23 - Cheminée

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Lucie avait tenu à m'inviter à dîner. Je n'en avais pas très envie : il était tard, je n'avais pas dormi depuis quarante heures, j'étais drogué au café, transi d'avoir passé l'après midi et la soirée allongé avec Laura, et l'idée de passer une soirée avec mon ex me m'enchantait pas réellement.

Elle connaissait une pizzeria qui servait tard, et qui avait la réputation de cuire ses plats au feu de bois. Nous entriions dans le restaurant italien a la devanture ouvragée, mais à la décoration qui se voulait si traditionnelle qu'elle en devenait très kitsch. Des masques vénitiens, peintures de gondoles et modèle réduit de la tour de Pise ornaient chaque mur, chaque espace. J'avais envie de rire. On nous installa sur une petite table, près du four. La face côté salle nous offrait une vue sur les flammes qui léchaient les pizzas mises à cuire. J'étais hypnotisé par cette danse incandescente, cette mouvance enflammée. Je sortis de mes rêveries quand Lucie posa sa main glacée sur la mienne.

  • Tu as reçu mon courrier ?, demanda-t-elle en doucement ma main de son pouce.
  • Oui. J'ai reçu ta carte.

Je regardais son visage illuminé par les flammes de la cheminée. La lueur rougeâtre qui l'éclairait la rendait encore plus belle que dans mes souvenirs. Sa nouvelle teinte capillaire ne faisait qu'accentuer cet effet.

  • Et donc ? Qu'en penses-tu ? Tu serais d'accord ?
  • Je ne suis pas sûr de bien comprendre. Tu voudrais qu'on revienne ensemble, après tout ce cinéma que tu m'as fait pendant les vacances ?

Je retirais ma main de sous la sienne, croisant instinctivement les bras en signe de repli.

  • Je sais bien que j'ai fait des erreurs et que je ne suis pas toujours facile a vivre, mais je pense sincèrement qu'on peut aller loin tous les deux. On a déjà fait tellement de chemin ensemble, ça serait dommage de s'arrêter maintenant. Tu t'imagines mettre de côté ces dernières années de ta vie ?

Je la regardais avec intensité, cherchant à déceler la moindre once d'hypocrisie ou de mensonges dans ses paroles. Son visage, ses cheveux, illuminé par cette satanée cheminée, tout me perturbait ici.

Je n'avais pas les idées claires, je ne pouvais pas rester là. Je devais trouver une porte de sortie.

Le serveur me l'offrit malgré lui :

  • Vous avez fait votre choix ?, demanda-t-il d'un air lassé, les yeux rivés sur son calepin.
  • Oui. J'ai fait mon choix.

Le regard de Lucie s'illuminait. Je lisais une ardeur, une passion dans ses yeux. Elle était suspendue à mes lèvres. Elle savait très bien que mon choix ne concernait pas ma commande. J'entrouvrais la bouche, son sourire s'étirait. Je tirais un plaisir immense de ces quelques demi-seconde suspendues où j'étais totalement maître de la situation, et où ma sentence allait tomber incessamment sous peu, comme un couperet, une guillotine.

Je posai mes mains à plat au bord du plateau et me levai. J'admirais son sourire s'effacer au fil de mon ascension. Le serveur me regardait d'un air circonspect.

"Je suis désolé. Ma journée a été longue, je crois que je ne pourrais pas tenir davantage".

Sans attendre un mot ou une réponse, j'attrapais la veste et quittais les lieux, laissant derrière moi le serveur ahuri, mon ex choquée et la cheminée qui me lançait ses dernières vagues de réconfort.

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