Rencontres

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Merwann, c’est joli comme prénom n’est-ce pas ? Un peu moderne, certes. Mais original. Bon, au moins, il est craquant. Un regard vert profond, une chevelure indomptable qui lui glisse entre les doigts.

Une fois de plus, je suis tiraillée entre mes envies shopping et la perspective d’un rendez-vous qui sorte un peu du lot.

Je lui mets mon téléphone sous le nez :

« Visiblement, c’est à cause de vous que je ne regardais pas la route, Merwann ?

— Lui-même. Mais je n’ai pas eu droit à votre sourire. »

Le sien n’est pas celui d’un modèle de magazine. Ses canines proéminentes lui donnent un petit côté vampirisant. Ses yeux taquins et sa voix enjouée compensent pourtant largement.

« Je dois rapporter Minipouce à ses parents. Je vous offre un café ensuite ? »

Parfait pour moi, je n’ai pas à faire de choix !

Mes nouvelles chaussures aux pieds, je l’ai rejoint au bar du coin.

Mon charmant, bien que percuté avec un enfant, s’est avéré être célibataire et le gnome en question son neveu. J’ai eu plus de mal a expliqué mon propre profil mais il semblait soulagé d’apprendre que j’étais seule.

Un café à dix-sept heures, un verre à dix-huit, un resto à vingt, un petit déjeuner à huit. Le tout avec le même homme…

Cela faisait longtemps que je n’avais pas dormi avec quelqu'un. Dormi pour de vrai, juste peau à peau, quelques caresses puis le sommeil. Serein, reposant. Et le réveil, tendre comme un chocolat, parfumé comme un café, croustillant comme un croissant. Très longtemps.

Mars est passé, avril bien entamé. Les Chinois ont signé, j’ai eu ma promotion. Je pars demain pour Tianjin où se trouve le siège social de Dewei Bingwen. Les investisseurs ont demandé à ce que je présente moi-même le projet au sein du groupe. C’est un grand honneur et une plus grande responsabilité encore. Le contrat inclut une clause de rétractation en cas de désaccord du Conseil. Ils ne sont pas fous, ces Chinois.

Corinne a repris le dessus, mais il valait mieux que je me charge de ça : plus de bagou, d’assurance, de charme aussi, surtout.

À mon retour de Chine, je retrouve Merwann et son neveu. Je ne lui ai rien dit pour mon avortement. La culpabilité, peut-être. La peur du jugement, sans aucun doute.

Il ne comprend pas pourquoi je suis si distante avec cet amour de petit bonhomme qui le regarde en tendant les bras et lançant vers moi des areuh baveux envieux. Subitement, je percute.

« Quel jour on est ?

— Heu… Samedi.

— Non, la date ?

— Le deux, pourquoi ?

— Merde ! Non pour rien, c’est pas très important.

— Vu ta tête, ça a pourtant l’air.

— Non, ce n’est rien. J’ai oublié un rendez-vous mais j’appellerai lundi. C’est vrai qu’il est mignon ce gnome, quand il ne bave pas. »

***

« Le médecin a dit que la phase terminale était enclenchée. Il n’y a plus rien à faire.

— On peut toujours faire quelque chose !

— Valérie, c’est fini. Il a gagné. Je ne suis plus que la moitié d’une femme. Je suis vieille et fatiguée. Je veux profiter avec toi des derniers mois qui me restent à vivre. S’il te plaît, arrête.

— Je ne veux pas te perdre.

— Je ne veux plus me battre. Le Cancer a colonisé tous mes organes. Tu sais comment ça fonctionne. Il n’y a plus rien à faire. Ma chérie, je suis prête.

— Violette, n’abandonne pas !

— Je souffre, je ne veux plus.

— Je vais aller parler à ton médecin.

— Non, il m’a prescrit de la morphine. Une infirmière viendra s’occuper de moi.

— Je peux très bien le faire.

— Non, tu as ton travail. Tu m’as suffisamment soignée, je veux que tu restes ma femme. »

J’ai respecté la volonté de mon Amour. Je suis restée près d’elle, en tant qu’épouse. Je l’ai regardée perdre l’appétit jour après jour, maigrir jusqu’à ne plus être que l’ombre de celle que j’aime. Les dernières semaines, Violette ne pouvait plus quitter sa chambre, puis son lit. Les derniers jours, ses paroles n’étaient plus que râles. Un matin, comme la fumée d’une bougie que l’on souffle, sa vie s’est échappée.

Violette avait toujours voulu aller en Afrique. Je prends un congé pour y déposer son foulard préféré. Dix jours au Mali, pour dix mois de souffrance. Le troisième cancer de Violette a eu raison d’elle. Trois chimio, trois batailles, trois décennies de vie partagées.

Je suis seule. Qu’ai-je fait de ma vie ? Où puis-je aller ?

***

Ma chambre semble avoir subi un ouragan. J’ai vidé ma penderie à la recherche d’un jean dont je pourrais fermer le bouton. Impossible de rentrer dans mes jupes depuis une semaine. J’ai arrêté le sport quand j’ai rencontré Merwann. J’ai troqué mes soirées apéro contre des restos ; mes nuits torrides contre... Non, ça, j’ai gardé.

Ces derniers temps, je suis fatiguée. Je ressens de violentes crampes dans le ventre. Mon application confirme que je ne suis pas encore dans les jours précédant mes règles. Je ne devrais pas avoir si mal. Mon rendez-vous avec Lapaluch ! Et si il y avait eu une complication ? Et s’il restait des morceaux de troll en moi ? Qu’avait dit la gynéco déjà ?

« Bonjour, Sandra Geffroi, je voudrais prendre un rendez-vous avec le docteur Lapaluch s’il vous plaît.

— Madame Geffroi, bonjour. Vous ne vous êtes pas présentée à votre rendez-vous du mois d’avril.

— Oui, c’est vrai, je suis désolée. Il m’est totalement sorti de l’esprit à l’époque.

— Je comprends bien, mais le docteur Lapaluch n’est pas disponible pour le moment.

— Je veux juste un rendez-vous.

— J’ai une place le 20 septembre, quinze heures avec le docteur Toutypass.

— Hum. Le docteur Lapaluch n’est pas remplacée ?

— Non.

— Bon, je le prends, merci.

— Ne le ratez pas cette fois. Bonne journée. »

Le rendez-vous est dans trois semaines. J’avale deux comprimés de Spasfon et retourne à mes dossiers.

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