L’échographe

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J’ai continué à voir le docteur Toutypass régulièrement. Il a changé ma pilule plusieurs fois car il trouvait anormal que je n’aie plus du tout de règles. Moi, ça m’allait bien, mais il était visiblement inquiet. Patrick, avec qui je vis depuis notre mariage, il y a un an, ne s’en plaint pas non plus. En fait, je n’ai été indisposée que deux fois depuis nos épousailles. La première, juste après notre voyage de noces. Il s’est soucié de m’avoir fait mal. Peut-être m’avait-il blessée en y allant trop fort, ou trop longtemps, ou trop souvent ? S’il savait, le pauvre, comme c’est tout le contraire ! Mais chut, maman dit toujours qu’une femme doit satisfaire son mari et y prendre le moins de plaisir possible, sans quoi, ce serait gâcher le sien. Aussi, je m’emploie à ne pas trop montrer ma joie lorsque mon Patrick s’égaye.

La seconde, Patou était en voyage avec son père. Il devait signer un gros contrat et ainsi faire ses preuves avant de reprendre le cabinet. Nous étions en parfaite harmonie, il signait quand que je saignais.

Enfin, le docteur s’inquiète donc. Il veut que j’aille consulter un de ses collègues spécialisé à la grande ville. J’opte pour plus simple. Je vais arrêter la pilule car mon Patou voudrait un enfant. Ses parents le pressent et maman n’est pas la dernière non plus. Elle me couve de conseils, comme s’ils avaient pu retenir mon père à l’époque. “Une femme doit faire le bonheur et la fierté de son époux, le chérir, le soigner. Tu dois être aussi appétissante que tes plats et ce, à toute heure du jour comme de la nuit. Il faut te lever avant lui, sans le réveiller, te brosser les dents, te parfumer et te maquiller, puis te recoucher jusqu’à ce qu’il s’éveille. Il doit te croire endormie et belle au petit matin.”

Après deux ans sans comprimés ni règles, je consens à aller voir le spécialiste. Je lui explique être fatiguée, mais sans plus.

Le docteur Oulacroup me fait passer une batterie d’examens. Il me prescrit une prise de sang pour commencer. Sur l’ordonnance, je peux lire “Ilias Oulacroup, docteur en gynécologie obstétrique. Diplômé de la faculté de médecine de Nancy. Inscrit à l’ordre des médecins depuis le 14/02/1967 sous le n°10002973826”. En voilà un qui a bien trouvé sa vocation.

Deux semaines plus tard, un nouveau rendez-vous.

« Madame, si vous le permettez, je vais devoir procéder à un examen plus poussé. Le cabinet dispose d’un appareil révolutionnaire qui sert à explorer l’intérieur de votre ventre. »

Je le dévisage sans comprendre. Il désigne une grosse machine à laquelle sont reliés plusieurs fils ainsi qu’une espèce de boitier. Un peu comme un combiné de téléphone mais avec un seul écouteur.

« On appelle cette machine un échographe. »

Il saisit le combiné, toujours relié à la machine et, alors que je resserre les jambes, se rapproche de moi.

« N’ayez pas peur, ce n'est qu'une sonde. Elle émet des ultrasons, comme les bateaux pour détecter les sous-marins, ou une baleine pour se déplacer. Je vais simplement la poser sur votre ventre et la promener doucement. Je pourrais voir à travers. »

Mon cœur bat la chamade. Il me badigeonne d’une sorte de gel transparent glacé. Voilà que j’ai la chair de poule. J’ai froid, ou peur. Les deux ! Je ne suis ni un bateau, ni une baleine !

« Ce gel permet une meilleure réception. C’est mon antenne radio, en quelque sorte. Détendez-vous, c’est absolument indolore. »

J’essaie de lui obéir. Mais je suis totalement nue devant un inconnu qui me menace avec un instrument tout aussi peu connu. Je respire. Si maman était là... une antenne radio, c’est lui le bateau ! Et moi la naufragée. Courage. Je veux ma maman !

« Regardez. Tous vos organes ne renvoient pas les échos des ultrasons de la même manière. Grâce à ces boutons, je peux réguler la fréquence pour mettre en évidence ce qui m’intéresse. Ici, ce sont vos ovaires que je dois contrôler. Lorsque vous serez enceinte, nous pourrons même voir votre enfant ! Si je n’étais pas médecin, je dirais que c’est magique. Ne bougez plus. »

Je fixe le petit écran couvert de taches noires et blanches. C’est ça, mon ventre ? C’est le bazar là-dedans. Pas étonnant qu’aucun bébé ne veuille y faire son nid.

Le docteur fronce les sourcils et s’approche de l’écran. Son long nez, pourtant fortement courbé, le touche presque. Il tourne sa molette, appuie sur mon ventre, y dessine de petits ronds. C’est vrai que ce n’est pas douloureux. La sensation de froid m’a quittée en même temps que la peur, il me chatouille un peu.

« Ne bougez pas. »

Au bout d’un temps qui me paraît infini, il range son appareil et m’essuie le ventre.

« Rhabillez-vous, nous allons discuter dans le bureau. »

Son air soucieux m’angoisse. Ses fossettes ont disparu du coin de ses lèvres et ses yeux rieurs se sont éteints. Qu’a-t-il vu ? Qu’y puis-je, moi, si c’est le bazar ? Maman ne m’a appris qu’à ranger la maison.

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