La décision

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« Bonjour docteur.

— Bonjour Sandra, installez-vous.

— J’ai pris ma décision. Je ne veux pas de cet enfant.

— Je vois, si vous avez réfléchi, je vais vous expliquer la suite. Nous allons faire une échographie pour dater le début de votre grossesse.

— Je ne veux pas voir.

— C’est la procédure. Je ne mettrai pas le son, mais je dois vérifier que tout va bien.

— Je vois pas l’intérêt puisque de toute façon, j’en veux pas !

— Calmez-vous Sandra, il faut s’assurer que votre grossesse est normale, que vous êtes en bonne santé et que nous sommes dans le délai légal d’interruption médicamenteuse. »

Je ne veux pas ! L'échographie à venir m’angoisse. Mais j'accepte finalement de passer de l’autre côté du paravent et me déshabille.

J’ai la nausée, cette odeur de clou de girofle est insupportable. Le docteur Lapaluch pianote sur son clavier alors que je m’installe sur sa chaise à supplices, les jambes relevées, la croupe offerte, les genoux serrés et les mains tremblantes.

« Je viens de jeter un œil à vos analyses, vous êtes en parfaite santé Sandra. Une femme de votre âge, avec votre style de vie, c’est étonnant.

— Vous connaissez ma chatte, que savez-vous du reste ?

— J’outrepasse mes prérogatives, veuillez m’excuser. »

Non, mais pour qui elle se prend la bobo ! Je resserre encore les genoux, je n’ai plus du tout envie d’écarter les cuisses devant elle. Avant, ça m’excitait de savoir qu’elle aimait les femmes. Malgré notre différence d’âge, elle a quelque chose dans le regard de malicieux, de conquérant qui m’attirait. Pendant un temps, j’aurais aimé recevoir ses avances. Elle n’a pu ignorer les miennes. Elle est pourtant toujours restée professionnelle. Aujourd’hui, son attitude me renvoie des années en arrière quand je me faisais enguirlander par l’équipe éducative. Faut pas montrer tes seins, ça se fait pas. Faut pas tailler des pipes à la chaîne, c’est pas bien. Sandra, va mettre une culotte, Sandra arrête de... Sandra, Sandra, Sandra… Selon eux, j’avais une attitude déviante. Voilà qu’une nouvelle fois, je me retrouve jugée sans procès.

Elle enfonce son appareil et allume son écran en le pivotant légèrement vers elle. Je tourne la tête pour ne rien voir. Elle en met un temps ! Les minutes s'égrainent comme si le sablier coulait au ralenti, trouvez-moi un bâton que je l’aide ! Au secours, je veux partir !

Elle me fouille, mais que veut-elle ? Je souffle, je peste, puis je regarde. Non, je ne regarde pas. Si, je regarde.

Un écran noir et blanc, une grosse tache blanche. C’est ça, j’ai une grosse tache blanche qui bouge dans le bide. Je ne regarde plus. Si, je regarde. Pourquoi ça bouge ? C’est pas vivant encore, c’est rien qu’une graine, j’en veux pas ! Je ne regarde pas. Dépêche-toi !

« Bien Sandra, j’ai fini. Juste une dernière mesure et nous aurons terminé. »

Soulagement, détente.

« Je vais vous demander de bien vouloir me rédiger votre demande d’IVG et la signer avant de prendre ce comprimé. »

Crispation.

« Qu’est-ce que je dois vous rédiger ?

— Vos motivations, votre décision. C’est une formalité sans laquelle je n’ai pas le droit de vous donner le comprimé abortif.

— Vous connaissez très bien mes motivations. Pourquoi vous ne m’avez pas demandé ce papier la semaine dernière, on en aurait fini !

— Vous devez l’écrire maintenant. Nous devons être sûres que votre décision est réfléchie. Tout ceci fait partie de la procédure.

— La procédure, pff. »

Je maugrée, je n’avais pas prévu de faire de prose aujourd’hui. Je me rhabille en vitesse. Elle me tend une feuille. L’angoisse de la page blanche, vous connaissez ? J’en ai une devant moi.

Je commence. Je déverse toute ma démotivation.

Je ne veux pas d’enfant. J’en veux pas. Je n’en ai jamais voulu et n’en v

Je rature. Je ne peux pas écrire que je n’en voudrai jamais. Mais non, j’en voudrai jamais ! Les seins qui gonflent, la peau qui se détend, les hurlements, les poches sous les yeux, les kilos, la bave, les couches, ma liberté ! Non ! J’en veux pas, j’en veux pas ! Je prends une nouvelle feuille.

Par la présente et après mûre réflexion, je confirme, soussignée Sandra Geffroi, demander l’avortement médicamenteux.

Je date et signe.

« Ça vous convient ?

— Ce n’est pas à moi que cela doit convenir.

— C’est bon, on peut passer à la suite maintenant ? Je le prends où ce cacheton ?

— Il est ici. Voici un verre d’eau.

— OK, et ça se passe comment ? Je veux dire, il va se passer quoi, après ?

— Ceci est un comprimé de Mifépristone. Concrètement, il bloque l’action de la progestérone, l'hormone qui maintient la grossesse. Il favorise les contractions de votre utérus et provoque l’ouverture du col utérin. Vous allez peut-être saigner, mais ce n’est pas sûr. Nous nous reverrons dans deux jours et je vous donnerai un nouveau comprimé.

— Quoi ? Faut que je revienne ? Mais ça va finir quand ?

— Je procéderai à un nouvel examen pour vérifier que l’œuf est bien mort. Je vous administrerai alors une pilule de Misoprostol. Celle-ci provoque des contractions et interrompt complètement la grossesse. Dans la demi-journée, tout sera terminé. Nous nous verrons alors pour une dernière visite de contrôle.

— OK. »

Elle me tend enfin le cachet.

« Je dois vous dire aussi...

— (inspiration, expiration) Quoi ?

— Vous allez ressentir des douleurs, un peu plus fortes que durant vos règles habituelles, c’est normal.

— Ouais, la douleur, je connais. C’est tout ?

— Hum, vous avez lu les brochures que je vous ai remises ?

— Quelles brochures ?

— Celles sur les options qui s’offrent à vous. Trop de parents cherchent à adopter et il y a trop peu d’enfants à leur disposition.

— J’ai signé votre foutu papier. J’ai pris ma décision. Je peux avoir mon cacheton maintenant ? »

Je le lui arrache presque des mains et l’avale en vitesse avant qu’elle ne parle encore. Faut vraiment que l’autre gynéco soit un pervers ivrogne pour que je retourne voir cette morue.

Ça y est. C’est fait. Dans l’ascenseur, je me surprends à demander pardon, une main sur mon ventre. Sur le parking, je prends une grande bouffée d’air. Je suis à nouveau libre.

Cling ! C’est Treatland.

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