28 - Verre brisé

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Je pianotais sur le clavier de mon téléphone, tout en marchant avec hâte. "Je dois te voir. Tout de suite. Maintenant. Tu es chez toi ?". J'envoyais ma demande et pressais le pas. Quentin avait attiré mon attention sur un point que je devais absolument élucider au plus vite, avant d'aller plus loin dans cette relation double. Un bip de mon téléphone. "Oui". J'accelerai encore, à la recherche de la moindre seconde économisée, d'un raccourci qui me permettrait d'avoir encore plus vite les réponses à mes questions. J'arrivai devant l'immeuble à pans de bois, sonnait à l'interphone et grimpait les étages en enjambant les marches deux à deux.

Je parvins au palier et toquai a la porte. Laura l'ouvrit, vêtue d'une tenue courte, mini jupe et débardeur échancré. Sur ses talons hauts, elle s'excusa de sa tenue, prétextant avoir enfilé ce qui lui ferait tombé sous la main. Un classique.

Elle me proposa un verre. J'acceptais, dans l'espoir que l'alcool me donne le courage d'affronter la vérité. Tandis qu'elle s'affairait en cuisine, je regardais furtivement dans la bibliothèque : pas de trace d'un mari, pas de photo, ni d'objet masculin. Les preuves devaient être dans sa chambre. Mince. Je m'approchai de la porte d'entrée de sa chambre. Je voulais y entrer, mais elle arriva juste quand j'allais jeter un œil par la porte entrebâillée et me ravisait. Elle me tendit un verre, j'avais une impression de déjà vu. Elle but une gorgée et me demanda, les lèvres brillantes et humides :

  • Alors, tu voulais me voir ? En quel honneur ?, demandait-elle en replaçant avec insistance une mèche de cheveux rebelles.
  • Je me pose quelques questions en ce moment, et tu es la plus à même d'y répondre.
  • Et c'est à quel sujet ?

Sa voix devenait suave et je peinais à rester face à elle. Je m'éloignai légèrement, de façon à maintenir une proximité distante.

  • C'est a propos de toi. Et de moi. De nous. Mais surtout de toi, bégayai-je d'une voix saccadée.
  • Respire, calme-toi. Je te sens très stressé, tu es sûr que tout va bien ? Tu veux que je t'aide à te détendre ?

Elle posa sa main chaude sur mon bras. Elle était si peu vêtue et pourtant si brûlante. Je ne souhaitais qu'une chose, c'était de ne pas lui poser mes questions et de m'enfouir dans ses bras. Mais je devais être fort et prendre mes responsabilités. Je bus une autre lampée, et la phrase sortit d'elle même, comme une détonation dans l'air :

  • Est-ce que tu es mariée ?

J'entendis une seconde plus tard un bruit sec, tintant dans l'air comme une cloche cristalline. Mes pieds furent percutés par une multitude de brisures. Laura venait de lâcher son verre à vin qui venait d'exploser sur le parquet, laissant sur le sol une flaque de Chardonnay garnie de brisures de verre. Son visage exprimait la contrariété, la stupéfaction, la colère, voire l'envie de m'étripper. Elle bégayait a son tour, ne trouvait pas ses mots.

  • Qui t'a raconté ça ?, demanda-t-elle d'une voix d'outre-tombe.

Son visage avait perdu toute sa superbe. Son sourire aguicheur, ses yeux de biche, ses dents blanches, tout avait disparu. Elle s'était métamorphosée, ses traits s'étaient tirés, son sourire était tombé en une grimace austère. Elle brisa le silence qui pesait en nous, ent tonna d'une voix puissante que je ne lui connaissais pas :

  • Qui t'a dit ça ?, cria-t-elle.
  • Personne.

Elle me fixait, l’air dubitatif, inquisitrice et meurtrière. Elle semblait me jauger, elle cherchait à savoir d’où je tenais cette information, sans pour autant réfuter ta question. Face à son regard tirailleur, je commençais d’une voix basse et penaude :

  • J’ai remarqué que tu avais une marque de bronzage à la main. A l’annulaire gauche, là où on porte une alliance. Je psychote peut-être et je me pose beaucoup de questions. J’hésitais à te poser la question, mais le fait est que je tiens à toi et que je ne supporterais pas de devoir te partager avec quelqu’un d’autre.

Je m’écoutais parler et j’avais honte. J’avais bien conscience du ridicule et de l’hypocrisie de la situation. J’avouais mon attachement et ne pas vouloir la partager, alors je n’arrivais pas moi-même à me décider entre deux femmes. Quoique je n’aurais surement bientôt plus à choisir, vu la tournure de notre rendez-vous. Une larme naissait au coin de ses yeux.

  • Je me suis mariée. Il y a deux ans. J’étais heureuse. Et amoureuse. Je suis restée ici le temps de finir mes études. Lui était resté à la campagne pour le travail. Après mes partiels, l’été dernier, je suis rentrée plus tôt pour le retrouver chez lui. Je l’ai surpris nu avec sa collègue, dans notre lit. Je suis parti en pleurs. Je n’ai eu le courage d’enlever mon alliance qu’il y a un mois, après avoir passé l’été au soleil à me recentrer sur ce que je voulais. Alors oui, je suis mariée. Je suis séparée, en instance de divorce. Tout sera réglé dans quelques mois. Je serais libre, prête à terminer mes études à tête reposée, à retrouver ma liberté de jeune femme.

Je m’approchais doucement d’elle, à pas feutrés. Je posais une main sur son épaule.

  • Tout va bien se passer, la rassurai-je. Je peux faire quelque chose pour toi ?
  • Oui. Il y quelque chose qui me ferait très plaisir. Dégage d’ici.

Je levai les sourcils, stupéfait par la violence de sa réponse.

  • Je veux que tu dégages, renchérit-elle. Je ne veux pas d’un homme qui pense que je suis le genre de petite salope qui cumule les relations, qui joue avec les hommes pour ne pas avoir à choisir. J’ai beaucoup trop souffert avec cet enfoiré, et je ne peux pas accepter d’être considérée comme lui. Alors pars, et ne cherche pas à me revoir.
  • Je suis désolé, je ne voulais te donner toute cette peine, murmurai-je en posant mon autre main sur son bras.

Pour seule réponse, elle me décocha une gifle sonore. Ma tête bascula violemment sur le côté et me sonna. Ma joue irradiait. Mon orgueil blessé, je la regardai dans les yeux.

  • Pars, renchérit-elle.

Sans un mot, je me dirigeai vers la porte palière, en veillant à marcher entre les débris de verre, et l’ouvrit. Je me tournai une dernière fois vers elle.

  • Je suis sincèrement désolé.
  • Dégage, bon sang !

Elle saisit un photophore de la bibliothèque et le lança dans ma direction. Un explosion de verre détonna contre le battant de la porte derrière lequel je m’étais protégé. Un dernier regard vers elle et je dévalais les escaliers avant qu’un autre projectile ne finisse par m’atteindre.

C’en était fini de notre brève histoire.

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