entrejambe lui rappela son éprouvante soirée, de même que le collier de cuir dont elle avait à nouveau ceint son cou. Le dégoût la reprit, et elle se dirigea vers la salle de bain en chancelant. Une nouvelle douche ne serait pas de trop pour la laver de toutes ces souillures.

Mais l’eau réveilla l’incendie de sa peau irritée, et elle se rua sur la crème qu’elle avait déjà utilisée la veille. Très incommodée, elle enfila ses vêtements à l’exception de la culotte qu’elle ne pouvait supporter, puis se hasarda dans le couloir qui menait au salon.

Maddalena était alanguie, vêtue d’un long déshabillé de soie pourpre, sur un engageant canapé de velours bleu paon, un livre à la main. Elle faisait face à une imposante cheminée au cadre de bois polychrome sur lequel trônaient deux vases fuselés en majolique d’Urbino représentant des scènes mythologiques. Flavia reconnut instantanément deux évocations du mythe d’Antigone, au moment où l’héroïne tragique pleurait sur le corps de son bien-aimé Polynice, et une autre où elle repoussait les soldats venus faire outrage au cadavre chéri. Étrangement, alors que le soleil s’était levé depuis longtemps, les épais rideaux de taffetas damassé restaient clos et les luminaires d’opaline jetaient une lumière aveugle sur l’ornementation baroque de la pièce.

Flavia avait l’impression d’entrer à l’intérieur d’une bonbonnière émaillée, mais cela s’harmonisait merveilleusement avec la personnalité de la prostituée.

Ce décor intimiste raviva le besoin de s’ouvrir à elle sur ce qu’elle avait ressenti précédemment, en taisant néanmoins les détails qui pouvaient la trahir, résolut-elle.

Sa grande expérience — supposée— pourrait certainement l’éclairer sur les mystères qu’elle n’arrivait pas à percer dans sa propre vie.

— Bonjour, s’introduisit-elle timidement, impressionnée par la prestance de la courtisane, malgré son attitude nonchalante.

Cara mia, tu es réveillée ? Viens près de moi, l’invita en retour Maddalena, d’un geste gracieux.

Comment vas-tu ? Est-ce que tu as mal ce matin ? reprit-elle quand Flavia fut installée dans un fauteuil à son côté.

La jeune fille s’enfonça confortablement dans la chauffeuse Pompadour alors que la femme lui pressait doucement la main. Flavia contempla le visage de son hôte, elle n’était pas maquillée et de fines rides cernaient le contour de ses yeux et marquaient un pli anxieux sur son front.

— Ça va bien, je vous remercie signorina, répondit Flavia, songeant qu’au contraire, cela ne devrait pas aller, son endurance à la douleur n’était pas normale. C’était inquiétant qu’elle s’habitue de la sorte aux sévices qu’on lui faisait subir. Pourquoi n’était-elle pas meurtrie et révoltée en ce moment ? Mais l’heure n’était pas à l’introspection.

Passant outre, elle réprima le flot de questions qui lui montait aux lèvres.

— Tu peux m’appeler Maddalena, on n’est pas au Château ici, assura la plantureuse rousse, pour mettre en confiance sa compagne.

Le Château… ce mot frappa Flavia, c’était donc ainsi qu’on appelait le repaire du Boss… Elle se promit immédiatement d’en faire part à Marco, c’était peut-être un indice important sur le lieu qu’ils recherchaient.

— D’accord, mada… Maddalena, encore merci de m’accueillir après cette épou.. euh…épuisante soirée, bredouilla-t-elle.

Les doigts se serrèrent entre les siens.

— Non, tu peux le dire, ce qu’ils t’ont fait subir était atroce. Ce n’est pas parce que je suis sa maitresse que j’approuve tout ce qu’il fait.

À chaque fois qu’elle évoquait le Boss, sa voix marquait un léger infléchissement, comme si elle était prise d’un tremblement imperceptible.

— Mais hier, comme les autres fois, tu ne voyais rien, tu semblais être en transe… A quoi pensais-tu pour te mettre dans des états pareils ?

— Les hommes que j’ai aimés… et qui m’ont quittée… je les revois tout le temps quand je suis avec un autre…

— Raconte-moi, ça a l’air très important pour toi, lui intima la mérétrice.

Flavia prit une grande inspiration en levant les yeux, comme si elle cherchait ses mots, mais en réalité elle se demandait comment présenter son histoire pour ne pas se compromettre.

— J’avais pris un petit boulot, et j’ai remarqué un client qui était là avec ses amis… il n’était pas comme les autres, il illuminait la pièce, il incarnait les idéaux que j’avais bâtis dans mes rêves les plus fous. Même s'il était plus âgé que moi, il était d’une beauté à la fois androgyne et très virile, sûr de lui et dominateur. Je ne l’avais pas remarqué à ce moment, mais son meilleur ami l’accompagnait, un homme discret qui ne le quittait jamais.

Flavia fit une pause, trop d’images se bousculaient dans sa tête, et elle avait besoin d’ordonner ses idées avant de poursuivre. Sans qu’elle le réalise, l’émotion la prenait à la gorge à l’évocation de ce moment de sa vie où tout avait basculé.

— Il me captivait, je ne pouvais détourner mon regard de lui, ni le chasser de mes pensées ne serait-ce qu’une seconde, alors je me suis jetée à sa tête. Je l’ai supplié de me prendre, moi qui étais vierge à l’époque. Il a semblé être pris de pitié, alors il a accédé à ma demande, mais juste après il s’est révélé sous son vrai jour, brutal, ne tirant sa jouissance que de ma douleur et de la domination qu’il exerçait sur moi. Tout en faisant cela, il m’écrasait sous un mépris qui m’était plus pénible que les souffrances qu’il m’infligeait. Mais il me fascinait, je ne pouvais le rejeter, je voulais de toutes mes forces lui appartenir, me soumettre à lui. Je n’avais plus de volonté face à lui.

Une fois seulement, il s’est montré doux avec moi, quand ma mère est morte, mais ça n’a pas duré. De mauvaises langues lui ont dit que je lui courais après par intérêt et il s’est détourné immédiatement de moi, raconta-t-elle, s’empêchant de se laisser submerger par ses souvenirs.

Elle voulait garder la tête froide et ne pas commettre une faute dans le déroulement de son histoire.

Maddalena l’écoutait attentivement pendant ce long monologue et hochait parfois la tête d’un air entendu comme si elle avait entrevu quelque chose que Flavia ne percevait pas.

— Pendant tout ce temps, je croisais souvent son ami, qui, au début m’avait montré une franche hostilité, mais je pense qu’il a développé une forme de pitié pour moi car il connaissait les jeux cruels de son ami. Et un soir, ça s’est fait, voilà. Mais j’ai compris tout de suite qu’il avait l’aval du premier. Je me suis sentie rejetée, utilisée…malgré ça, il s’est montré doux avec moi, et je me suis sentie aimée, dans ses bras. Nous ne nous sommes pas vus souvent, mais chaque fois était plus intense que la précédente. Un soir, le premier m’a tendu une sorte de piège et il m’a prise de force.

Flavia s’interrompit, elle ne voulait pas prononcer le mot « viol » concernant Malaspina car elle se serait toujours soumise à lui, au fond, elle le désirait toujours. Mais plus que cela, elle ne voulait salir la mémoire de celui qui lui avait sauvé la vie.

Il a fait venir son ami et ils m’ont prise tous les deux, je pense qu’il voulait lui montrer que je n’étais qu’une salope. Mais pendant que nous étions ensemble… j’ai remarqué une connexion entre eux, quelque chose d’une telle intensité que je n’existais plus, au milieu d’eux. En fait je crois qu’ils s’aimaient sans se l’avouer… Toujours est-il qu’il nous a interdit de nous revoir. Le pire, c’est que son ami est allé dans son sens. Et ils m’ont quittée tous les deux, juste comme ça.

Mais je ne lui en veux pas, plus tard, j’ai appris qu’il avait fait quelque chose d’extraordinaire pour moi sans que je le sache, c’était, enfin je veux dire que c’est un homme bien en réalité, alors que son ami, qui avait été si tendre, n’aurait pas bougé le petit doigt pour moi.

Flavia était essoufflée d’avoir tant parlé, d’autant qu’elle s’était extraordinairement animée au fur et à mesure de son récit. Les joues rouges, elle s’en voulait de s’être ainsi laissée emporter.

— Je vois, dit simplement Maddalena. Tu sais, il y a mille façons d'aimer, et mille formes d'amour différentes. Peut-être t-ont-ils aimée tous les deux, chacun à leur manière, même si en définitive ils s'aimaient davantage mutuellement. Ta présence a mis à l'épreuve leur amour. Par ailleurs, le premier amour est une expérience éprouvante a fortiori quand on tombe sur ce genre d'hommes. Tu verras, ça cicatrise avec le temps, même si ça peut être long. C’est le passé, ça, mais le présent ?

— Maintenant, j’essaie de les retrouver, je pense, ailleurs, à travers les autres, puisqu’ils ne veulent plus de moi.

— Ça, cara mia, ça s’appelle la dissociation mentale. En général, elle survient, volontairement ou non, pour se protéger suite à un traumatisme. C’est une sorte de mécanisme de défense auquel on se raccroche pour ne pas sombrer. J’ai connu ça, moi aussi, il y a longtemps…évoqua-t-elle, comme se parlant à elle-même.

Les explications de la mérétrice avaient plongé Flavia dans une profonde réflexion, oui, elle se servait des illusions du passé pour supporter les affres du présent, c’était même sa seule ressource, avec Marco… Son image se présenta à elle, tel un roc sur lequel elle pouvait s’appuyer. Mais c’était stupide, il se moquait bien d’elle, il ne la sauverait jamais, comme l’avait fait en son temps le capo.

— Il y a aussi cet autre homme… laissa échapper Flavia, la mine basse, contrainte d’avouer ce qu’elle avait tant de mal à reconnaître elle-même.

— Oui, cet homme, qui est-ce ? demanda Maddalena, un léger sourire flottant sur son beau visage.

Flavia se mordit les lèvres, elle en avait trop dit… Elle n’avait aucun besoin de parler de Marco mais cela avait fusé sans qu’elle y prenne garde. Et maintenant, il fallait qu’elle s’en justifie.

— C’est un de leurs amis, je l’ai croisé plusieurs fois, mais il ne m’aime pas, il me fuit… c’est tout, il n’y a rien d’autre le concernant. Ce n’est qu’une lubie de ma part…

— C’est ce que tu dis…mais je vois bien qu’il a touché ton cœur. Je sens ces choses-là, vois-tu.

Comme Flavia la dévisageait, à nouveau surprise par la clairvoyance de la prostituée, elle s’expliqua.

— Ce n’est pas étonnant car d’une part, il est un lien, peut-être le seul qui subsiste, avec les deux hommes dont tu m’as parlé, d’autre part, on recherche toujours quelqu’un à l’image de son premier amour. Je parie que c’est un homme froid et dominateur, n’est-ce pas ?

Passerotto, est-ce pour ça que tu as accepté tout ce que le Boss t’a imposé ? Est-ce parce qu’il est aussi ce genre de personne ?

En son for intérieur, la jeune fille se réjouit de cette méprise, qu’elle ferait bien d’entretenir. Cela lui fournissait un excellent alibi pour s’être approchée du Boss, et cela lui donnait un prétexte parfait pour parler de lui. Elle acquiesça donc en baissant les yeux, craignant de révéler le mensonge.

Fais attention, cependant, crois-moi le Boss n’est pas comme ton ancien amant, tout sadique qu’il était. Il est bien pire. En fait, je crois qu’il n’a aucune limite. C’est un pervers narcissique, des plus dangereux. Il n’a aucune considération pour quelqu’un d’autre que lui-même, il faut qu’il soit constamment au centre de tout car il a une très haute estime de lui-même. Il est capable de détruire n’importe qui pour se mettre en valeur, je l’ai constaté à de multiples reprises. Il a besoin d’être en permanence admiré, respecté et craint, et malheur à qui ne répond pas à ce schéma. Je ne l’ai jamais vu manifester une quelconque émotion à donner le baiser de la mort, même à des personnes très proches de lui et qui lui étaient très utiles.

À ces paroles, Flavia serra les dents, selon le Consigliere, c’était bien ce qui avait présidé à l’exécution du capo et de son bras droit.

Je pense qu’il doit venir d’une famille très fortunée ou très puissante,continua-t-elle, je sens qu’il est né avec ce profond mépris d’autrui. On a dû l’entretenir depuis toujours sur l’idée qu’il valait mieux que tous. De plus, il est très cultivé, même si je pense qu’il confond instruction et intelligence…

La jeune fille écoutait ces confidences, qui lui étaient livrées sans qu’elle ait eu à les soutirer, finalement, Maddalena avait peut-être plus besoin de s’épancher qu’elle-même.

Certainement avait-elle beaucoup trop accumulé de souvenirs pénibles aux côtés du Boss et était-elle heureuse en ce moment de pouvoir se libérer de tout cela avec quelqu’un qui partageait son malheur ?

— Vous en parlez très négativement, mais ne l’aimez-vous pas, et ne vous aime-t-il pas en retour ? Il a l’air de beaucoup tenir à vous…murmura Flavia, très impressionnée par la véhémence de sa compagne.

— C’est toi qui m’étonnes, répartit Maddalena en fronçant insensiblement les sourcils. As-tu déjà oublié ce qui s’est passé hier soir ? Tu ne fais pas le lien avec ce que je viens de te dire ?

Puis, baissant la voix, elle avoua dans un soupir.

— Oui je l’aime, je l’ai toujours aimé, sans bien savoir pourquoi, puisqu’il n’a jamais eu aucune attention pour moi, hormis celle-ci, fit-elle en faisant un geste pour désigner le lieu où elles se trouvaient. J’ai tout accepté de lui, je me suis toujours soumise à lui. Au début, j’étais flattée par tout ce luxe, je m’imaginais que c’était une marque d’amour, mais je ne crois plus aujourd’hui qu’il signifie quoi que ce soit. J’ai compris que pour lui, je ne suis qu’un accessoire de pouvoir, comme ses costumes de luxe, son gigantesque quartier général, ou ses chiens de garde. Un beau meuble et rien de plus, voilà ce que je suis.

Et encore, beau, plus pour très longtemps. Le temps fait son œuvre implacable. Bientôt, je serai jetée au rebut comme un objet dépassé. Je sais qu’il n’aura aucun regret quand il me remplacera par une femme plus belle et plus jeune, susurra-t-elle amèrement.

— Mais vous vous trompez, vous êtes magnifique, splendide, une vraie reine ! s‘écria Flavia, révoltée par cette idée, il n’existait en effet dans son esprit aucune femme qui puisse supporter la comparaison avec la divine rousse.

— Tu es gentille, ma pauvre, mais vraiment tu ne sais pas de quoi tu parles. J’ai 41 ans, l’âge où on sent que la jeunesse nous échappe, les rides se creusent, la peau perd sa fermeté et les muscles deviennent flasques, peu importe les artifices auxquels on a recours. Je le constate jour après jour dans mon miroir. Je n’ai plus ta fraîcheur…

En disant cela, elle caressa la joue de Flavia, l’enveloppant dans un regard où perçait l’envie.

— Oui, je donnerais tout pour prolonger mon état de grâce, pour rester auprès de lui, même si je sais qu’il n’en ressentirait aucun plaisir particulier.

Mais il m’échappe déjà. Quand nous faisons l’amour, je le surprends parfois à te fixer. C’est un cadeau empoisonné néanmoins, je préfère te prévenir.

Elle attrapa sur la table basse une petite boite ouvragée de forme tubulaire d’où elle tira une fine cuiller qu’elle porta à son nez. Sous le coup de fouet qui l’ébranla, elle fut contrainte à soutenir sa tête pour ne pas s’effondrer.

— Si ça va mieux, va t’en maintenant, s’il te plait, laisse-moi, implora-t-elle presque, se détournant de Flavia.

La jeune fille, horrifiée par la profondeur du désespoir qui émanait de son hôte, ne se fit pas prier et déguerpit, se morigénant d’abandonner la pauvre femme à son accablement. Mais elle avait déjà à faire face à ses propres fantômes et à la difficulté de sa mission, et elle ne pouvait tout supporter sur ses frêles épaules. Elle ne possédait pas la force de Maddalena, il était donc dérisoire de croire qu’elle pourrait lui être d’un quelconque réconfort.

Peut-être la mort du Boss la délivrerait-elle, elle aussi, de sa détresse ? C’est ce qu’elle espérait, se détestant d’être aussi lâche, en sortant précipitamment du 2 rue Frattina, alors que les lampadaires, s’allumant progressivement, tentaient de percer la pénombre ambiante.

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