La déchirure

15 minutes de lecture

Charles Aznavour — Non, je n’ai rien oublié

https://www.youtube.com/watch?v=_1EMN7M0vaY&list=PLLMd1OWRUE09lOvJmWFf8qr00Eumlke0P

La déchirure

- Sara, Sara ouvre moi. Sara, tu es là ? Ouvre-moi, chuchotait-il dans la nuit d’un souffle court et urgent, en grattant doucement la vitre d’un des hublots de la caravane.

- Bruno ? Mais qu’est-ce que tu fais là, à cette heure-ci ? demanda-t-elle à voix basse après avoir entrouvert la vitre en la faisant basculer.

- Fais-moi entrer, vite.

- Qu’est-ce qui se passe ? Tu es fou, si mon père se rend compte… T’inquiète pas, ça s’est bien terminé avant-hier. Ils ne sont pas contents, mais ça va aller. Tu ne dois pas rester là, va-t’en. Oh mon dieu, mais tu es plein de sang ! Qu’est — ce qu’il t’est arrivé ? Bon, viens, je t’ouvre la porte arrière, entre vite que personne ne te voie.

Quelques mois plutôt, en ce début juillet 1983 caniculaire, il avait freiné avec sa mobylette pour s’arrêter en dérapant devant elles, projetant un nuage de poussière. Il habitait la cité Marly, de l’autre côté de l’autoroute. Sur ce terrain vague, il pouvait tout se permettre.

Il les avait vues arriver de loin, elles s’étaient glissées sous les barbelés qu’elles avaient tirés, chacune leur tour, vers le haut pour s’entraider à passer. Elles avaient l’air de n’avoir pas froid aux yeux. C’était pourtant connu, ce terrain vague ètait controlé par la bande de Marly. Personne ne s’y aventurait; il n’y avait, du reste, rien à y faire. Elles avaient malgré tout décidé de le prendre comme raccourci. Elles avançaient, l’air décidé, sous le soleil écrasant de l’été au zenith dans le Sud-Ouest. Bizarrement, elles s’abritaient chacune sous une ombrelle; personne n’utilisait cet objet dans la région. Cet indice lui permit pourtant de comprendre, juste à la fin du dérapage, à qui il avait affaire. Un frisson le parcourut lorsqu’il s’en rendit compte, mais il était trop tard, ne rien leur dire c’était perdre la face; elles étaient sur son territoire après tout ! Il n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche :

- T’es qui, toi ? lança la première, en s’accompagnant d’un mouvement de tête provocateur.

- Oh ! Pour qui tu te prends là, agressa la seconde le déséquilibrant de sa mobylette en le poussant sur l’épaule.

Puis elles reprirent leur chemin d'un pas vif, comme en colère. Peut-être qu’en fait, elles avaient plus peur qu’autre chose, et qu’elles jouaient les braves pour le masquer. Mais tout ça n’avait plus d’importance, il avait croisé son regard. Ses yeux pâles, bleu-pâle, remplis de fougue. Il n’avait jamais croisé un tel regard. En un instant, il sut qu’il ne l’oublierait jamais.

- Eh, les filles, où vous allez, là ? demanda-t-il sur un ton effronté. Vous vous croyez où ? Ici on ne passe pas comme ça!

Il les apostrophait en les suivant, tout en poussant sa mobylette, rutilante 103 SP Peugeot entièrement customisé avec pot détente et guidon torsadé, dont le moteur avait calé après le dérapage.

- Oh les filles, arrêtez-vous là... Eh? On peut parler ? Oh oh ? Vous êtes muettes ou quoi ?

Elles marchaient vite, laissant un peu de poussière s’élever derrière elles. Lorsqu’il arriva à leur niveau, la plus grande, celle aux yeux brulants, s’arrêta net. Elle stoppa l’autre par le bras puis se retourna pour lui faire face.

- Mais qu’est que tu veux là ? Tes débiles ou quoi ? Mais casse-toi, laisse tomber, sinon tu vas avoir des problèmes avec mes frères, tu le sais. Alors, dégage, ne nous parle même pas. Ta bande du Marly, on va tous les défoncer si tu nous emmerdes. Toi, tu es de Marlys, moi, tu vois, je suis de la famille des gitans du terrain derrière la station-service. Alors tu ne nous gonfles pas, tu piges ? Lâche-nous maintenant ou tu vas prendre une bouffe dans ta gueule.

- Oh, mais c’est bon là, relax, je m’en fous moi que tu sois gitane, ça ne m’empêche pas de te causer non plus…

Elle le regarda fixement de ses yeux clairs au regard noir, où se lisait tout de même une certaine surprise. Les gadjos, en général, ils craignent et ne demandent pas leur reste.

Elle avait sorti les pansements, alcool, compresses et bandages. Les coups de couteau, elle avait l’habitude, ses frères n’étaient pas du genre très calme. Il avait les avant-bras sacrément tailladés, mais heureusement pas d’artères touchées, cela se verrait, ça ne pissait pas le sang partout. Il s’était protégé comme il avait pu, il n’était pas armé pour se défendre. Dans la lumière blafarde de la lampe, recouverte d’un tissu jaune brodé, le teint blême de son visage était moins évident. Il transpirait beaucoup, contenant la douleur durant les soins. Il la regardait fixement, sans rien dire, en serrant les dents à chaque nouveau bandage.

- Il faut que tu partes, loin. Sinon ils vont te tuer. Je ne veux pas mon amour au cimetière et mes frères en prison. Tu dois partir, tout de suite. Fais-le pour moi.

- C’est trop tard.

- Mais non, il n’est pas trop tard, tu es vivant, et eux aussi. Il n’y a rien d’impossible, on peut encore tout arrêter.

- C’est trop tard, je te dis. Mes potes sont partis en chasse, ils veulent se venger. C’est une question entre bandes maintenant, je ne peux plus rien faire.

- Oh merde, mais qu’est-ce que c’est que ça ? Vous êtes tous fous ou quoi ? Mes frères et toute ma famille sont très dangereux. Tes potes ne pourront rien faire, ça va être un carnage. Il faut que tu les arrêtes.

- Je n’y peux rien, je te dis. La seule chose à faire, c’est prévenir ta famille. Sinon ils vont les massacrer.

- Mais tu dis n’importe quoi. Ce sont eux qui vont se faire massacrer s’ils viennent ici. Rien que mon père et mon oncle suffiraient à les arrêter. Tu ne comprends pas. Ici, ce sont des combattants, ils ont passé toute leur vie à se battre, certains ont fait la guerre du Kosovo. Ça n’a rien à voir avec une bande d’ados de la cité du coin.

- Tu parles, mais tu ne sais rien. Je te dis que ta famille est en danger.

Ils avaient passé tout l’été à s’aimer. Dans leurs mots et leurs regards d’abord, puis dans leurs corps, leurs caresses, leurs moments d’érotisme torride. Ils se voyaient tout le temps, les stratégies pour se cacher faisaient partie intégrale de leur passion. Ils étaient complices dans le moindre de leur geste, la moindre décision. Ils se trouvaient des endroits toujours différents, et bien cachés; ils passaient leur temps à faire l’amour, à se declarer tout ce qu’ils trouvaient de plus beau à dire à l'autre. Elle était la pureté, la force vive de la culture dure et intransigeante qui l’avait vue naitre. Il était la douceur qu’elle n’avait jamais imaginée dans les hommes de son entourage. Leur jeunesse leur permettait de croire en tout, aux sentiments éternels, aux lendemains qui chantent. Rien ne les empêchait d’imaginer une vie entière faites de futurs moments magiques, et de les vivre par avance dans leurs mots et jusque dans leurs corps.

En attendant, ils vivaient leur amour en se cachant. Peu á peu, il avait trouvé le moyen de la faire venir dans la cité. Les autres de la bande l’avaient accepté, sans trop s’en occuper. Du moment qu’il continuait à les côtoyer comme avant, ils s’en foutaient. Elle venait dans l’appartement de ses parents, en leur absence, c’était le seul endroit où ils vivaient leur couple normalement, sans préoccupation, sans avoir peur d’être découvert. Ce foyer les rassurait. Ils montaient souvent sur le toit de l’immeuble. D’en haut, on voyait la ville d’un côté et la campagne de l’autre. La coexistence de ces deux univers contraires permettait toutes sortes d’évasions imaginaires. Ils parlaient des heures et des heures, ne s'arrêtaient pas. Comme si chaque fois, c’était la dernière qu’ils se voyaient. Peut-être l’habitude de la crainte de se faire prendre, d’être découvert par les frères de Sara. Le monde des roms qu’elle lui racontait le passionnait, il voulait tout connaitre d’eux, de leurs coutumes, de leur histoire. Mais aussi, un monde effrayant se concrétisait peu á peu face á lui. Surtout quand elle parlait de ses frères et de la protection qu’ils pensaient devoir à leur sœur, des règles du respect envers les femmes, du mariage et des fiançailles. Il sentait un énorme problème se former, de plus en plus dangereux et incontournable. Mais il avait l’impression que plus la peur grandissait, plus son amour, sa passion, se renforcaient. Elle avait 16 ans, lui 18, c’était la première fois qu’il sentait ses entrailles se tordre ainsi quand il imaginait le pire : la séparation à cause des frères ou de la famille de Sara.

- Il faut que tu partes de toute façon[pm1] . S’ils te retrouvent, ils te tueront. Ça les a rendus fous que tu me touches. Je te l’avais dit, ils sont comme ça, et personne de la famille ne les en empêchera, bien au contraire. Ta bande on s’en fout, le plus important c’est toi.

- Ce n’est pas si simple, je ne peux pas laisser ma bande, mes amis, se venger à cause de moi sans rien faire. Je ne peux pas les trahir comme ça alors qu’eux, ils sont á fond avece moi, normal que je sois de leur coté après ce qui est arrivé.

- Mais c’est n’importe quoi. Dis-leur de ne rien faire, dis-leur de t’aider à t’enfuir plutôt que jouer aux cowboys. Ils ne vont qu'empirer les choses.

- Ça ne marche pas comme ça. Je ne peux pas leur dire de s’écraser. Chez nous aussi, il y a des questions d’honneur et de territoire.

Au même instant, à l’extérieur, plusieurs personnes s’approchaient en parlant fort. Sara alla à la fenêtre et souleva un peu le rideau.

- Oh non, ce sont eux. Qu’est-ce qu’on va faire. Oh, mon dieu, non ! Non… chuchota-t-elle comme une prière, se mettant à trembler et les yeux noyés de larmes d’angoisse.

- Sara, ouvre, dépêche-toi, cria l’un d’eux en tambourinant à la porte.

Comme dans un réflexe, Bruno ouvrit la petite fenêtre de l’arrière de la caravane et commença à se contorsionner pour sortir.

- Oui, qu’est qui se passe, j’arrive ! dit elle à travers la porte pour gagner quelques secondes.

C’était le plus beau jour de l’été. Un soleil sans nuage avait brillé toute la matinée. Ils s’étaient retrouvés derrière le supermarché, à l’endroit où on accumulait les cartons vides. Ils s’étaient embrassés et, se tenant par la main, avaient couru jusqu’à la lisière du petit bois de pin pour s’y enfoncer rapidement. Ils étaient allés jusqu’à la rivière en passant par les ronces pour être surs de ne croiser personne. Ils avaient fait l’amour au bord de l’eau, puis s’étaient baignés et avaient joué le reste de l’après-midi. Vers huit heures, la chaleur était tombée, ils étaient enveloppés par cette ambiance agréable de fin de chaude journée. Allongés sur l’herbe, ils étaient bien, n’en finissaient pas de se dire tout ce qu’ils pouvaient de mieux l’un sur l’autre, riaient, mimaient la colère après une remarque faussement désagréable. Leurs sentiments paraissaient si forts, il leur semblait impossible que le destin puisse les entraver. Vers neuf heures, le jour commençant à décliner, ils retraversèrent le bois. Chaque vêtement déchiré par les ronces, chaque piqure de moustique, chaque bruit d’animaux, était source de cris exagérés et de rires complices. A la lisière du bois, ils étaient le couple le plus heureux sur cette terre.

Sur le parking, derrière le supermarché, était garée la Renault 18 rouge, aux larges bandes blanches sur le coté, des frères de Sara. Pile en face d’eux. Le temps, le mouvement du monde, le cours du destin se congelèrent en une microseconde, serrant les cœurs. Sara, horrifiée en un instant, se prit la tête entre les mains et cria de toute la force de son amour : « court, vite, barre-toi ! » en le poussant dans la direction la plus évidente pour s’échapper.

Il se mit à courir avant que ne sorte le premier occupant de la voiture. Eux non plus ne s’attendait pas à voir leur sœur sortir de nulle part. La surprise lui donna quelques mètres d’avance. Quand l'un des frères sortit de la voiture, Sara s’élança sur lui pour le retenir en le serrant dans ses bras aussi fort qu’elle pouvait. Lorsque le second sortit de la voiture, Bruno avait déjà disparu. Il avait tourné rapidement autour du supermarché, traversé le grand parking, puis l’autoroute en slalomant comme un fou entre les voitures qui roulaient à cent trente. Après avoir grimpé le talus d’herbes sèches, il s’était retourné. Personne ne l’avait suivi. Il était sain et sauf. Mais il ressentait cette angoisse profonde, ce vide intérieur, cet horrible sentiment d’impuissance face à l’irréversible, déjà conscient d’avoir tout perdu.

Tout perdu était peu dire, il perdait son présent, séparé en un instant de ce qu’il avait de plus cher, il perdait le temps qu’il venait de vivre avec elle comme s’il ressentait déjà l’inutilité de cet amour à peine construit et si vite brisé. Il perdait le futur qu’ils avaient maintes fois imaginé ensemble.

Il ne savait quoi faire ni comment réagir, ni par quel bout prendre ce problème pour le régler. Une montagne, un rempart infranchissable se formait entre lui et le reste de sa vie Il était paralysé, sans vue sur le futur. Il était tout petit. Il n’existait plus.

Au bout d’un quart d’heure, se sentant impuissant, il se mit à marcher le long de l’autoroute, les bras balants. Le mouvement étourdissant des centaines de bagnoles et le bruit enivrant des camions lui faisait du bien. Il avançait dans un univers vide et hostile, titubant tel un zombie sans conscience. Pas de but, son esprit après avoir tourner un temps à cent à l’heure s’avouait vaincu et partait à la dérive.

Du haut d’un pont piéton sous lequel il allait passer, deux autres gars de la bande lui firent de grands signes et l’appelèrent. Il les vit sans les voir, mais au bout de quelques pas, il décida de gravir le talus du bas-côté pour les rejoindre. Frank et Momo, surnom de Mohamed, l’attendaient, excités d’impatience. Dès que sa tête apparut en bas du pont, ils crièrent ensemble : « Eh, Bruno, qu’est-ce qui t’arrive ? T’as un problème avec les Gitous ? » Il attendit de se rapprocher pour répondre.

— Non, les gars, ça va aller.

— Mais putain, tu rigoles ou quoi ? On vient du Monop, on t’a vu sur le parking en train de détaler. Après, » y a deux gitous qui ont déboulé en bagnole et qui ont fait trois tours de parking pour te retrouver. C’est quoi le problème ?

— Ok, je vous le dit, mais surtout vous ne faites pas d’histoire, OK ?

— OK ! répondirent-ils en cœur, survoltés et pendus aux lèvres de Bruno.

— Non les gars, je vous le demande sérieusement : vous ne dites rien !

— « Ok » on te dit, tu peux nous faire confiance, t’inquiète.

Bruno raconta ce qui venait de se passer. Il s’était mis dans le pétrin tout seul et il voulait s’en sortir sans que la bande n’intervienne.

— Non, mais attends, Bruno, c’est quand même pas ces enculés de Gitous qui vont faire la loi. Ici c’est pas chez eux, on les tolère, Ok ? Qu’ils aillent se faire foutre avec leurs règles à la con sur les gonzesses. C’est l’occasion de leur faire comprendre une bonne fois qui c’est qui fait la loi ici.

— Putain Momo, tu m’as promis. Tu ne dois pas t’en mêler. Ce sont mes histoires, je dois les régler tout seul.

Il était trop tard, le mouvement du destin s’emballait, plus rien ne pouvait l’arrêter. Bruno le savait dès cette première réponse: tout finirait par déraper. Momo était du genre bagarreur poids lourd dans la bande ; depuis tout jeune il était respecté pour cela. Il faut dire qu’à quatorze ans, il avait gagné le championnat régional de judo de sa catégorie. Trois ans plus tard, il n’était plus champion, mais gardait la puissance impressionnante et admirée d’un excellent judoka qui s’entrainait encore. Il n’avait pas une grande influence dans les décisions qui se prenaient, mais était souvent à l’origine des dérapages les plus violents.

Bruno eut beau argumenter, s’énerver, menacer, se désespérer, Momo allait de toute façon faire une connerie. Il ne pourrait rien empêcher : Momo n’était pas un de ses meilleurs copains dans la bande, alors lui créer des problèmes ne devait pas lui paraitre très grave comparé à l’opportunité d’une bonne guerre contre les Gitans.

Ils finirent par tous s’engueuler, Bruno et Momo partirent fâchés, chacun vers une extrémité du pont. Seul Franck restait au milieu en criant aux deux autres de revenir pour se réconcilier.

Bruno se mit à courir vers la cité de ses parents. Il courrait comme un fou, comme pour s’étourdir, pour faire quelque chose, pour tout oublier. Les idées lui venaient dans tous les sens, des problèmes de partout, aucune solution, pris au piège de ce tournant de sa vie. Il en vint à prier, même s’il ne savait rien ou pas grand-chose de dieu. Il priait le plus fort qu’il pouvait, pour que tout s’arrange, pour que la force divine change son inéluctable destin. Mais pour l’instant, prier rajoutait à son angoisse en magnifiant son sentiment d’impuissance.

Arrivé chez ses parents, il alla directement s’isoler dans sa chambre. Allongé sur le lit, la tête entre les mains, il essayait de reprendre ses esprits pour prendre une décision. Il regardait vainement ce poster de kim Wilde collé au plafond, cette déco derisoire d'affiches de concerts de hard rock qui masquait la triste tapisserie à grosse fleur choisie par ses parents.

Il fallait pourtant qu’il trouve quelque chose, qu'il réagisse, mais que faire?... D’un coup, il fut envahi par une terrible angoisse, Sara. Comment tout cela avait-il pu se terminer pour elle, que lui était-il arrivé ? Il l’avait lâchement abandonnée sur ce parking. Il se mit à transpirer, son stress le submergeait: non seulement il ne savait quoi faire, mais il se persuadait d’avoir fait ce qu’il ne fallait pas. Etait-il un lâche ? Ne savait-il même pas défendre ce qu’il avait de plus cher, celle qu’il aimait par-dessus tout ? Il ne valait vraiment rien, il se sentait comme une pauvre merde, le pire des lâches. Il n’en pouvait plus, c’était insupportable.

Le téléphone sonna sur le petit meuble du couloir, sa mère répondit puis cria « Bruno, c’est pour toi ! » en posant le combiné sur le napperon blanc. Bruno sortit de sa chambre et évita de croiser le regard de sa maman pour qu’elle ne se rende pas compte de ses yeux rouges.

— Bruno, c’est toi ?

— Oui, qu’est-ce qui se passe ?

— C’est moi, Gilou, on te cherche partout, là.

— Putain, vous me faites chier, laissez-moi tranquille, OK ?

— Mais tu déconnes ou quoi ? De quoi tu parles ? Je t’appelle parce qu’on a un big problème là. On a besoin de tout le monde. Il y a Momo et Franks qui sont à l’hôpital. Apparemment, ils ont eu un problème avec les gitans du camp de l’autre côté de l’autoroute. Ils se sont faits défoncer la gueule et après les flics les ont embarqués. Frank ne va pas bien du tout à ce qu’il parait. Viens, on t’attend au terrain vague. Faut qu’on fasse quelque chose… Allo ? Tu m’entends ? Allo ? Bruno ? Qu’est-ce qui se passe, répond-moi, là!

Au moment même où ses pieds disparaissaient, où il tombait de l’autre côté, elle ouvrit la porte. Il se glissa derrière la caravane, et s’éloigna sans un bruit dans les fourrés tout proches. Il y resta caché.

Ce fut la dernière fois qu’il la vit. Elle ne les laissa pas pénétrer dans la caravane, les compresses pleines de sang, ils auraient compris de suite. Elle sortit et les accompagna vers une autre caravane. Quelques mètres plus loin, elle se retourna, elle ne pouvait pas le voir, mais lui put apercevoir son visage, son beau visage baigné de larmes.

À peine le dernier entrés avait il refermé la porte, une voiture pénétra à pleine vitesse dans le camp, et s’écrasa dans un fracas retentissant contre le camping-car garé en plein milieu. Quatre ou cinq longues secondes silencieuses s’écoulèrent puis une énorme gerbe de flammes s’échappa de cette voiture. Une explosion répandit alors le feu sur une dizaine de mètres tout autour. De partout, des femmes tenants leurs enfants sortirent affolées en hurlant. Une scène d’apocalypse. Dès que les hommes sortirent juste après, des coups de feu commencèrent à pleuvoir. Il y avait au moins cinq tireurs, des pistolets et des fusils de chasse, ou des fusils à pompe vu la cadence des tirs. Tout le monde courrait, certains gitans commencèrent à riposter dans différentes directions. Le feu avait embrasé deux caravanes et le camping-car. Un groupe de deux femmes et leurs enfants se mirent à courir dans la direction de la cachette de Bruno. Il dut s’éloigner sans se faire voir, laissant la folie se déchainer.

Il devait fuir, partir le plus loin possible, pour se protéger, pour que ce monde, ce cauchemar, disparaisse, pour qu’il n’ait jamais existé.

Plus tard, quand tout serait calmé, il reviendrait et pourrait agir. Dans ce tumulte rien n’était possible. Il partirait loin, peut être longtemps, mais il la reverrait. C’était sûr, impossible de ne pas revenir un jour. Même loin, il l’emportait avec lui dans son cœur. Il ne la quitterait pas, jamais il ne pourrait l’oublier. Il avait dix-huit ans…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire philippemoi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0