31 - Halloween

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Les rues de la ville étaient pleines de jeunes enfants accompagnés de leurs parents et d'adolescents par demi-douzaines. Tous étaient déguisés, maquillés, incarnaient un monstre d'horreur, une créature morte-vivante et une allégorie de la mort.

J'étais habillé normalement, Claire ne m'avait pas donné de consignes de déguisements. Après tout, si j'avais bien compris, nous ne serions que deux. Les enfants, déguisés en vampires, sorcières et autres fantômes, me criaient des "Bouh" et des "Bwah" en levant les mains. Qu'ils étaient mignons, bien malgré eux ! Je feignais d'avoir peur pour les encourager. Les adolescents, eux, avaient des déguisements plus poussés, sanguinolants, morbides. Parfois, de faux vers sortaient de plaies ouvertes et me donnaient la nausée.Je pressais le pas, mon colis de bonbons sous le bras.

Je traversais le boulevard et rejoignais la colline et ses maisons bourgeoises. Il n'y avait plus de monstres miniatures, à croire que ce n'était pas dans les habitudes de ces habitants. Les ruelles peu éclairées restaient quelque peu inquiétantes, même si je savais pertinemment que ces quartiers étaient plutôt tranquilles.

J'arrivais sur place et sonnait à l'interphone. Je criais "Des bonbons ou un sort !" quand Claire répondit. Elle rit et ouvrit la porte. Je montais l'escalier et découvrait le jardin. De multiples citrouilles avaient été découpées et éclairées par des bougies. Les Jack'O'Lanterns illuminaient mon chemin jusqu'à la porte entrebaillée où m'attendait mon hôte, dont la silhouette se précisait à chaque pas.

Elle était appuyée contre l’encadrement. Elle portait des collants rayés d’orange et de noir, surmontés d’une jupe courte en tulle noir translucide. Son haut ne couvrait que l’avant de son corps, maintenu par huit lanières nouées dans son dos et sa nuque, comme une araignée géante plaquée contre elle. Pour l’occasion, elle avait teint ses cheveux en orange vif, sa tête surmontée d’un chapeau pointu, parsemé de toiles d’araignée.

Elle m’accueillit les bras ouverts et me serra fort contre elle. Je posais mes mains sur la peau dénudée de son dos. Je lui glissais à l’oreille :

  • Tu ne m’avais pas dit que c’était une soirée déguisée ?
  • Ca ne l’est pas. Je profite juste d’Halloween pour me faire plaisir.

Je m’éloignais d’elle pour l’admirer. Je sentais mes yeux briller de plaisir à la voir si exubérante, à assumer son grain de folie.

  • Excuse-moi, je commence à avoir froid, dit-elle en se tournant vers l’intérieur.

Je profitais de l’instant pour admirer ce dos nu aux laçages multiples. Je remarquais de multiples grains de beauté qui parsemaient sa peau, mais ce qui me marqua le plus, c’était son tatouage qui s’offrait enfin à mon regard. C’était une énorme fleur d’une vingtaine de centimètres, dont chaque pétale était rayé dans sa longueur. Les contours des pétales étaient épais et les rayures, d’une finesse extrême, laissaient imaginer les longues heures d’un travail d’une infinie minutie. Je mourrais d’envie de m’approcher et d’observer les tracés plus en détail. J’abordais le sujet :

  • Voici donc le fameux tatouage qui t’a fait souffrir ces derniers jours.
  • Oui, c’était de longues heures passées sur la table à me faire charcuter, mais le résultat est bien au-dessus de mes attentes. C’est un hibiscus. J’adore le travail de ce tatoueur, ça fait très longtemps que je suis ses oeuvres, et j’ai décidé de passer le cap. Ce n’est pas mon premier tatouage, mais ce n’est pas aussi grand et détaillé d’habitude, j’avais un peu peur.
  • Comment sont les autres ?, tentai-je en espérant en voir un peu plus.
  • Bien cachés. Si tu es gentil, je te laisserai en voir un autre. Mais regarde la finesse des détails, c’est un travail monstrueux.

Je ne demandais pas mon reste et m’approchais de ses reins, à quelques centimètres de l’oeuvre. Je détaillais chaque trait, chaque point, chaque courbe de mes yeux avides de son corps. Je savais qu’elle e regardait faire, alors je ne m’attardais pas.

  • C’est magnifique, repris-je en me relevant, un vrai travail d’artiste. Alors, quel est le plan de la soirée ?
  • A Halloween, j’aime me refaire quelques classiques du cinéma. Tu connais Tim Burton ?
  • Bien sûr, qui ne connaît pas ?
  • Il y a encore quelques incultes en ce monde, tu sais, riait-elle. Je te propose “L’étrange Noël de M. Jack”, suivis des “Noces Funèbres”, en mangeant des bonbons et en buvant de la bière à la citrouille.
  • Tu aimes vraiment la citrouille, non ?, m’amusai-je.
  • J’aime ce qui est de saison. En décembre, ça sera sablés aux quatre-épices et bière de Noël.

Je trouvais cette attention aux saisons particulièrement touchante. Habituellement, je n’aime pas les traditions, je les trouve pompeuses, ennuyantes et inutiles. Chez elle, je trouvais cela charmant et attentionné. J’acceptais avec plaisir et pris place avec elle dans un confortable sofa, accompagnés de mes deux kilos de friandises et nos deux bières à la citrouille.

Dans la pièce obscure, nous attendions en silence les premières images. Alors que résonnaient les premières notes de “Voici Halloween”, elle se colla à moi et posa sa tête sur mon épaule. Cette proximité, d’une simplicité candide, me rendait tout chose. Chaque scène qui passait signait un rapprochement supplémentaire, si bien qu’arrivé au milieu du film, c’était l’écran qui nous regardait. Allongés l’un sur l’autre, nous nous embrassions et nous découvriions avec une pudeur bestiale, une ardeur contenue. Je découvris quelques autres de ses tatouages. Et pour le reste de la soirée, il n’appartenait qu’à nous.

***

Nous sommes restés ensemble quelques mois. Après le nouvel an, Claire était partie à l’autre bout du pays pour y poursuivre sa formation de sculptrice. Nous avions passés ce cap du spleen automnal ensemble et nous continuons notre vie chacun de notre côté, gardant en mémoire ces longues nuits d’automne. Parfois, lors d’une visite à sa famille, j’ai le plaisir de l’accueillir et de partager quelques moments de réconfort au creux de ses bras.

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