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Quand Cyrian se réveilla le lendemain matin, il entendit le chant d’un oiseau inconnu près de la fenêtre. Il chercha en vain son matelas et ses édredons, comprit qu’il n’était pas dans son lit douillet, mais sur de la paille. Il inspira profondément et finit par se remémorer les événements de la veille. Ça n’avait donc pas été un cauchemar. Il n’était plus ni dans le château de son père, ni dans une auberge, ni dans le carrosse qui l’amenait à sa grand-mère. Tous les événements lui revenaient à l’esprit, les uns après les autres. Allongé sur sa paillasse, il cherchait une solution pour se tirer d’affaire. Il ne pouvait pas rester dans cette masure, cela n’avait aucun sens. Ses gouvernantes ne lui manquaient pas : idiotes comme elles étaient, elles devaient le croire caché sous un tapis ou derrière un rideau, ou alors elles étaient tout simplement heureuses d’être enfin débarrassées de ce petit vaurien. Elles avaient comploté avec les gardes pour l’éloigner de son père, le roi, en profitant de sa vieillesse.

Une voix douce le tira de ses réflexions :

— Bien dormi ?

C’était Lydia, dans sa robe de lin et de chanvre, un tablier noué autour de sa taille. Elle tendit une tasse à Cyrian :

— Bois ! Cela te donnera des forces, mon garçon.

Le jeune prince, qui s’était redressé, l’invectiva :

— Qui me dit que vous n’êtes pas une sorcière ?

— Une sorcière ?

Elle se mit à rire puis reprit :

— Non, mon petit, je ne suis pas une sorcière. Je me doute que cela ne doit pas être facile pour toi de te retrouver ici mais en attendant des jours meilleurs, c’est avec plaisir que nous t’accueillons sous notre toit. Mon mari et moi te considérerons comme notre fils.

— Je ne vous considère pas comme mes parents, lui répondit-il.

Lydia se mordit la lèvre inférieure et ne répliqua pas. Elle ne se considérait pas non plus comme sa mère, mais Siméon se faisait une telle joie d’avoir enfin un fils qu’elle ne voulait pas aller à l’encontre de ses espérances. Elle préféra ne pas remettre à sa place l’enfant que son mari considérait comme un cadeau de la Providence.

Quand Cyrian se leva, un petit pot de crème et un morceau de pain l’attendaient sur la table. Le pain était trop sec, trop cuit, et il en fit la remarque à voix haute, mais il avait trop faim pour le laisser. Il demanda à Lydia où était son mari.

— Dans le courtil derrière notre maison, précisa-t-elle. Nous n’avons pas grand-chose, mais nous parvenons à vivre avec le peu que nous avons : deux chevaux, quelques cochons et quelques poules. Le courtil est attenant à l’écurie : mon mari y cultive des pois, des carottes et des fèves. Tu pourras mener paître les cochons dans la forêt voisine.

— Non merci, sans façon, répondit Cyrian avec un sourire moqueur.

Lydia sourit. Un paresseux, forcément. Ses mains blanches n’avaient pas dû être habituées aux travaux, quels qu’ils soient. Elle insista :

— Alors tu iras nous ramener du petit bois…

— Vous n’auriez pas plutôt du papier ? l’interrompit Cyrian. Je voudrais écrire à mon père et à ma grand-mère.

— Du papier ? Qui donc leur apportera ta lettre ?

— Votre mari ? Je suis sûr qu’au village voisin, dès qu’ils sauront que je suis un prince, ils enverront des coursiers parcourir votre pays afin de se rendre à la cour de mon père.

— J’en doute fort.

— Mon père était malade quand j’ai quitté la cour…

— Malade ? Tu te fais du souci pour lui ? s’enquit-elle avec un ton plus doux.

— Oui, répondit-il, il était mourant quand je l’ai quitté.

— Écoute. Puisque tu sais écrire, mon mari ira au village t’acheter de l’encre et du papier.

— Merci.

Il se sentait gêné, perdu entre deux attitudes contradictoires. Il n’aurait jamais dû remercier cette gueuse alors qu’il était le fils d’un roi, mais le mot lui avait échappé. De toute façon, à cette distance de la cour, personne ne pourrait lui en tenir rigueur. Il précisa :

— Mon père vous remboursera dès mon retour.

— Ce n’est rien, mon garçon.

— Si vous n’avez ni encre ni papier, j’imagine que vous êtes très pauvre.

Lydia sourit :

— C’est surtout que Siméon et moi n’en aurions pas l’utilité. Nous ne savons écrire ni l’un ni l’autre, pas plus que lire.

— Je vous apprendrai.

— Oh ! Te voici devenu aimable ? le taquina-t-elle.

Cyrian haussa les épaules. Il essaya de reprendre sa mine boudeuse, sans y parvenir, et finit par tourner la tête, ce qui fit sourire son hôtesse. Ce petit paon allait devoir s’habituer à une autre vie que la sienne. Lydia comprenait bien les bouleversements que la situation impliquait. Moins optimiste que son mari, elle se demandait si le jeune prince pourrait un jour les considérer comme ses parents, du moins adoptifs. Il avait la tête remplie de préjugés. Il les toisait, même sans le vouloir. Elle savait qu’il leur faudrait du temps et beaucoup d’amour pour l’apprivoiser tout à fait.

Ayant fini son petit déjeuner, il quitta la table en s’attendant à ce que Lydia la débarrassât. Elle n’en fit rien et lui demanda de ramasser ses miettes pour les apporter aux poules :

— Tant que tu vivras sous notre toit, tu ne me considéreras pas comme une servante, mais comme une parente.

Cyrian rougit violemment : une parente ? cette paysanne ? Comment osait-elle se considérer de la même famille que lui qui était de sang royal ? Toutefois, il ne dit rien et alla voir les animaux comme elle le lui avait demandé. Puis il retourna dans la maisonnette où il se tourna les pouces un long moment avant de s’adresser à Lydia. Il voulait savoir si sa proposition d’aller chercher du petit bois tenait toujours car il trouvait le temps long.

— Mets d’abord cette chemise, lui répondit Lydia. Je l’ai cousue cette nuit à partir d’une de celles appartenant à mon mari. Elle devrait être à ta taille. Quel âge as-tu ?

— Neuf ans. Mais il est hors de question que je revête ce chiffon.

— Un chiffon ? Une chemise que j’ai cousue moi-même ! Tu as du toupet ! Ma mère me disait toujours : « Fais du bien à un baudet, il te répond par des coups de pied ! »

— Je ne suis pas un baudet. Je suis le fils d’un roi, et en tant que tel, vous me devez le respect.

— Très bien, jeune homme ! Si tu tiens à attirer l’attention de voleurs ou de malandrins avec des habits trop luxueux, c’est ton affaire, après tout…

— Des voleurs et des malandrins ? Y a-t-il vraiment des chances que j’en croise en me rendant dans cette forêt.

— Non, c’est vrai. De ce côté-là, tu ne crains pas grand-chose, mais on dit qu’elle est hantée.

— Hantée ? sursauta Cyrian.

— Ma mère avait la réputation d’être une sorcière. Paix à son âme !

— Mais alors, vous…vous…

— Non, répondit Lydia en riant. Ma mère ne l’était pas non plus. Mais tu connais la méchanceté des gens ? Ils disent que son fantôme hante les bois.

— Et c’est vrai ? s’enquit Cyrian, soudainement nerveux.

Lydia éclata de rire :

— Tu penses bien que non. Il n’y a pas plus de fantômes que de loups dans ce bois-ci. Tu peux t’y aventurer tranquille.

Elle n’osa pas lui dire que quand il serait un peu plus grand, un peu plus fort, il pourrait y couper du bois comme un bûcheron et y poser des pièges. Son mari et elle vivaient du produit de leur travail, dans leur maison et dans ses dépendances, mais aussi dans les bois environnants.

Le petit garçon la scrutait attentivement. Lydia ne ressemblait vraiment pas à une sorcière. Elle était même plutôt gentille. Il prit la chemise sans mot dire, puis la remercia. L’épouse de Siméon songea que l’apprivoiser serait peut-être plus facile que prévu. Cet enfant avait bon fond. Il était fier, farouche, mais il n’était ni sot ni entêté.

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