Chapitre 7

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—A nous deux, Gabriel, murmuré-je en m’attelant à mon bureau, le soir-même.

Ordinateur portable allumé devant moi. Fenêtre ouverte sur le ciel crépusculaire. Imagine Dragons en bande-son, pour l’ambiance. C’est bon. Je suis prêt.

J’ouvre une page Internet et tape sur le moteur de recherche : « Gabriel Marker ».

Une dizaine de pages, de titres et de photos apparaissent sous mes yeux. « Wikipédia : Gabriel Marker, né le 13 septembre 1995, est un réalisateur et scénariste français connu pour son film… » « Premiere.fr : La nuit des pulsions, premier film de Gabriel Marker, sort aujourd’hui en DVD… ». « Pluzz. Tv : replay du : On n’est pas couché du 12/02. Laurent Ruquier et son équipe reçoivent le jeune Gabriel Marker… ».

En soupirant, je clique sur plusieurs liens, au hasard. Comme si j’allais trouver quelque chose d’intéressant dans cet amas d’images fabriquées, d’interviews téléguidées, de sourires factices qui transforment Gabriel, mon Gabriel, en un produit commercial.

C’est ce qu’il est, oui, aux yeux des médias. Il suffit de lire les accroches des articles pour le deviner : certains le qualifient de petit prodige, de sauveur du cinéma français. D’autres désignent La nuit des pulsions comme un « mélange subtil de Twin Peaks et True Detective ». Pour eux, il n’est qu’un jouet, un objet qu’on brandit et qu’on place sur un piédestal. On se fait de l’argent sur son dos, on le porte aux nues alors que le tiers des journalistes n’a pas vu le film ou ne l’a pas compris, mais au fond, qui connaît vraiment Gabriel Marker ?

Qui sait que, derrière cette image de jeune homme séduisant et à l’aise en interview, derrière le cinéaste mature et novateur, se cache un petit garçon stressé qui a constamment peur du regard des autres ?

« Yann, et s’ils étaient déçus par ma personnalité, ma façon de voir les choses ?»

Quoique, peut-être que je me trompe. Peut-être que moi non plus, je ne le connais pas plus qu’eux. Peut-être que je ne l’ai pas compris autant que je le pensais.

Parce que, si j’avais lu en lui, si j’avais décelé dans sa personnalité ce que personne d’autre ne voulait voir, il serait resté. Avec moi.

Il ne m’aurait pas abandonné. Ni oublié.

Ni remplacé.

Au bord des larmes, je m’apprête à éteindre mon ordinateur. Mais soudain, le titre d’un article de presse à scandale retient mon attention :

« Gabriel Marker : son succès, ses amis… Ses secrets ».

Je clique. Sur fond rose se détache une photo de Gabriel en sépia. A Cannes, il me semble. Il regarde l’objectif sans ciller, le défiant presque.

Je lis l’article avec attention :

« Si la plupart des cinéastes doivent attendre l’âge de la maturité pour briller, Gabriel Marker, 21 ans, est déjà l’un des artistes les plus appréciés du public. Son parcours fait rêver : après avoir mis en ligne ses premiers courts-métrages (sous le pseudonyme cinéphile de Zampano237, cherchez les références), il se fait repérer par un producteur de cinéma, Pierre-Ange Maraval. Dès lors, tout s’accélère : le tournage de son premier film démarre en été 2013, avec des acteurs pas plus expérimentés que lui (Amaury Séraphin, aperçu dans la série « Encerclés » sur Canal Plus, ainsi que Daphné Tamier, jeune comédienne issue des planches). Contre toute attente, le film est sélectionné au Festival de Cannes. Puis c’est le succès qu’on connaît.

Mais malgré ce véritable conte de fées, force est de constater que personne ne sait grand-chose de Gabriel Francis Marker. Aucune information n’a filtré sur ses relations amoureuses, ni même sur son enfance. « On ne sait presque rien de lui, nous a confié une source anonyme. Gabriel n’est pas du genre à raconter sa vie.». Plus étrange encore : selon la chroniqueuse d’une célèbre émission télévisée à laquelle Marker a participé l’année dernière, le jeune réalisateur aurait froidement demandé à la production de ne poser aucune question sur sa famille, sous peine de quitter le plateau en direct.

Pourquoi Gabriel Marker reste-t-il aussi discret sur sa vie privée ? Par pudeur ? Pour protéger ses proches ? Ou peut-être dissimule-t-il un secret… Dérangeant ? »

—Qu’est-ce que c’est que cette histoire, murmuré-je.

Je n’étais jamais tombé sur cet article auparavant. C’est vrai que Gabriel ne répond pas aux questions personnelles, en interview. Mais pourquoi refuse-t-il de parler de sa famille ?

Je repense au visage pâle de la jeune femme. A son regard attendri quand elle a vu Gabriel devant sa porte.

Je pousse un soupir. Il y a une semaine encore, j’idolâtrais Gabriel et ne pensais qu’à une chose : le revoir. Et maintenant, voilà que je mène l’enquête comme le policier de son film. Tout cela n’a aucun sens.

Mais pourquoi ? Pourquoi cette jeune femme ne lui a-t-elle pas ouvert ?

Qui est-elle, d’ailleurs ?

Pour quelle raison Gabriel souhaite-t-il à tout prix protéger son intimité ?

Et tout cela a-t-il un lien avec ce qu’il s’est passé ce soir ? Avec ce regard dénué de toute émotion qu’il m’a lancé ?

Est-ce que j’ai un rôle à jouer dans cette histoire ?

Je me lève brutalement. Non, je délire, là. Ce n’est pas possible. Mais en même temps, tout cela ne peut pas être qu’une coïncidence.

Je n’ai qu’une seule solution : enquêter sur cette fille. Peut-être aurai-je une première piste.

Avant de fermer mon ordinateur, je tombe sur une photo de Gabriel pendant son discours aux César. Il brandit la statuette au-dessus de sa tête, rayonnant. Ses yeux brillent de fierté.

Je l’observe avec un mélange d’affection, d’admiration et de suspicion. Et pour la première fois, une question me traverse l’esprit :

« Qui es-tu, Gabriel Marker ? »

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