Défis

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Les deux gardes du corps s’approchaient de Flavia sans se hâter, elle était certaine qu’ils redoutaient la suite autant qu’elle. Jusqu’à présent, elle n’avait couché qu’avec des hommes qu’elle avait aimés, se forcer à avoir des rapports dans ces conditions représentait pour elle une épreuve qui lui répugnait profondément, mais tel était certainement le but de la gageure que lui imposait le Boss.

Ce n’était donc pas le moment de faire la délicate, il en allait de la réussite de son projet.

Il fallait garder son sang-froid et voir comment tirer parti de la situation. La réponse viendrait de ces deux hommes, en conséquence, elle focalisa sur eux toute son attention.

Le premier, Andrea, celui qui était vêtu de rouge, avait une allure efféminée avec ses longs cheveux châtains et ses yeux d’un marron si clair qu’ils en paraissaient jaunes, mais elle savait de son expérience avec Malaspina qu’il ne fallait peut-être pas se fier à cette apparence. Le second, Giorgio, plus grand et carré que son comparse, était affublé d’un costume bleu et avait une chevelure auburn ondulée et des yeux bleu azur. Il restait légèrement en retrait par rapport à son partenaire.

Ils se postèrent de part et d’autre de Flavia, le second interrogeant le premier du regard sur la conduite à tenir, visiblement très gêné. La jeune fille devina à son attitude que s’il y avait un rapport de domination entre ces deux-là, il devait être le soumis du couple. Comme elle s’était elle-même soumise dans ses rapports avec Malaspina, il lui vint une idée.

Se souvenant de l’attitude assurée du capo, Flavia s’avança résolue vers lui, tournant le dos à Andrea.

Elle planta ses yeux dans les siens, tentant d’y imposer un peu de l’extraordinaire autorité qu’exprimait autrefois le regard du capo napolitain, se servant pour cela de la force que lui donnait la haine du Boss.

Elle tira sur la cravate qui était nouée lâchement autour de son cou, pesant de tout le poids des deux cercueils qu’avait façonnés son chef pour ses amants.

— Allonge-toi, ordonna-t-elle d’un ton comminatoire.

Comme Giorgio restait pétrifié devant elle, saisi par le changement qui s’était opéré dans la jeune fille, celle-ci poussa légèrement sa poitrine. Ce léger contact suffit pourtant à le faire céder, et il s’étendit au sol.

Elle s’installa à califourchon sur lui, pleine de l’assurance de se voir obéie.

— Masturbe-toi, lui intima-t-elle ensuite en maintenant le contrôle par le regard.

Dans ce type de rapport, elle savait que la dimension psychologique était prépondérante et que le plaisir était autant mental que physique.

Giorgio, sortant son sexe, obtempéra, dompté par les prunelles impérieuses qui le plongeaient dans la confusion.

Flavia repensa à Malaspina, était-ce sentiment enivrant de puissance qu’il ressentait quand il la soumettait ?

Mais elle n’avait pas le loisir de se laisser entraîner dans ces réflexions, elle se retourna donc vers Andrea, et lui lança un défi silencieux, de dominant à dominant, comme pour le narguer d’avoir réussi à subjuguer son compagnon.

Celui-ci semblait transformé en statue de sel mais ses iris qui jetaient un feu sombre en disaient long sur la rage qui le dévorait.

Flavia le savait pour l’avoir expérimenté par le passé, ce genre d’homme détestait voir son autorité contestée, et elle la lui disputait âprement en ce moment.

Pour enfoncer le clou, Flavia se saisit du membre de Giorgio et le caressa avec toute la science dont elle disposait pour moduler à son gré les sensations qui le submergeaient ostensiblement.

Mais elle sentit bientôt une poigne de fer lui attraper les cheveux pour la mettre à quatre pattes et un membre tenta de se frayer à un endroit où aucun autre ne s’était jamais aventuré.

Flavia fut secouée d’un frisson désagréable à ce contact et prit donc l’initiative, saisissant la verge importune de la diriger là où elle avait l’habitude de l’accueillir.

Sentant une résistance, Flavia, faisant appel à tout son sang-froid, précisa dans un souffle :

— Vous devez me prendre comme une femme, il me semble. Ne vous inquiétez pas, elle ne va pas vous manger.

Ces derniers mots sonnaient comme une bravade et l’homme se laissa conduire vers l’orifice de Flavia, qui en força l’entrée en se mordant les lèvres, car elle n’était pas du tout excitée par la pénétration.

À sa surprise, Andrea prit le relais en lui saisissant les hanches pour les attirer à lui.

Il commença alors à la pilonner sans douceur, probablement pour lui signifier qu’il reprenait le dessus dans l’étreinte. Quand celle-ci perçut assez d’excitation dans le rythme de ses râles, elle se retourna alors pour laisser échapper un regard mourant où elle tenta de couler toute la servilité qu’attendait ce mâle dominant.

Les deux hommes étaient maintenant tous les deux visiblement satisfaits de prendre leur plaisir selon leurs goûts respectifs, et leur semence se répandit presque simultanément sur Flavia.

Après quelques minutes, les deux hommes se détachèrent d’elle pour se rendre dans une pièce attenante, probablement une salle de bain. À coup sûr, elle ne les avait pas convaincus de quoi que ce soit, ils devaient être plus dégoutés que jamais des femmes.

De son côté, Flavia était certainement plus troublée qu’eux de s’être livrée à cette repoussante comédie. De plus, elle se retrouvait seule au milieu de la petite assemblée, nue et recouverte de sperme visqueux qui s’écoulait le long de son ventre et de son dos. La situation se rapprochait dangereusement de ses pires cauchemars d’adolescente.

Elle risqua un regard pour jauger de la réaction de l’assistance à sa prestation. Tous, à l’exception de l’homme au masque — dont on ne pouvait cerner l’expression — la considéraient, abasourdis, et, au premier chef Alteri.

Un ricanement s’éleva, brisant le silence qui s’était imposé depuis le départ des deux gardes du corps.

— Stupéfiant, véritablement stupéfiant ! Brenno, il faut que je te rende justice, tu as un sacré flair pour débusquer les perles rares. On va la garder au chaud pour plus tard, je crois qu’elle s’est assez surpassée pour ce soir.

Puis se tournant vers Flavia, il ajouta, comme une promesse.

— Ce n’est que partie remise, nous nous reverrons, tu peux en être certaine.

— Puis-je aller me laver ? demanda Flavia alors que le contrecoup de l’épreuve qu’elle venait de subir commençait à l’accabler.

Le fantôme de Malaspina qui la possédait jusqu’à maintenant l’abandonnait peu à peu, et elle retrouvait la maîtrise d’elle-même, réalisant l’horreur qu’elle venait de commettre.

Heureusement, Alteri lui désigna la porte où s’étaient engouffrés Giorgio et Andrea. Justement, ce dernier était en train de quitter l’endroit en réajustant sa veste.

Saisissant ses vêtements d’un geste nerveux, Flavia se releva en tentant de dissimuler l’urgence qui la poussait à vouloir s’y cloitrer seule.

Cependant, Giorgio occupait encore la pièce. Très embarrassée, la jeune fille se sentit obligée de s’excuser de ce qu’elle lui avait infligé.

— Je suis désolée, je ne voulais pas faire ça…

Il lui sauta alors à la gorge, n’étant plus contraint de réprimer sa haine.

— Espèce de petite salope, tu vas la fermer ! Je te bousillerai dès que j’en aurai l’occasion, sois-en certaine ! éructa-t-il.

Sur ces mots, il sortit en trombe. L’émotion qu’avait suscitée cette brusque invective fut le coup qui acheva Flavia, et elle s’abandonna dans les toilettes, y vomissant tout le contenu de ses tripes.

Une vague de fraîcheur l’envahit et elle se coula à terre pour tenter de rassembler ses esprits.

Il lui fallait s’accrocher à l’idée qu’elle venait de remporter une première victoire, malgré ce qu’elle lui avait coûté. Comme elle ne pouvait pas rester éternellement là, elle se redressa pour essuyer les coulures obscènes qui salissaient son corps. Puis, s’observant dans la glace, elle tenta de se composer un visage impavide, malgré la pâleur qui lui en avait ôté toutes les couleurs, avant de regagner l’endroit où étaient restés tous les autres.

Elle y découvrit, stupéfaite, le Boss qui copulait bruyamment avec Maddalena et la blonde qui s’affairait à satisfaire simultanément les deux compagnons d’Alteri sur un canapé. Les deux gardes du corps avaient repris leur place de part et d’autre de leur chef qui était chevauché énergiquement par la belle rousse.

Le Consigliare semblait l’attendre, adossé au mur. Quand il la vit, immobile et d’une pâleur mortelle, contemplant d’un œil défaillant la scène de qui se déroulait devant elle, il la rejoignit promptement. Posant sa main sur sa taille, il lui susurra à l’oreille :

— Viens, je vais te raccompagner chez toi.

Flavia s’alarma à ces paroles. Elle ne pouvait lui indiquer sa véritable adresse, où aller ? Elle avisa alors une petite ruelle près de chez elle, qui, par sa situation perpendiculaire à la Via dei Coronari, lui permettrait de regagner son appartement sans être vue de l’homme.

Elle le suivit, heureuse d’être débarrassée du regard assassin des gardes du corps qui la poursuivait. Parvenue au sous-sol, Alteri l’invita à monter dans une berline de luxe au volant de laquelle un chauffeur attendait.

Peut-être pourrait-elle découvrir où elle était, se demanda-t-elle en y pénétrant, avant de réaliser que les vitres fumées qui l’entouraient l’empêcheraient de percevoir quoi que ce soit de l’extérieur.

Elle se tut pendant tout le trajet, alors que la nausée revenait la harceler, et Alteri ne lui adressa pas non plus la parole de son côté.

Enfin, le véhicule s’immobilisa, alors qu’obsédée par les reflux de son estomac, elle n’était plus certaine de pouvoir les retenir davantage.

En prenant congé, Alteri, tout en lui prenant le menton, lui glissa :

— Tu es très surprenante, sous ton apparence candide, personne ne pourrait deviner que tu es aussi ardente…

— Je n’ai aucun mérite, répliqua-t-elle, j’ai bien été dressée par mon ancien maître, je n’ai fait que reproduire ce que j’ai appris de lui.

Alteri se pencha alors sur elle, son visage touchant presque le sien.

— Je n’imagine même pas quel plaisir il a dû éprouver à te subvertir et quelle fierté il a dû tirer du résultat.

Cependant, elle le regarda d’un air étonné.

— Non, il n’en a tiré ni plaisir ni fierté.

— C’est ce que tu crois, déclara-t-il, un sourire énigmatique sur les lèvres.

Peux-tu me donner ton nom et ton numéro de téléphone ? Je crois que tu as assez plu pour qu’on ait envie de te revoir.

— Je m’appelle Carla.

Le mensonge avait fusé sans qu’elle y réfléchisse, mais elle ne pouvait également le leurrer sur son numéro de téléphone, auquel cas il n’aurait pu la recontacter. C’était un gros problème, car il pouvait trouver sa véritable identité en faisant une simple recherche sur l’annuaire. Par ailleurs, l’autre numéro aurait pu le conduire jusqu’à Fabio et Marco, ce qui aurait été pire.

— A bientôt, n’en doute pas, conclut Alteri en lui ouvrant la portière.

Et profitant de sa liberté retrouvée, elle se jeta dans la ruelle, y déversant au passage un flot de bile.

Se réfugier sous l’eau brûlante lui parut un besoin vital pour se purifier de sa dégradante expérience. Elle y demeura un long moment, endurant la morsure enflammée, jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus supporter.

En s’allongeant dans son lit, Flavia pensa que les hommes qu’elle avait rencontrés ce soir étaient pourris jusqu’à l’os. Il existait d’autres formes de cruauté qui surpassaient de loin le plaisir d’infliger la souffrance physique. Elle n’en admira que davantage ses amants perdus, car s’ils avaient pleinement trempé dans le crime et le vice, ils avaient su relativement se modérer dans leur vie dissolue.

Le matin suivant, un dilemme se présenta au moment où elle dût joindre Fabio pour lui faire le rapport de la soirée. Elle devait taire une partie des évènements car elle ne voulait pas entacher la relation fraternelle qu’elle entretenait avec le jeune mafieux. De plus, il la tancerait certainement pour s’être risquée aussi loin.

Flavia regrettait amèrement l’époque où elle pouvait se confier sans réserve sur tout ce qu’elle faisait à son amie Chiara. Mais celle-ci était engagée avec le fils d’un juge réputé à Naples, et elle ne pouvait l’impliquer en lui révélant des histoires qui avaient trait à la mafia. Elle se devait désormais de préserver ses secrets, même de ses propres alliés.

Elle composa néanmoins le numéro de Fabio avec le téléphone qu’il lui avait remis.

La voix excitée du jeune homme résonna à travers l’écouteur.

— Bonjour Flavia ! Comment vas-tu ? Comment cela s’est-il passé hier ?

— Bien, même mieux que bien, je crois que j’ai identifié le Consigliare et que j’ai rencontré le Boss, aventura Flavia, peu assurée.

— Tout ça en une fois ? Mais comment as-tu fait ? Tu ne t’es pas mise en danger, j’espère ?

Flavia prit le parti de rester évasive sur le déroulé des faits.

— Disons que je me suis fait remarquer de l’homme que tout le monde courtisait, un quarantenaire blond, du nom de Brenno Alteri, et celui-ci m’a emmenée ailleurs, dans un lieu que je ne saurais pas situer, où siégeait un homme masqué, protégé par deux gardes du corps. Je vois mal comment il pourrait s’agir de quelqu’un d’autre que le Boss.

— Et ? Qu’est-ce que tu as fait une fois là-bas ? Ils t’ont laissée repartir sans te faire de mal ?

— J’étais accompagnée de prostituées, dont une magnifique rousse, du nom de Maddalena, et je crois que je n’étais pas du tout du goût du Boss, il m’a donc renvoyée.

— Comment ça, pas de son goût ? Il ne t’aurait pas touchée de toute façon, hein ? Il ne faut pas y retourner et te faire oublier de ces hommes !

Flavia se repentait d’en avoir trop dit, elle aurait dû travestir la vérité sans laisser entrevoir la possibilité de rapports sexuels. Elle avait parfois l’impression que, dans l’esprit de Fabio, elle appartenait toujours à son ancien chef, et Dieu savait si les Napolitains étaient possessifs en la matière. Cependant, elle devait le prévenir qu’elle rencontrerait à nouveau le Boss, leur objectif l’exigeait.

— Mais il a dit qu’il me solliciterait de nouveau, je ne peux pas me défiler…

— Et pourquoi il te solliciterait de nouveau ? Pour quoi faire ? Non, non, tu n’accepteras rien sans que j’en aie d’abord parlé avec Marco et Lorenzo. Et tu feras ce qu’on te dira de faire ! C’est bien compris ?

Fabio avait vraiment l’air en colère au bout du fil, jamais il ne lui avait parlé comme ça par le passé… On aurait dit un grand frère veillant sur sa petite sœur, bien qu’ils aient le même âge en réalité. Flavia s’abstint donc de le contredire, mais elle prit la résolution de faire ce qu’il faudrait, quoi qu’on lui dise.

— Sinon, nous avons, nous aussi, commencé à agir de notre côté. Lorenzo nous a parlé d’un célèbre chevalier du moyen-âge, Du quelque chose, qui passait son temps à tendre des embuscades, et qui avait inventé la guérilla. C’est notre plan d’attaque, de les harceler pour les pousser à l’erreur… Enfin, il vaut mieux que tu n’en saches pas trop, mais comme ça, tu vois qu’on travaille aussi.

On va essayer de se renseigner sur les noms que tu nous as donnés, Brenno Alteri, et Maddalena, pour voir si on peut en tirer quelque chose. Bref, je te rappelle bientôt et sois prudente entre temps !

Après lui avoir encore fait promettre de se tenir tranquille pour l’instant, Fabio raccrocha, totalement dupé par la jeune fille. En effet, celle-ci n’avait aucune intention de se priver d’une occasion de faire avancer son enquête. Que le Boss garde secrète son identité paraissait logique, mais pourquoi dissimulait-il également son visage ? C’était là ce qu’il fallait démêler.

Mais l’alarme du téléphone la tira de ses pensées, il était temps de rejoindre la faculté, et peut-être découvrir le résultat de ses démarches envers Abelardo Vesari, qu’il soit positif ou non.

En effet, un attroupement devant les panneaux d’affichage lui indiqua que ceux-ci avaient déjà été publiés concernant plusieurs professeurs, dont Vesari.

Se hissant sur la pointe des pieds, elle parcourut les listes du regard, pour s’arrêter enfin sur celle qui l’intéressait. Flavia poussa un soupir de satisfaction, son nom y figurait bien, avec le sujet qu’elle avait elle-même suggéré.

Elle entendit à sa gauche des gloussements chez un groupe de filles, et perçut son nom dans la conversation. Son sujet était plutôt osé, il fallait l’avouer, et cela faisait jaser autour d’elle, avec le risque d’être cataloguée comme une coureuse de professeurs.

Mais, ne se laissant pas décontenancer par la situation, elle se retourna vers le groupe qui la dénigrait.

— Eh oui, la liberté de Catulle a été sans équivalent et elle a été assez conséquente pour qu’Auguste ait tant eu à cœur de la détruire, une fois au pouvoir. Je ne pensais pas qu’on puisse rire d’un sujet aussi sérieux.

Et elle planta là le groupe, chacun recherchant en son for intérieur à quoi elle faisait référence pour ne pas paraître stupide.

Espérant avoir fait taire les médisances, elle accourut vers le bureau de Vesari, pour le remercier et prendre ses premières instructions sur les recherches qu’elle devait entreprendre.

Cette fois, l’assistante l’introduisit sans faire de difficulté.

Levant le nez de son travail, le professeur l’accueillit avec un sourire narquois qui ne disait rien qui vaille.

— Mademoiselle Mancini…Vous avez vu que j’ai retenu votre sujet de mémoire, mais il va falloir creuser cela comme il se doit. Je préfère vous prévenir que ça ne va pas être une sinécure de travailler avec moi, vous devrez faire vos preuves pour me démontrer jusqu’à quel point vous possédez votre sujet.

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