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Le jeune prince monta dans le carrosse. Il eut une pensée pour Alcide et Melvina, auprès desquels il regretta une dernière fois de ne pas s’être excusé. Il demanda à un garde s’il pouvait descendre du carrosse pour aller dire au revoir à ses amis, car il considérait Alcide et Melvina comme tels, mais cela lui fut refusé. Le premier ministre avait ordonné que le carrosse partît sans tarder.

Cyrian resta pensif pendant le trajet. Il pensait à son père. Le roi allait-il se rétablir ? Soucieux, le jeune prince regardait le paysage. Le royaume de Vangles lui semblait bien lointain. Il y faisait sans doute très froid. L’enfant s’imaginait des étendues neigeuses à perte de vue.

Au bout d’une semaine, les hommes qui l’accompagnaient lui demandèrent de sortir du carrosse alors que la nuit allait tomber. Il voulut les interroger, mais il fut poussé dehors sans ménagement, et quand il voulut se retourner pour protester, l'un d'eux n'hésita pas à le menacer avec la pointe de son épée. Il entendit leurs rires pendant qu’ils enfourchaient leurs montures. Le carrosse et l’escouade s’éloignèrent, puis disparurent. Démuni, effrayé, incertain de son avenir, Cyrian se retrouvait seul, abandonné au beau milieu d'une forêt.

Il réfléchit. Le mieux était de suivre la route sur laquelle il se trouvait. Mais dans tous les cas, il était perdu, sans nulle part où aller. Des voleurs et des bandits de grand chemin se cachaient peut-être parmi les buissons ou derrière les arbres. L'enfant n’avait de toute façon aucune pièce de monnaie sur lui, aucun objet de valeur, hormis ses habits. Il marchait sous les feuillages, et la route, sous ses pas, n’était plus qu’un sentier. Il distinguait à peine les étoiles à travers les branches clairsemées des grands arbres. La fraîcheur tombait, et des animaux inconnus se faufilaient dans les buissons. Il prit peur en entendant hululer les chouettes : il pensa que la forêt abritait probablement des loups. Comment savoir ? Il n’était jamais sorti du château de son père mais il avait beaucoup lu. Il se souvint des ogres et de la maison en pain d’épices, habitée par une affreuse sorcière, en plein milieu d’un bois.

Il faisait froid. L’enfant frissonnait, emmitouflé dans ses propres bras. Son pied buta sur une petite pierre. il ne distinguait plus la lune à travers la futaie, et seules quelques lucioles, disséminées dans l'herbe, la pailletaient d'or comme des mouches de feu. Cyrian pensa à son père, qu’il ne reverrait sans doute jamais. La gorge nouée, il retenait ses larmes. Un prince ne s’avoue jamais vaincu. Il devait se montrer courageux malgré la fatigue qui l'accablait. Le château où il avait toujours vécu lui manquait

Est-ce qu’Archibald de Manfreid avait demandé à ses hommes de l’abandonner dans la forêt ? Mais dans ce cas, pourquoi ? Cyrian repensa à Melvina : il avait cassé sa poupée. Mais il ne l’avait pas fait exprès ; le père de Melvina ne l’avait tout de même pas envoyé dans cette forêt pour si peu. Ce n’était pas possible. Il devait y avoir une autre raison. L’enfant sentit les larmes couler le long de ses joues : il ne pouvait plus retenir ses pleurs. Il n’avait même pas de mouchoir et il frissonnait.

Exténué et assoiffé, il distingua, au loin, un mince filet de fumée. Il se frotta les yeux, dans l'incertitude qu'il s'agît d'un songe ou de la réalité, mais aussi étrange que cela lui parût, il ne rêvait pas : une maison coiffée d’un toit de chaume se dressait devant lui. De sa cheminée en pierre sortait la fumée qu'il avait aperçue. Il avait du mal à distinguer le reste du bâtiment, et ignorait qui habitait dans cette demeure. Un ogre ? Une sorcière ? Cyrian était terrorisé mais il avait froid et soif. Il ne pouvait pas courir le risque de s’endormir dehors. Il s’approcha de la porte et frappa à plusieurs reprises. Une femme vêtue d’une robe de chambre et d’un bonnet de nuit lui ouvrit. Elle tenait un bougeoir à la main et écarquilla les yeux quand elle aperçut l’enfant sur le seuil de la porte.

— Siméon ! cria-t-elle. Viens voir !

Cyrian recula d’un pas quand il vit un homme, gigantesque, apparaître derrière la femme. Il la dépassait d’une tête ; il avait des cheveux blonds, hérissés, et des dents très écartées.

— Tu vois, Lydia : nos prières ont été exaucées.

Lydia regarda l’enfant :

— Entre, mon petit ! Nous n’allons pas te manger.

Cyrian hésitait, justement. Et si c’étaient des ogres ? Ce géant ne lui disait rien qui vaille, mais sa femme semblait gentille. Elle ajouta :

— Tu parais frigorifié. Être seul dehors à une heure pareille, ce n’est pas raisonnable. Où sont tes parents ?

— Ma mère est morte, Madame, et mon père…

Il hésita. Devait-il lui dire qu’il était le fils d’un roi ? Mais son appartenance à un haut rang social était visible à ses vêtements, de toute façon. Il reprit :

— Mon père est le roi de Mylvade…

— De Mylvade ? répéta-t-elle. Mais mon petit, que fais-tu ici ? C’est à plusieurs journées de route…

— J’ai fait un long voyage…

— Mais entre, mon garçon ! Tu seras plus à l’aise pour discuter.

Il acquiesça. Il s’assit près du feu et Lydia lui servit un verre d’eau. Cyrian raconta toute son histoire avec des larmes dans les yeux. Le couple l’écoutait en silence. L’enfant finit par s’endormir. Lydia regarda alors son mari :

— Qu’en penses-tu ?

— Que c’est le Ciel qui nous l’envoie. Nous n’avons jamais pu avoir d’enfant. En voici un.

— Mais si c’est un prince comme il le prétend ?

— Pardieu ! La belle affaire ! Si ces nobles gens de la cour l’ont abandonné dans les bois, ce n’est sûrement pas pour venir le rechercher. Ils doivent le croire dévoré par les loups, à cette heure. Crois-moi, Lydia ! Cet enfant est à nous maintenant. Nous allons nous en occuper comme si c’était notre fils.

Lydia soupira :

— As-tu vraiment perdu tout espoir que je sois enceinte ?

— Peu importe à présent. Rien ne vient par hasard dans ce monde. Puisque le Ciel nous a envoyé Cyrian, crois bien que ce garçon s’occupera de notre maison, de nos terres et de nos bêtes quand nous ne saurons plus le faire. Il sera là dans nos vieux jours. Si nous l’aimons comme notre fils, il nous considérera comme ses parents.

— Alors qu’une vie de prince l’attendait ? Cet enfant aurait pu être roi, Siméon...

— Ce que j’ai me suffit et ma foi, cela lui suffira aussi. Quoi de mieux que le grand air ? Un toit sur sa tête, de quoi manger et une famille, c’est bien là tout ce qu’il lui faut. Est-ce qu’on vit plus malheureux parce que je ne suis pas roi et que tu n’es pas reine ?

— Non, mais…

— Il aura la plus douce des mères par-dessus le marché ! Crois-moi, Lydia, dit-il en lui prenant les mains, il n’est pas de plus beau jour que celui où nous nous sommes mariés.

À court d'arguments, elle cessa toute riposte. Elle était vaincue par l'enthousiasme de son mari, qui se sentait enfin père et considérait la venue de cet enfant inconnu comme une aubaine du destin. Cyrian était toujours endormi, recroquevillé sur sa chaise. Siméon et Lydia firent attention à ne pas le réveiller quand ils le déplacèrent sur une paillasse à même le sol. Elle le regarda dormir un instant. Quel âge pouvait-il bien avoir ? Neuf ans ? Dix ans ? Cyrian ne pourrait pas accompagner Siméon au village dans ses vêtements princiers. Il faudrait lui coudre des habits et Lydia s’y attela, assise près de la cheminée.

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