Chapitre 32

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Quoiqu’un peu surprise, Amanda Thompson accepta sans problème le rendez-vous du vendredi après-midi que lui proposait M. Bates. Elle ne put cependant s’empêcher de demander à sa fille quel était l’objet de cette rencontre, tout en lui faisant part de son inquiétude :

- C’est à cause du B- que tu as eu la dernière fois ? demanda-t-elle, tout en remuant dans une poêle les légumes sautés qu’elle faisait cuire pour le dîner. Si c’est ça, je trouve ton prof un peu dur… J’aurais bien aimé avoir des notes de maths comme celle-là, lorsque j’étais au lycée…

- Non, maman, ce n’est pas à cause de mon B-, la rassura Lisa, assise à la table de la cuisine, en train de caresser Léo qui ronronnait sur ses genoux. C’est à propos de ce que je veux faire après le lycée…

- Ah ? Et qu’est-ce que tu as en tête ?

- Eh bien, je suis allée au forum des universités cet après-midi, et j’ai vu quelques facs qui pourraient m’intéresser…

Elle n’osait prononcer les trois lettres fatidiques – MIT – de peur d’alarmer sa mère. Mieux valait rester prudente, pour le moment...

- Très bien, dit Amanda. Je suppose que nous en discuterons avec ton prof de maths vendredi…

- A vrai dire, il tient à ce qu’il n’y ait que toi qui viennes…

- Tiens donc ? Serait-ce un rencard ? lança Amanda sur le ton de la plaisanterie, ce qui fit naître chez sa fille un profond sentiment d’horreur. Dans ce cas, j’ai intérêt à me mettre sur mon trente-et-un !


Le lendemain matin, Lisa alla trouver M. Bates au tout début de son cours, pour l’informer que sa mère acceptait de venir le rencontrer vendredi après-midi – en s’abstenant bien sûr de mentionner la petite blague qu’elle avait faite au sujet d’un éventuel rendez-vous galant. S’il devait un jour être question d’un rencard avec M. Bates, Lisa espérait bien être la seule miss Thompson à y avoir droit. En vérité, elle misait tout sur son après-midi de libre, qu’elle comptait passer entièrement au café Gourmet’s. M. Bates lui avait dit qu’il tâcherait de ne pas la manquer, la prochaine fois qu’il s’y rendrait. Or, comme il y allait tous les jours, Lisa avait de bonnes chances de le retrouver après les cours à sa table habituelle.

Lorsqu’elle quitta la salle de maths à la fin de la leçon, l’envie la prit de se retourner vers M. Bates pour lui dire : « A tout à l’heure au Gourmet’s ! ». Elle se retint cependant, consciente que ce n’était pas le genre de propos qu’elle pouvait adresser à un prof dans une classe encore à moitié remplie d’élèves. Déjà que ceux du premier rang l’avaient regardée d’un air suspect lorsqu’elle avait confirmé en aparté à M. Bates que le rendez-vous avec sa mère aurait bien lieu… Elle devait éviter d’aggraver son cas.

A trois heures moins le quart de l’après-midi, dès qu’elle sortit de son cours d’histoire, Lisa fila droit à la bibliothèque. Quelle ne fut pas surprise de constater que celle-ci était entièrement vide et que M. Bates ne s’y trouvait même pas ! Seule la documentaliste parcourait les rayons en poussant un chariot rempli de bouquins, pour replacer sur les étagères des livres empruntés et rendus depuis peu. Il fallait dire que le temps dehors était absolument magnifique : le soleil brillait haut et fort dans un ciel bleu éclatant, la température dépassait les vingt degrés, et le chant des oiseaux s’entendait jusque dans la salle d’études. Tout invitait Lisa à suivre l’exemple des autres lycéens de Lincoln High et à sortir profiter du beau temps. Et pourtant… Elle alla s’installer à sa table habituelle et sortit son manuel de mathématiques pour commencer à travailler en attendant M. Bates.

Hélas, au bout d’une demi-heure, elle ne le vit toujours pas arriver, et elle en vint à se demander si lui non plus n’avait pas décidé d’aller se promener à l’air libre. Peut-être était-il directement allé au café Gourmet’s ? A cette pensée, Lisa rangea aussitôt ses affaires et quitta la bibliothèque sans plus tarder.

Il lui suffit de cinq minutes pour se rendre au Gourmet’s. Lorsqu’elle poussa la porte d’entrée, elle s’aperçut alors que le café était à moitié désert. La petite table ronde à laquelle M. Bates avait coutume de s’asseoir était inoccupée. Trois lycéens étaient installés sur une banquette, au fond de la salle, pour y faire leurs devoirs, et le reste de la clientèle, inconnue de Lisa, ne dépassait pas les dix personnes. Décidément, tout le monde avait eu la même idée : profiter du plein air et de la météo splendide. Il n’y avait donc qu’elle qui cherchait à rester enfermée ? Tant pis… M. Bates ferait peut-être son apparition un peu plus tard… Bien résolue à l’attendre jusqu’au soir, Lisa se dirigea vers le comptoir, derrière lequel se tenait Kim Mayer.

- Salut Lisa, fit Kim en essuyant un verre avec un torchon. Qu’est-ce que je te sers, aujourd’hui ?

- Euuuh… Eh bien… Voyons voir… Je vais prendre...

Lisa consulta la carte des pâtisseries écrite à la craie sur l’ardoise du comptoir, mais à vrai dire, elle eut bien du mal à se décider. L’absence de M. Bates la perturbait plus que de raison, et malgré tous les gâteaux appétissants qui étaient proposés, elle ne parvenait même pas à choisir celui qu’elle avait le plus envie de manger.

- Pourquoi pas un cheesecake ? dit alors une voix masculine derrière elle. Quelqu’un m’en a parlé hier, et je pense que je me laisserais bien tenter aujourd’hui...

Lisa reconnut instantanément cette voix suave et mélodieuse, qui ne pouvait appartenir qu’à un seul homme : Harold Bates. En l’espace d’une seconde, son visage devint rouge pivoine, sous le regard quelque peu interrogatif de Kim Mayer. Pour ne pas laisser la serveuse se demander plus longtemps pourquoi elle rougissait de la sorte, Lisa se retourna vivement vers l’enseignant et s’exclama :

- Vous ici !

M. Bates se tenait devant elle, dans son costume de lin beige, avec sa chemise saumon, son nœud papillon turquoise et son cartable en cuir à la main. Il avait l’air radieux.

- Alors comme ça, on ne profite pas du soleil ? lança-t-il d’une voix malicieuse.

- Oh, je préfère d’abord venir faire mes devoirs au Gourmet’s, avant d’aller me balader dehors, expliqua Lisa. Il faut dire aussi que vous nous avez donné tellement d’exercices à faire pour demain ! Je ne suis même pas sûre d’avoir le temps de profiter du beau temps ! 

- Hahaha ! Au moins, cette fois-ci, je ne pouvais pas te rater au Gourmet’s ! Il n’y a pas grand monde, aujourd’hui…

- Raison de plus pour rester et profiter du calme pour travailler...

- Et savourer une part de cheesecake ! compléta M. Bates en lui faisant un clin d’œil.

- Excellente idée ! approuva Lisa qui, quelques secondes plus tôt, avait encore du mal à faire un choix. Celui accompagné d’un coulis à la framboise est délicieux !

- Bonjour Kim. Nous prendrons deux parts de cheesecake à la framboise, s’il te plaît, commanda M. Bates à la serveuse.

Celle-ci haussa les sourcils, surprise de voir que l’enseignant s’était laissé convertir au cheesecake, lui qui d’habitude ne venait au Gourmet’s que pour boire un café. Connaissant le goût prononcé de Lisa pour ce gâteau particulièrement calorique, elle se demandait si la jeune fille n’y était pas pour quelque chose...

- Avec ceci ? demanda Kim.

- Un expresso pour moi, répondit M. Bates, avant de se tourner vers son élève pour l’interroger. Tu veux boire quelque chose, Lisa ?

- Hmmm…, fit la jeune fille en se tenant le menton comme pour mieux réfléchir.

Si elle adorait réchauffer ses mains autour d’une bonne tasse de chocolat chaud en hiver, elle se disait que maintenant que les beaux jours du printemps étaient de retour, il était peut-être temps de changer ses habitudes et d’opter pour une boisson plus désaltérante.

- Vous avez des boissons fraîches ? demanda-t-elle à Kim.

- Bien sûr. On sert du café latte glacé, du mocha glacé, du macchiato glacé, du frappuccino...

- Euuuh… C’est-à-dire que je ne raffole pas vraiment du café…

- Dans ce cas, tu peux toujours prendre un frappuccino au chocolat… C’est comme un frappuccino, mais avec du chocolat à la place du café.

- Parfait ! se réjouit Lisa, heureuse d’avoir trouvé un substitut rafraîchissant à son traditionnel chocolat chaud. Ce sera donc un frappuccino au chocolat pour moi !

- Je vous apporte ça tout de suite, répondit Kim, avant de commencer à faire couler l’expresso de M. Bates dans une petite tasse blanche.

Le cœur de Lisa manqua un battement. Elle venait seulement de réaliser que cela voulait dire qu’elle et M. Bates allaient s’installer à la même table !

L’enseignant lui proposa en effet de venir s’asseoir avec lui, et Lisa le suivit en souriant jusqu’aux oreilles. Elle s’efforçait tant bien que mal de contenir sa joie pour ne pas montrer à tout le monde que l’un de ses rêves était en train de se réaliser, et elle essayait de garder la tête froide en se disant que M. Bates ne l’invitait à sa table que par pure politesse et en toute amitié. Rien ne lui garantissait cependant que Kim en penserait autant... Ne risquait-elle pas de se faire des idées en voyant Lisa et son prof de maths partager un cheesecake en tête-à-tête ? N’allait-elle pas trouver ça louche et s’imaginer qu’il s’agissait d’un rencard déguisé ? Décontenancée, Lisa jeta un regard autour d’elle pour voir si d’autres personnes que Kim la connaissaient, mais hormis les trois lycéens au fond de la salle et dont elle ignorait les noms, elle ne reconnut aucun autre élève du lycée Lincoln. Ouf. Au moins, elle n’aurait que peu de témoins.

Rejoignant sa place habituelle, M. Bates déposa son cartable au pied de la table et retira sa veste avant de la poser sur le dossier de sa chaise. Les yeux de Lisa brillèrent d’admiration. La dernière fois qu’elle avait vu son prof de maths en chemise, cela remontait à la soirée du bal d’hiver, alors qu’il avait enlevé sa veste pour la placer sur ses épaules et la protéger du froid. Aujourd’hui, la hausse des températures le poussait à se mettre en tenue plus légère, pour le plus grand plaisir de Lisa. La chemise couleur saumon qu’il portait lui allait à ravir et mettait particulièrement bien en valeur sa carrure solide et masculine. Elle s’accordait à la perfection avec son nœud papillon turquoise, qui lui donnait un air toujours aussi élégant.

- Rien de tel qu’un petit détour au Gourmet’s pour décompresser à la fin des cours, n’est-ce pas ? s’exclama M. Bates en s’asseyant.

Lisa approuva par un vigoureux hochement de tête, avant de prendre place en face de son prof.

- Tu viens souvent ici ? demanda ce dernier sur le ton de la conversation.

- Tous les mardis après-midis, répondit Lisa. A vrai dire, c’est le seul créneau de la semaine où je n’ai pas d’activité extrascolaire...

- Vraiment ? s’étonna M. Bates. Et quelles activités pratiques-tu ?

- Oh, eh bien... Tous les lundis et les jeudis après-midis, je joue de la basse dans mon groupe de punk rock ; le mercredi après-midi, je vais faire du bénévolat dans un refuge pour animaux pas très loin d’ici ; et le vendredi après-midi, je participe à l’atelier photographie du lycée.

- Waouh ! fit M. Bates d’un air impressionné. Tu as une semaine bien remplie ! Et malgré toutes tes occupations, tu trouves le temps de faire tes exercices de maths… Bravo !

- Oh, ce n’est rien..., répondit Lisa avec modestie.

Elle aurait voulu lui dire qu’elle prenait autant de plaisir à faire ses exercices de maths qu’à jouer de la basse, mais elle jugea préférable de s’abstenir, de peur qu’il n’en croie pas un mot.

- C’est important d’avoir des activités extrascolaires pour se changer les idées, commenta M. Bates. Surtout, n’oublie pas d’en parler dans ta lettre de candidature au MIT, ou même lors de l’interview que tu passeras avec l’un de leurs conseillers d’éducation. C’est ce qui fera toute la différence par rapport aux autres candidats. La plupart des élèves qui postulent à ce genre d’universités sont des férus d’informatique ou de mathématiques, qui passent la majeure partie de leur temps libre derrière un ordinateur ou à résoudre des équations… En te consacrant à la musique et à la photographie, tu apporteras un petit côté artistique qui sera très apprécié au MIT.

Et dire que Lisa avait craint que ses loisirs ne finissent par la pénaliser dans sa scolarité ! Elle avait même envisagé un moment de quitter l’atelier photographie, trop gênée de se retrouver en présence de Nils Brown, depuis qu’il avait refusé de lui prêter du matériel sous prétexte qu’il souhaitait d’abord connaître le nom du mystérieux individu qu’elle voulait prendre en photo. Aujourd’hui, cet individu se tenait devant elle, assis à la même table, dans un café chaleureux, et il l’encourageait à poursuivre ses activités artistiques. De toute évidence, elle suivrait ses conseils à la lettre.

- Et voilà, fit Kim en arrivant vers l’enseignant et son élève avec un plateau sur lequel était posée leur commande.

Tandis que la serveuse déposait sur la table les boissons et les parts de gâteau, Lisa se pencha vers son sac à bandoulière, placé à ses pieds, pour y chercher son porte-monnaie. Comme par hasard, celui-ci était enfoui sous un tas de cahiers et de manuels scolaires, et la jeune fille mit un certain temps avant de réussir à le trouver. Hélas, lorsqu’elle parvint enfin à l’extraire de son sac, elle s’aperçut que M. Bates avait déjà sorti son portefeuille et commençait à compter les billets pour régler la note que Kim avait posée devant lui.

- Ça fait combien ? s’enquit Lisa, soucieuse d’apporter sa contribution.

- Oh, ne t’en fais pas, je m’en occupe. 

- Vous êtes sûr ? s’exclama Lisa en rougissant à nouveau, à la fois gênée et charmée par la générosité de son prof.

- Parfaitement sûr, confirma celui-ci, avant de remettre l’argent à Kim et de la prier de garder la monnaie.

- Bon appétit ! dit la serveuse en jetant un petit regard malicieux à Lisa, comme si elle lisait clair dans son jeu.

Ce regard, plein de sous-entendus, mit Lisa extrêmement mal à l’aise. Si Kim croyait qu’elle avait fait exprès de tarder à trouver son porte-monnaie pour laisser M. Bates payer l’addition, elle avait tout faux. Si en revanche elle la soupçonnait d’éprouver pour son prof de maths plus que des sentiments amicaux, elle se rapprochait dangereusement de la vérité… Aussi fut-elle quelque peu soulagée lorsqu’elle vit la serveuse s’éloigner de leur table pour retourner au comptoir.

- Ce cheesecake m’a l’air délicieux ! commenta M. Bates en découpant avec sa cuillère l’extrémité de sa part.

- C’est l’un de mes gâteaux préférés du Gourmet’s, approuva Lisa avec un sourire.

- Tu les as tous essayés ? demanda l’enseignant sur le ton de la plaisanterie.

- Quasiment tous, répondit la jeune fille, non sans fierté. Il me reste encore à goûter leurs gaufres et leurs cinnamon rolls, et je pense que je serai enfin arrivée au bout de leur carte des pâtisseries ! Par contre, j’ai encore des progrès à faire sur leur carte des boissons... J’avoue que je ne connaissais pas leur frappuccino au chocolat.

Sa boisson chocolatée était servie dans un grand mug transparent dans lequel plongeait une paille bleue. Elle était recouverte d’une volute de crème chantilly, saupoudrée de copeaux de chocolat noir. Un régal pour les yeux.... et pour les papilles. La première gorgée de Lisa fut un pur délice, et elle se demanda comment elle avait pu ignorer aussi longtemps l’existence d’une telle boisson. A en juger par le sourire enjoué qui se dessinait sur les lèvres de M. Bates, celui-ci semblait lui aussi beaucoup apprécier son cheesecake.

- Excellent ! s’exclama-t-il en coupant un deuxième morceau avec sa cuillère. Je devrais me laisser tenter plus souvent !

Lisa sourit de contentement. Elle était ravie de partager ce moment de plaisir avec l’homme qu’elle aimait. Elle avait l’impression de vivre avec lui quelque chose de particulièrement intime et sensuel, qui n’était pas sans lui évoquer une autre forme de plaisir… Malheureusement pour elle, M. Bates la rappela à des préoccupations beaucoup plus terre à terre.

- Tu as commencé à réfléchir aux sujets des tests que tu voudrais passer dans les deux mois qui viennent ? lui demanda-t-il.

- Ah, euh… Oui…, balbutia Lisa, un peu déçue de devoir redescendre de son petit nuage. A vrai dire, je me suis penchée sur la question hier soir… Je pense que je vais choisir la physique pour la première épreuve du SAT, et les maths de niveau 2 pour la deuxième épreuve... Qu’en dites-vous ?

- Ça me paraît tout à fait raisonnable, acquiesça M. Bates. Tu as de très bonnes notes en physique, et tu peux largement te permettre de tenter l’examen de maths de niveau supérieur. 

- C’est surtout l’ajout de la trigonométrie dans le sujet de maths de niveau 2 qui m’a motivée à faire ce choix, précisa Lisa, qui adorait ce chapitre pour la simple et bonne raison qu’il lui rappelait ses toutes premières leçons avec M. Bates. Pour l’ACT, je pense que je vais suivre votre conseil et passer l’épreuve optionnelle de rédaction...

- Compte tenu de tes notes dans les matières littéraires, je pense que c’est un très bon choix.

- Parfait ! Dans ce cas, il ne vous reste plus qu’à convaincre ma mère de me laisser passer ces tests ! s’exclama Lisa en riant. Je vous préviens, ce sera sans doute l’épreuve la plus difficile…

- Oh, je n’en suis pas si sûr !

M. Bates et Lisa passèrent une heure entière à discuter des examens, des études supérieures et des grandes universités américaines. Tout en dégustant son cheesecake et en sirotant son frappuccino, la jeune fille écoutait avec fascination son prof lui parler de la vie étudiante à Boston, des nombreuses associations d’élèves qui animaient le campus et des divers événements qu’elles organisaient. Elle apprit à cette occasion qu’il avait été président du club d’échecs de Harvard, et qu’il continuait de s’adonner à ce jeu qui était pour lui une véritable passion. Lisa, qui n’avait jamais vraiment excellé aux échecs, se promit de s’y remettre sérieusement. Pour l’heure, elle restait envoûtée par la voix de M. Bates, à la fois gaie et nostalgique, tandis qu’il évoquait ses quatre années d’études à Harvard, qui semblaient faire partie des plus belles de sa vie.

Lisa ne vit pas le temps passer. Lorsque Kim reparut à leur table pour leur demander s’ils désiraient autre chose, M. Bates consulta sa montre à gousset et constata à voix haute qu’il était déjà quatre heures et demi.

- Je pense que je vais y aller, annonça-t-il à Lisa. Je ne voudrais pas te retenir plus longtemps et t’empêcher de faire tes exercices de maths pour demain !

- Oh, ne vous inquiétez pas pour ça ! répondit Lisa en rigolant. Au pire, je trouverai bien un moment pour les faire dans le bus demain matin avant d’arriver au lycée ! D’ailleurs, en parlant de bus, je ne vais pas tarder, moi non plus… Il passe dans dix minutes, et si je le loupe, je suis obligée d’attendre le suivant pendant une heure…

- Tu habites où ? s’enquit M. Bates.

- A Clayton. C’est un petit village, pas très loin d’ici, mais assez mal desservi par les transports en commun…

Lisa s’abstint de demander à son tour à M. Bates où il habitait, non seulement parce qu’elle ne voulait pas paraître indiscrète, mais surtout parce qu’elle connaissait déjà la réponse.

- Clayton… Il me semble que je suis allé m’y promener l’été dernier, lorsque je me suis installé dans la région… 

- Vraiment ? fit Lisa d’une voix agréablement surprise.

Cela voulait dire qu’elle aurait pu rencontrer M. Bates dans son propre village, avant même de l’avoir comme prof au lycée Lincoln ? Cela lui paraissait tellement incroyable ! Elle en venait presque à regretter d’avoir passé autant de temps durant ses grandes vacances à se faire bronzer dans son jardin, et de ne pas être sortie se balader dans la nature plus souvent. Peut-être aurait-elle eu la chance de tomber sur M. Bates au cours d’une promenade autour de l’étang ? Aurait-il alors produit sur elle le même effet que celui qu’elle avait pu ressentir en le voyant pour la première fois en cours de maths ? Rien n’était moins sûr… Ce qui était sûr, en tout cas, c’était que son choix de lieu à visiter pour découvrir la région était pour le moins insolite... Qui aurait l’idée de s’aventurer dans un village aussi paumé que Clayton ?

- Vous êtes sûr que vous ne vous êtes pas perdu ? demanda Lisa pour plaisanter.

M. Bates se mit à rire de bon cœur, avant d’admettre :

- C’est vrai que je ne me rappelle pas avoir croisé beaucoup de touristes, là-bas. Mais j’en garde tout de même un bon souvenir.

- N’hésitez pas à repasser, dans ce cas ! lui lança joyeusement Lisa, qui rêvait déjà d’accueillir chez elle M. Bates – quand sa mère serait au boulot, bien entendu – et de lui faire découvrir de nouveaux lieux de promenade.

- A l’occasion, répondit poliment M. Bates. Allez, tu ferais mieux de filer, maintenant ! Je ne voudrais pas te faire rater ton bus... 

- Vous avez raison, il faut que je me sauve, constata Lisa en jetant un coup d’œil à sa montre. A demain matin ! Et merci encore pour la boisson et le cheesecake !

- Tout le plaisir est pour moi !

« Oh, n’en soyez pas si sûr ! » pensa Lisa avec un sourire épanoui sur les lèvres.

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