22 - Mémoire

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Je quittais l'appartement de Laura avec un sentiment mêlé de regret et d'excitation. L'après-midi passé à nous câliner et à nous embrasser me créait déjà un fort sentiment de manque. La douceur de sa peau, le goût de ses lèvres, la chaleur de son corps, toutes ces sensations imprimées en moi m'attiraient vers elle, mais il était tard et le sommeil commençait à me manquer.

Arrivé dans la rue, je consultais comme d'un réflexe mon téléphone portable. Je ne l'avais pas regardé de tout l'après-midi : quatre appels en absence, deux textos et un message laissé sur mon répondeur. Tous provenaient de la même personne : Lucie. Cette même Lucie que je n'avais pas revue depuis nos vacances désastreuses et avec qui j'avais rompu il y a quelques semaines.

Le simple fait de voir son prénom s'afficher m'avait fait redescendre de mon nuage de béatitude. J'écoutais son message vocal, non sans une certaine rancoeur : elle avait rompu le charme qui embrumait mon esprit. Elle disait être en ville et elle voulait que l'on se voit. J'écoutais le son de sa voix avec attention. J'avais toujours aimé sa voix, quelque peu éraillée, comme après une soirée festive. Cela lui donnait une fragilité, mais aussi une prestance naturelle. Je me remémorais nos longues soirées à parler, où je buvais ses paroles et me repaissais de sa mélodie vocale.

Ses appels dataient du début d'après-midi, elle était sûrement reparti. Je la rappelais, plus par politesse que par réelle envie de la voir. A peine la première tonalité s'était tue que sa voix si particulière me parvint, aussi charmante que dans mes souvenirs :

  • Allô ?
  • Salut Lucie. Tu as cherché à m'appeler ?
  • Oui, depuis le début d'après midi, mais tu n'étais pas joignable. Tout va bien ?
  • J'ai pas mal de travail en ce moment, je suis un peu sur la brèche, mentis-je pour ne pas aborder le sujet de ma vie privée. Que me vaut le plaisir ?
  • J'étais en ville ce week end, et je me disais qu'on pouvait se voir, si ça m'intéressait.
  • Ah mince, je suppose que tu es déjà partie ?, demandais-je hypocritement, en espérant qu'elle ait effectivement quitté la région.
  • Figure-toi que j'ai croisé ton frère cet après midi. Il se promenait avec sa coloc'. Je ne voulais pas les déranger, ils avaient l'air… complices, je dirais. Il y a quelque chose entre eux ?

Le souvenir de Sarah, a moitié nue dans son placard me revint en pleine face. Merci. Vraiment…

  • Je ne sais pas, je t'avoue que j'ai autre chose en tête en ce moment, coupais-je pour repousser cette image incrustée dans ma rétine. Alors, tu ne m'a pas répondu, tu es toujours en ville ?
  • Oui, ton frère m'a invité à prendre un café, et je sors tout juste de chez lui. Je suis disponible si tu l'es aussi.

Je pestais intérieurement contre mon frère. S'il ne l'avait pas fait occupée l'après midi, elle serait repartie et tout serait rentré dans l'ordre. Je tournais à l'angle pour rentrer chez moi et je la vis devant mon immeuble, comme si elle guettait ma présence. Je ne la reconnus pas de suite, elle avait opéré quelque changement physique. Elle avait troqué sa longue chevelure blonde pour une coupe courte auburn. Je bloquais sur cette métamorphose radicale.

  • Allo ? Tu es toujours la ?, me demandait elle.
  • Oui, balbutiais-je. Je viens juste d'arriver dans ma rue.
  • Ah oui, je te vois, j'arrive, s'écria-t-elle pleine d'enthousiasme, avant de raccrocher.

Elle s'avança vers moi, lentement. Elle avait dû réfléchir à cette rencontre. Elle semblait avoir calculé chaque geste, chaque regard, chaque sourire, pour arriver à son but. Lorsque nous nous étions rencontrés la première fois, j'avais ressenti ce même sentiment mêlé de stress, d'excitation et d'appréhension. Elle avait la même démarche chaloupée qu'auparavant dans son pantalon de cuir, et ce même sourire aguicheur, démesurément grand et teinté de rouge.

Je vivais ce bref instant comme notre première rencontre, et c'était bien là le piège : la nostalgie nous fait perdre la tête, et nous commettons des erreurs en son nom. Elle s'apprêtait à m'embrasser, je lui tendais la joue, à sa grande déception apparente. J'avais beau avoir les hormones en ébullition, je ne referai pas la même erreur.

Je ne suis pas amnésique, j'ai même plutôt bonne mémoire.

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