26 - Bandage

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Je marchais aux côtés de Claire durant un temps suspendu. Nous errions dans les rues des coteaux, dans but réellement défini. Je ne savais pas où nous allions. A chaque coin de rue, elle avait une anecdote à raconter sur une bâtisse. L'endroit était plein d'anciennes maisons de maître du XIXe siècle, et chacune d'entre elles appelait un commentaire sur un détail architectural, une restauration réussie, une extension bien conçue. Nous étions dans les quartiers aisés, ceux qui surplombent la ville, où chaque construction possèdent des vues imprenables, chacun jalousant le point de vue de l'autre. Je me retournais régulièrement pour admirer le panorama. J'enviais réellement le cadre de vie de ces gens, je ne savais pas s'ils étaient conscients de leur chance de vivre dans ce décor de carte postale.

On s'arrêta devant un mur de brique, d'au moins trois mètres de haut, avec pour seule percement une porte métallique massive. Claire sortit un trousseau de clés et ouvrit la porte.

  • C'est ici que tu habites ?, m'étonnai-je.
  • Mes parents. Je vis chez eux le temps de finir mes études. Et puis mes études d'art sont tellement prenantes, je ne suis pas mécontente d'être prêt d'eux pour avoir leur appui.

Elle me fit passer la porte qui menait à un escalier de pierre brute entourée de hauts murs de briques. Je montais la volée et arrivais dans un jardin de bonne taille, face à une grande bâtisse de brique rouges et aux modénatures de pierre. Elle comportait deux étages et une toiture mansarde flanquée de lucarnes. Elle avait certainement dû être construite à l’époque par un notaire, avocat ou médecin. La construction avait tous les atouts des maisons de maître qui valaient aujourd’hui une petite fortune. Je regardais tour à tour la maison et Claire. Il y avait un décalage entre cette construction bourgeoise et cette jeune femme en sweat-shirt, un tantinet artiste et un brin rêveuse.

Elle m’invita à entrer. Nous étions dans une entrée étroite au sol ancien.

  • Des carreaux de ciment ? Ils sont authentiques ?, m’étonnai-je.
  • Bien sûr. Quand tu as vu de vrais carreaux, tu ne te laisses pas avoir par la grande distribution.

Elle me débarrassa de ma veste qu’elle accrocha à une patère. Je jetai un oeil dans les deux pièces voisines, curieux de voir la richesse des ornements de ce type de maison.

  • Tu veux peut-être visiter ?, dit-elle d’un air amusé.
  • Je… je ne voudrais pas déranger, répondis-je timidement, même si je savais que ces maisons cachent souvent des trésors insoupçonnés.

Elle gloussa mélodieusement. Ses yeux riaient derrière ses hublots.

  • Alors, tu me suis, ou tu restes là à reluquer le parquet et les moulures ?

Elle entama la montée de quelques marches, puis s’arrêta. Elle me regardait en coin, agrippée à la rambarde. Elle m’attendait. Je posai mon pied sur la première marche, puis elle repris son ascension. Je la talonnai, appréciant en silence la vue sur son postérieur qui s’offrait à moi. Elle me fit monter au premier étage, puis au comble. Il n’y avait apparemment personne.

  • Tu es seule, ici ?
  • Mes parents sont partis à l’étranger pour affaire. Ils sont entrepreneurs dans le bâtiment. La femme de ménage est passée juste après leur départ, elle ne reviendra pas avant la fin de semaine, avant qu’ils reviennent. Donc oui, je suis seule en ce moment. Les journées sont un peu longues, mais j’ai de quoi m’occuper.

Nous étions arrivés sur le palier du comble. Une petite lucarne ronde illuminait le parquet massif lustré. Elle s’avança, me montra une porte, puis l’autre.

  • Là, c’est ma chambre. Ici, c’est mon atelier.
  • Tu as tout l’étage pour toi toute seule ?
  • Oui. Depuis que ma grande soeur a quitté la maison, j’ai récupéré son ancienne chambre pour y créer des sculptures. Je commençais à être sacrément à l’étroit. Entre, je t’en prie, me dit-elle après avoir déverouillé la serrure.

J’entrai dans une petite lumineuse, éclairée par une grande lucarne. Au centre, une grande table regroupait différents outils, des gouges, des limes, des ciseaux, des carnets empilés. Tout un pan de mur était recouvert de croquis, schémas et plans. Les autres autour comportaient des étagères, certaines stockant du matériel ou des sacs de plâtre, d’autres des sculptures achevées ou ébauchées. Une des sculptures attira particulièrement mon regard. Je m’approchai pour mieux voir.

  • Tu as le coup d’oeil. Attends un peu, je vais la sortir de là. Elle est encore fraiche.

Claire saisit le plateau qui supportait la sculpture, la tira de son étagère et la posa sur la table, avec beaucoup de précaution. Je m’accroupis pour voir de plus près ce dont elle m’avait parlé. J’observais la finesse des volumes, la délicatesse avec laquelle elle avait modelé le plâtre à la main pour lui donner vie. Je percevais dans chaque sillon le passage de ses doigts, dans chaque forme ses mains qui l’avait englobé pour la faire naître. Son travail avait quelque chose de très sensuel, de charnel. Par-delà la sculpture, un croquis la représentait. Je m’approchais et souriais en mémoire de notre dernier rendez-vous. Je repérais les jambes, les bras, l’homme, la femme dans cet amas de chair emmêlé et indistinct.

Claire était à mes côtés. Les mains dans le dos, elle ne disait pas un mot. Elle regardait impassiblement ses croquis, son regard passant sur chacun d’eux. Peut-être attendait-elle un commentaire, un compliment, une critique ?

  • J’aime la façon dont tu dépeints l’amour. Il y a quelque chose de très sensuel, de puissant dans la façon dont tu dessines ces corps qui se mélangent.
  • Toi aussi, ça t’excite de regarder ses dessins ?, demanda-t-elle avec le plus grand sérieux.

Je rougissais. Je n’avais pas envisagé la question comme ça, mais effectivement, leur effet était puissant.

  • Ton travail est aphrodisiaque, en effet, lâchais-je après avoir mûrement choisi mes mots.
  • Tant mieux.

Elle me saisit par le col et m’embrassa avec vigueur. Ses doigts glissèrent sous ma chemise. Ses phalanges étaient glacées, mais j'y prenais plaisir. Je passai ma main derrière sa nuque pour la garder tout près de moi. Mon autre main se glissa dans la bas de son dos pour l’attirer vers moi. A peine ma main posée au creux de ses reins, elle se contracta et poussa un cri. Je retirais mon geste, ne comprenant pas sa réaction. Elle semblait désolée. Elle souleva son tee-shirt, me dévoilant un bandage tout autour de son abdomen.

  • Quelle idiote… Je sors tout juste de chez le tatoueur, mon dos est hyper sensible…

Elle s’éloigna de moi, la tête entre ses paumes. “Mais quelle conne, ce n’est pas possible…”, jurait-elle à voix haute. Je m’approchais, posai une main sur chaque épaule et lui glissais à l’oreille “On pourra reprendre ça plus tard, quand tu seras remise. Et tu me montreras ton tatouage, à l’occasion ?”.

Elle se retourna, les yeux en larmes, mais le sourire aux lèvres. Elle m’embrassa à nouveau, avec moins de fougue cette fois-ci, et murmura à son tour “Avec un peu de chance, tu auras la chance de tous les voir. Et j’en ai plus que tu ne puisse imaginer !”

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