Une journée presque ordinaire (2)

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Kyran les salua avant de prendre congé. Il courut sur les remparts, observant la Cités des Artifices, la pollution diminuait quelque peu la nuit permettant d’apercevoir leurs étoiles artificielles, qui n’étaient rien de plus que des satellites envoyés en orbite afin de faire avancer la science ou de tout simplement avoir accès aux programmes télévisés.

Occupé, à regarder le ciel, le jeune Veilleur trébucha et faillit tomber une fois de plus. Il venait d’arriver à la cache donnant accès à leur repère. Aucune indication ne permettait de la discerner du reste de la muraille, sauf, une légère encoche dans la pierre suffisamment grande pour laisser passer des doigts et soulever la dalle de pierre. Ce qu’entreprit de faire le jeune homme avant de descendre l’échelle et de refermer la trappe derrière lui. Arrivé au bas du tunnel, il déboucha dans une intersection et prit celle de droite qui conduisait le plus rapidement jusqu’à ses appartements.

A cette heure, il ne croisa personne, les Veilleurs de jour étaient déjà rentrés, quant à ceux de nuit, ils étaient déjà à leur poste. Il existait bien sûr des mesures de surveillance, mais Kyran n’était encore jamais parvenu à en déceler une. Quoiqu’il en soit, il parcourut les galeries avec le seul rythme de ses pas qui se répercutaient contre les parois. Il s’interrogeait sur ce mystérieux système de défense, comment cela se faisaient-ils qu’eux qui vivaient au sein même de la muraille ne soit pas au courant d’un tel mécanisme ? Il lui semblait connaître l’entièreté de la base, pourtant cela ne semblait pas être le cas. Kyran se remémora le visage de l’homme, celui-ci ne lui semblait pas être suicidaire, mais plutôt voulant échapper à quelque chose. Pour quelle raison un Naturalys pourraient-ils bien vouloir se rendre dans la Cité des Artifices ? Ces deux peuples étaient farouchement opposés et ne masquaient pas leur ressentiment mutuel, alors pourquoi ? Ces questions l’obnubilaient, quelque chose, n’était pas clair dans cette histoire. Il aurait aimé en savoir plus, mais poser des questions indiscrètes pouvaient lui valoir cher. Alors qu’il s’efforçait peu à peu d’oublier cette histoire, il parvint enfin devant son dortoir. Il sorti son pass et l’inséra dans la fente, la porte coulissa silencieusement, lui laissant tout juste la place de passer et se referma dans son dos.

Kyran alluma la lumière et se dirigea vers sa salle de bain, où il dévêtit et entreprit de constater les dégâts. Comme à chaque fois qu’il se voyait devant un miroir, il tressaillit. S’il ne faisait pas d’erreur dans ses calculs, il était mort à seize ans, mais l’image que lui renvoyait son corps était celle d’un homme, il savait que son corps avait été artificiellement vieilli, mais il ne parvenait à se faire à son apparence, de Veilleur de 26 ans. Ses traits enfantins avaient disparu, la vie s’était éteinte de ses yeux au profit de rétine biomécanique et il y avait bien longtemps que ces fossettes n’étaient pas apparues sous l’effet d’une bonne blague. En résumé : il était jeune, mort et lasse.

Ses cheveux bouclés étaient à présent coupés ras, il passa la main distraitement dedans et se rappela une époque insouciante où il s’amusait à se les laisser pousser pour le plus grand plaisir d’embêter sa mère qui trouvait cela négligé. Il ignorait si sa famille était toujours en vie. Il avait bien sûr eu envie de se renseigner, mais devant le sort réservé à ses collègues lorsque ceux-ci avaient cherché à apprendre d’avantage, cela l’avait calmé. Les pauvres, avaient été démembrés, ne restant plus que le tronc et servait aux tests de prothèses, on pouvait parfois les entendre crier lorsque les réglages ne convenaient pas. Ils servaient aussi de donneurs volontaires malgré eux : sang, plaquettes, plasma, moelle osseuse, organes, tout y passait pour peu que ça ne conduise pas à leur mort du moins, pas de manière imminente.

Kyran avait abandonné, l’idée de revoir sa famille, à la place, il les avait dessiné tels qu’ils étaient dans ses souvenirs, pas de son membre bionique bien sûr, ses mouvements étaient enregistrés et envoyés au commandement, tout geste suspect était étudié et un interrogatoire avait lieu. Non, ils les avaient dessinés de son bras véritable, sa main gauche qui lui avait valu tant de brimades dans son enfance. Il avait ainsi retracé les courbes généreuses de sa mère enceinte, les traits burinés de son père, les tâches de rousseur de sa petite sœur et ses grands yeux curieux. Bien que cela était interdit, il se remémorait souvent leur nom, malgré l’interdiction et les elixirs d’oubli qu’on leur faisait boire tous matins, il se refusait à oublier qui il était. Même mort, il ne voulait pas perdre le peu qu’il lui restait, il savait que cela le faisait souffrir en plus de lui attirer des ennuis si cela venait à se savoir, pourtant, il voulait savoir qui il était vraiment, c’était en quelque sorte une forme de résistance face à ce système malsain.

Il détourna les yeux du miroir et entra sous la douche, le scanner se déclencha automatiquement et énuméra ses blessures, Kyran l’entendit sans l’écouter, jusqu’à ce que retentisse le bip de fin d’examen et le sermon habituel :

— Veuillez prendre soin du corps qui vous a été gracieusement donné. N’oubliez pas que toute forme d’automutilation sera facturé à votre charge. Vous devrez ainsi en plus de vos heures de garde, faire un travail d’intérêt général…

Kyran sortit de la douche avant que le monologue ne soit terminé et s’assit sur son lit. Il avait la chance d’avoir un espace rien qu’à lui, il aurait difficilement pu se livrer à ses activités clandestines avec de la compagnie. Il entreprit de rédiger son rapport, faisant renaître malgré lui toutes les questions liées à cette affaire. Fatigué, il signa son rapport et s’endormi, non s’en revoir la muraille se régénérer, aucune trace de sang ne se tenait à ses pieds, comme si l’homme avait tout simplement, disparu. Il se dit qu’il vérifierait le lendemain, mais la sonnerie de sa porte retentit au loin, ignorant s’il révait encore ou non, Kyran ne se déplaça pas et fut réveillé par une main de fer dans un gant de velours, la poigne était forte, mais la peau était douce, aucun doute, un Veilleur, s’était introduit dans sa chambre. Il se força à ouvrir les yeux et devant le visage de son supérieur, il se leva, toujours nu et le salua. L’homme le dévisagea des pieds à la tête.

— Habille-toi, tu as rendez-vous au centre technique, ensuite tu iras au centre esthétique. Là, de nouvelles instructions te seront données.

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