Quelques Cocolaits contre le stéllophone

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 A la vue de ce colosse en uniforme bleu, les autres scientifiques se firent tout petits. Ils se recroquevillèrent dans un coin de la salle et se mirent à pianoter nerveusement sur leurs claviers d’ordinateurs, cachés par les écrans surdimensionnés. Mais le policier au chocolat ne leur prêta pas la moindre attention et s’avança vers monsieur Baptiste. Luc le trouvait plus grand et plus large encore que lors de leur dernière rencontre. Lorsqu’il arriva au niveau du bureau, monsieur Baptiste vint à lui, les bras grands ouverts.

 — Baptiste junior ! Te voilà enfin ! Alors, quelles sont les nouvelles ? As-tu réussi à t’en procurer ?

 Baptiste junior haussa les épaules et avec ces yeux tristes si propres aux enfants qui craignent de décevoir leur père, dit en secouant son énorme tête :

 — Non papa, c’est une catastrophe. Pas la moindre trace. Les magasins ont tous été pillés, j’ai cherché partout, je suis même allé jusqu’à la chocolaterie mais là-bas non plus on n’en trouve plus un seul.

 Monsieur Baptiste eut soudain l’air très malheureux et laissa échapper un long soupir en baissant les yeux.

 — Alors tout est fini, oui… fini ! se lamenta-t-il en s’avançant vers un télescope pointé vers l’horizon.

 — Pardon, intervint Luc, mais qu’est-ce qui vous chagrine à ce point ? Il y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour vous ?

 — Par les favoris de Schubert, s’exclama monsieur Baptiste, je ne pense pas, non. A moins que vous ne possédiez une chocolaterie !

 — Attendez, dit alors Baptiste junior en se tournant vers Luc, je vous connais, je me trompe ?

 — Non, dit Luc en s’approchant du grand Baptiste junior, nous nous sommes récemment rencontrés à mon domicile. Vous étiez venu parce que madame Myrtille, ma voisine, se plaignait de…

 — Et vous m’aviez gracieusement offert du chocolat Cocolait ! tonna Baptiste junior de sa grosse voix. Le simple souvenir de la confiserie semblait lui redonner des forces. Ah, ça ! Merci encore jeune homme ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point ce cadeau comptait pour moi, poursuivit-il en tendant vers Luc son énorme mais velue, qui faisait plus penser à celle d’un troll que d’un homme. Luc lui tendit à son tour la main et le policier la secoua avec une telle vigueur, qu’il sentit ses os jouer du tambour avec ses organes.

 — Vous… vous n’auriez pas d’autres chocolats Cocolait avec vous par hasard ? demanda monsieur Baptiste en se retournant vers Luc. Ses yeux brillaient comme deux petites étoiles.

 — Malheureusement… non. Je suis désolé, dit Luc d’un air contrit.

 Les deux petites étoiles de monsieur baptiste s’évanouirent aussitôt et il retourna à son télescope. Il soupira longuement et au bout de quelques instants, sentant qu’il se devait de fournir une explication à ses visiteurs, il prit la parole :

 — Mon fils et moi, voyez-vous, sommes férus du chocolat Cocolait. Nous ne pouvons nous en passer. Il est tellement bon, vous comprenez… Tellement fondant, tellement doux, tellement succulent, tellement… hum ! Sentant qu’il s’égarait, monsieur Baptiste se racla la gorge puis reprit. C’est grâce au chocolat Cocolait que mon fils est devenu si fort, si grand et que je peux passer des jours et des jours à travailler sans que ma cervelle ne fatigue un seul instant ! Seulement, depuis votre arrivée, madame Blanche, les magasins ont été pillés et les chocolats semblent avoir complétement disparu de la circulation… Sans eux, nous ne sommes que l’ombre de nous-mêmes.

 Monsieur Baptiste se tût un instant et observa un point au loin, depuis son télescope. Il reprit alors dans un nouveau soupir :

 — Dire que cette affreuse sorcière s’empiffre nuit et jour. C’est elle qui a dévalisé la plupart des magasins. Sa maison est une véritable chocolaterie. Regardez-moi ça… Quelle honte ! Quelle affreuse femme…

 — Excusez-moi, dit Blanche en s’approchant de monsieur Baptiste, mais je ne comprends pas.

 — Regardez-donc ! lança monsieur Baptiste en s’écartant du télescope. Ce triste spectacle est plus explicite que tout ce que je pourrais vous raconter.

 Blanche se pencha sur le télescope et appuya son œil contre la lentille. L’objectif était pointé sur une grosse maison de briques rouges qui se trouvait au loin, sur la colline de l’autre côté de la forêt. Au rez-de-chaussée de cette maison, il y avait deux fenêtres. Derrière les deux fenêtres il y avait une femme, une très grosse femme assise sur un canapé de tissu vert et qui s’empiffrait de chocolat. Aux quatre coins de son salon, se trouvaient des montagnes de chocolat Cocolait. Il y en avait assez pour nourrir deux familles entières pour toute une vie. Le spectacle était triste à voir.

 — Cette… femme, n’est autre qu’un glouton sans âme ni cœur ! s’indigna monsieur Baptiste. Les jeunes gens du coin l’appellent « la sorcière sur la colline » et ils n’ont pas tort ! un jour, voyez-vous, trois enfants sont venus toquer chez elle avec un tout petit sac à la main. Ces pauvres petits étaient si maigres qu’ils avançaient en se tenant les uns aux autres pour éviter que le vent les emporte… la sorcière est ensuite venue leur ouvrir. L’un de ces enfants lui a timidement présenté le petit sac, tandis qu’un autre lui tendait quelques pièces. Pauvres petites choses ! Ils voulaient simplement lui acheter quelques-uns de ces merveilleux chocolats…

 — Comment a réagi cette… dame ? demanda alors Blanche.

 — De la plus ignoble des manières, vous vous en doutez ! répondit monsieur Baptiste. Elle a attrapé une des pièces, et tout en lançant je ne sais quel juron, l’a porté à sa bouche. Puis -voyant sans doute qu’elle n’était pas comestible- elle l’a jetée de toutes ses forces dans la forêt. Elle n’a bien entendu pas donné un seul chocolat à ces pauvres enfants et leur a seulement claqué la porte au nez, les laissant sur le pallier, tristes et apeurés, la bourse désormais aussi maigre que leurs petits corps tremblants.

 — Quelle horreur, dit Marie. Au lieu de nous coller aux baskets, Jupiter ferait mieux de s’occuper de ce genre de personne.

 — Malheureusement, dit Baptiste junior, je ne peux rien faire contre la sorcière de la colline. Elle a acheté tous ces chocolats. Je ne peux pas l’arrêter. Légalement, nous n’avons rien contre elle.

 — Nous pourrions peut-être vous aider, dit Luc, subitement enjoué.

 — Et comment diable ? répondit monsieur Baptiste. Sa maison est loin d’ici. Pour la rejoindre, il faut traverser toute la forêt et gravir la colline… Et de toute manière, elle vous accueillerait de la même manière que ces pauvres enfants.

 — J’ai une autre idée, dit Luc, les yeux brillants de malice.

 — Jeune homme, proclama monsieur Baptiste en serrant la main de Luc, si vous nous ramenez quelques-uns de ces chocolats, je vous offre le stéllophone. Vous avez ma parole. Quelque chose me dit que vous avez un plan.

 —Je pense, oui. Mais ce ne sera pas tout à fait légal… dit Luc en se tournant timidement vers Baptiste junior.

 — Je fermerai les yeux, mon ami ! dit Baptiste junior en plaçant sa grosse main devant ses paupières closes.

 — Très bien, dans ce cas… Hermès ? Viens par ici s’il te plait !

En entendant son nom, la petite chouette qui picorait quelques miettes de chocolat sur le bureau de monsieur Baptiste s’envola puis se posa sur le poignet de Luc.

 — Mon cher Hermès, crois-tu pouvoir faire équipe avec Diogène et ramener quelques-uns de ces chocolats ? demanda Luc en souriant.

 Pour toute réponse, Hermès prit son envol, décrivit un cercle dans les airs puis se posa sur le dos de Diogène. Celui-ci, couché dans une hotte en osier qu’il avait trouvée en fouinant sous le bureau de monsieur Baptiste, ouvrit les yeux et se mit à sourire en sentant les pattes de la chouette lui masser le cuir du dos. Luc s’approcha et s’agenouilla auprès de son compagnon de fourrure et son compagnon de plumes. Lentement, il leur expliqua en quoi consistait leur mission. Le plan était simple et Diogène semblait l’avoir aussi bien compris qu’Hermès. Luc souleva la hotte dans laquelle était blotti Diogène et l’approcha de la fenêtre. Blanche, quant à elle, attrapa un petit cendrier vide et se retourna. Elle fit couler quelques gouttes de lait dans le cendrier, qu’elle présenta ensuite à Hermès. La brave chouette se pencha au-dessus, considéra le liquide en hochant sa petite tête, puis y plongea le bec. Le lait lui donnerait la force de transporter Diogène jusqu’à la maison sur la colline. D’un simple battement d’ailes, Hermès passa à travers la fenêtre ouverte et attendit que l’on lui fasse passer la hotte dans laquelle attendait sagement Diogène. Luc la souleva, la fit passer au travers de la fenêtre et ne lâcha prise que lorsqu’Hermès eût refermé ses serres sur l’anse de la hotte. Lorsque Luc la laissa aller, Hermès s’envola en direction de la colline, en emportant Diogène avec lui. C’était un bien curieux spectacle. De loin, on aurait pu croire à une petite montgolfière, ou devrait-on dire, une montgolfouette. Avant que plus personne ne puisse distinguer leur silhouette qui s’amalgamait avec les nuages, on vit une trompe émerger de la hotte et faire un signe d’au revoir.

 Le bureau de monsieur Baptiste, après le départ d’Hermès et de Diogène, prit un aspect de cour de récréation. Tous se chamaillaient pour accéder au télescope, sans lequel il était impossible de voir la montgolfouette, car celle-ci était déjà loin. Seule Marie et Blanche demeuraient calmes. Parce que l’une était rongée par une sorte de contrariété qui obscurcissait toute sa figure et qui n’admettait pas de divertissement et parce que l’autre était tout simplement la lune.

 Les garçons, eux, essayaient à tout prix d’accéder au télescope, pour ne rien manquer du spectacle. Mais Baptiste junior était si fort, qu’il n’avait qu’à user de son petit doigt pour contenir Luc et son père. Il était impossible à déloger. « Autant essayer de déraciner un chêne à mains nues » pensait Luc. Monsieur Baptiste se précipita sous son bureau et s’empara d’une longue vue toute dorée, qui ressemblait à celles qu’utilisaient jadis les pirates. Mais Baptiste junior, qui n’avait pas oublié la dette qu’il avait envers Luc, proposa finalement de partager le télescope en l’utilisant à tour de rôle. Chacun l’utiliserait une minute avant de laisser la place à l’autre.

 Grâce à ce formidable instrument, on pouvait voir la montgolfouette aussi clairement que les étoiles au cœur d’une nuit d’été. Hermès et Diogène avaient déjà parcouru les trois quarts du chemin. Lorsqu’ils arrivèrent au niveau de la colline sur laquelle trônait la grosse maison de briques rouges, Hermès déploya ses grandes ailes et resta quelques instants à planer autour, cherchant sans doute le meilleur endroit pour se poser. Il opta finalement pour le jardin et déposa délicatement son passager à terre. Diogène -avec quelques difficultés et fort maladroitement- bascula par-dessus la hotte et fit quelques pas dans l’herbe pour se dégourdir les pattes.

 — Regardez, dit monsieur Baptiste qui tenait fermement sa longue vue plaquée contre son œil, ils passent à l’attaque ! Les braves petits.

 Et c’était vrai. Diogène et Hermès s’étaient séparés. Le petit mammouth, lui, trottinait en direction de la porte d’entrée, tandis qu’Hermès voletait jusqu’à la fenêtre du salon, d’où il pouvait voir la grosse dame en robe de chambre, assise sur son canapé entre deux montagnes de Cocolait et une immense télévision. Hermès déposa le panier (désormais vide) contre le mur sous la fenêtre, puis exécuta le plan. Il s’envola puis alla se poser sur le toit. Diogène, de son côté, furetait dans l’herbe haute et mal entretenue du jardin, à la recherche d’on-ne-sait quoi, puis finit par rejoindre l’entrée de la maison. Il s’immobilisa sur le pallier, regarda en l’air, puis se cabra sur ses pattes arrière. Il semblait tenir quelque chose au creux de sa trompe. De la patte, il tâtonna le mur et appuya sur la sonnette. Aussitôt fait, il retomba sur ses quatre pattes, puis s’assit sagement sur le paillasson.

 — Votre mammouth a sonné chez elle ! La voilà qui se lève ! dit monsieur Baptiste, la longue vue visée sur l’œil.

 Il était tellement absorbé par la scène qu’il manqua de basculer par la fenêtre, à travers laquelle il était dangereusement penché. Luc lui sauva la vie en le tirant par la veste mais ni monsieur Baptiste ni Baptiste junior n’y firent attention.

 Hermès recommença à planer autour de la maison, en attendant que la grosse dame vienne ouvrir à Diogène. Lorsqu’enfin la porte s’ouvrit, tout le monde retint son souffle. Qu’allait bien pouvoir faire Diogène et qu’allait être la réaction de la grosse femme ? Le geste de Diogène, face à cette dame qui venait de lui ouvrir, laissa tout le monde bouche bée. Le brave mammouth avait déroulé sa trompe et présentait une jolie jonquille qu’il avait cueillie dans le jardin. Depuis l’observatoire, personne ne pouvait voir la grosse dame, qui n’avait pas fait le moindre pas vers Diogène. La porte d’entrée était grande ouverte mais la femme était restée sur le seuil. A ce moment précis, une nuée d’oiseaux, comme un gros nuage de pollen, se détacha de la colline. La grosse dame venait de pousser un terrible cri. Pourtant le brave Diogène n’avait pas bougé et tendait toujours sa petite jonquille du bout de sa trompe. Le petit mammouth pensait sûrement que la dame lui offrirait un chocolat contre sa jolie fleur, mais l’échange fut malheureusement tout à fait différent…

 Diogène fut tout à coup parcouru d’un frisson. Il pencha la tête et baissa les oreilles à la manière des pauvres chiens maltraités qui craignent d’êtres rudoyés. Il laissa alors tomber la jolie fleur et s’enfuit au triple galop, en trébuchant sur sa propre trompe.

 — Alors ça, je sais bien qu’elle n’est pas très jolie mais là tout de même, sa réaction est exagérée… dit monsieur Baptiste qui ne perdait rien de la scène.

 Ce qui avait fait fuir Diogène n’était pas l’apparence de la grosse dame mais plutôt l’énorme tromblon qu’elle tenait entre les mains. Elle s’était emparée d’un vieux fusil de chasse au canon évasé, dont elle comptait bien décharger le plomb sur Diogène. Le pauvre et infortuné mammouth galopait à travers le jardin, apeuré. Par chance, la grosse dame courait très mal (elle semblait d’ailleurs plus rebondir que courir) et Diogène parvint à la semer, puis à se cacher dans une haie de rosiers. Pendant ce temps, Hermès s’était faufilé par la porte d’entrée et avait rejoint le salon. L’ingénieuse chouette s’empressa d’ouvrir la fenêtre et aussitôt fait, effectua des allers-retours entre les tas de chocolat Cocolait et la hotte. Hermès alliait astucieusement rapidité et précision et parvenait à attraper cinq barres de chocolat à chacun de ses passages. Il se déchargeait de chacune d’elles dans la hotte sans en faire tomber une seule à côté.

 — Formidable ! C’est formidable ! s’exclamait monsieur baptiste derrière sa longue vue.

 — Affreux ! C’est affreux ! s’exclamait Luc derrière le télescope.

 Il va sans dire que monsieur Baptiste et Luc ne regardaient pas la même chose. Luc, avec effroi, observait Diogène qui tentait d’échapper à la grosse dame et monsieur Baptiste, avec enthousiasme, observait Hermès qui remplissait la hotte de chocolats. La hotte, par ailleurs, fut bientôt pleine à craquer. Baptiste junior sentait déjà l’odeur du chocolat lui caresser les narines. Mais Hermès s’empara de quelques-uns des Cocolaits qui étaient dans la hotte, avant de les jeter négligemment dans l’herbe.

 — Le malheureux ! gémit monsieur Baptiste, que fait-il ? A-t-il perdu la raison ?

 — Il faut seulement de la place pour Diogène, il faut que lui aussi puisse entrer dans la hotte, répondit Luc en braquant le télescope sur Hermès.

 Diogène, pendant ce temps, se cachait toujours dans les rosiers afin d’échapper à l’immonde femme. Mais le vert feuillage était tellement épais, qu’il ne pouvait respirer. Les piquants étaient quant à eux si pointus, qu’ils écorchaient son petit visage. Diogène se risqua alors, pour soulager sa douleur et emplir ses poumons d’air, à laisser dépasser sa trompe du feuillage. Au contact de la trompe, les roses eurent un murmure sucré et le feuillage un bruissement inquiet. Ce bruit n’échappa pas à la grosse dame. Non pas le murmure des roses, auquel elle était tout bonnement sourde mais le bruissement du feuillage. Ce bruissement, étrangement, ressemblait à celui de l’emballage de chocolat que l’on défait… Et ce son là, elle était capable de l’entendre à des dizaines de mètres à la ronde.

 Elle fit alors volte-face et pointa l’énorme canon de son arme sur Diogène, dont seule la trompe et les deux petits yeux mélancoliques dépassaient du feuillage. Mais la mélancolie d’un mammouth lunaire impuissant et pris au piège entre un fusil et des roses n’avait aucun effet sur la grosse dame. Cela ne lui inspirait pas la moindre émotion. Seul son ventre émit un gémissement. Car par contre, elle avait faim. Lentement, elle mit Diogène en joue, appuya fermement la crosse de sa pétoire contre son épaule et ferma un œil. Son doigt chatouillait la détente. Hermès volait déjà au secours de son ami mais il était bien trop loin pour arriver à temps. Il poussa un long hululement, espérant effrayer l’affreuse femme. Mais elle ne sourcilla pas et se contenta de presser la détente. Il y eut une grosse détonation, suivie d’un silence glaçant.

 — Par les violons de Vivaldi, qu’est ce que c’était que cela ? murmura monsieur Baptiste

 Luc ne put prononcer le moindre mot. Ce fut comme si le coup de fusil lui avait été destiné. Blanche accourut et semblait dévastée. Baptiste junior bouillonnait et serrait nerveusement le télescope, qu’il écrasait sous la force de sa grosse main. Monsieur Baptiste était bouche bée et ne pensait plus du tout aux chocolats. Marie, assise en retrait, se mordait nerveusement les ongles.

 La grosse femme venait de tirer à bout portant. Le pauvre Diogène, à sa merci dans sa prison de roses, n’avait rien pu faire pour se défendre. La peur l’avait de toute façon paralysé. Sans aucune animosité mais avec fermeté, Luc poussa Baptiste junior, qui cette fois-ci vacilla, et fit un pas de côté sans mot dire. Luc prit sa place et pointa le télescope sur les rosiers, où Diogène avait été vu pour la dernière fois. Son cœur battait si fort qu’il lui semblait lui aussi vouloir regarder à travers la lunette. L’amas de fumée qu’avait soulevé le fusil faisait comme un gros nuage couché au beau milieu du jardin. Le nuage n’était ni blanc, ni gris mais d’une couleur brune très étrange. Sous l’effet du vent, il se dissipait petit à petit, comme un rideau découvrant une scène de théâtre. Monsieur Baptiste, Luc et Baptiste junior (qui se tenait joue contre joue avec Luc pour pouvoir lui aussi regarder à travers le télescope) poussèrent simultanément un cri de surprise. Diogène, recouvert d’un curieux liquide brun, se tenait au cœur des rosiers, immobile, hébété mais sain et sauf. La grosse dame, quant à elle, était étendue sur le sol de tout son long, entièrement couverte, comme par un linceul, de ce même liquide brunâtre. Que s’était-il passé ? Le canon du fusil était lui aussi garni de barres de chocolat, (la grosse dame en avait caché quelques-uns ici pensant que personne ne viendrait lui voler) qui avaient empêché le coup de partir et provoqué une implosion au cœur du fusil. Et sous la chaleur de l’implosion, tout le chocolat avait fondu. La grosse dame était en vie et avait roulé sur son ventre. Elle ne paraissait pas vouloir se relever et broutait avidement l’herbe -à présent chocolatée- qui se trouvait sous son nez. Hermès tira profit de son infâme gloutonnerie et vint tirer Diogène hors des rosiers. Il le ramena ainsi jusqu’à la hotte, dans laquelle il le laissa tranquillement s’installer. Le panier était plein de chocolat au trois quart et Diogène dut redoubler de vigilance pour ne pas tomber. Lorsqu’il fut à peu près installé, Hermès s’envola, laissant derrière lui l’affreuse femme, sa maison et la colline. Peu de temps après leur départ, il y eut une nouvelle détonation.

 « Bang ! » Cela résonna à travers toute la forêt et jusqu’à l’observatoire. Une partie de la maison de la grosse femme avait volé en éclats. Elle avait laissé une casserole de chocolat sur un réchaud et oublié d’éteindre le gaz. Dans l’explosion, la quasi-totalité de ses chocolats fondirent, puis formèrent une grande et très longue rivière chocolatée, qui coulait tout le long de la colline, jusqu’à un petit village, où les enfants eurent tout le loisir de consommer ce délicieux nectar à volonté !

 A leur retour, Hermès et Diogène furent accueillis en héros. Si monsieur Baptiste avait eu une médaille, il leur aurait décernée sur le champ. Le bonheur de monsieur Baptiste et de son fils était indescriptible. Alors qu’ils croquaient dans le Cocolait, les larmes leur venaient aux yeux. Blanche elle-même, fut émue qu’une chose aussi simple qu’un chocolat puisse apporter tant de joie.

 Monsieur Baptiste tint parole et fit don à Luc du stéllophone. Il l’enveloppa dans une mousse protectrice et le plongea au fond d’un sac à dos.

 — Vous pouvez emporter le stéllophone, dit monsieur Baptiste qui avait déjà la bouche couverte de chocolat. Je vous le donne avec beaucoup de plaisir et de fierté. Avec ceci, vous trouverez votre île, je n’en doute pas une seconde. Et n’oubliez pas les partitions ! Sans elle, point de musique et point d’étoiles ! dit-il en souriant et en tendant à Luc le sac à dos ainsi qu’une liasse de partitions.

 Luc le remercia chaleureusement, rangea les précieuses notes dans le sac à dos, qu’il confia à Blanche. On fit alors une toilette à Diogène et lorsqu’il fut tout à fait propre, Luc le laissa regagner sa hotte, qu’il attacha fermement sur ses épaules.

 — Bonne chance, dit solennellement monsieur Baptiste en embrassant Luc. Ce stéllophone vous revient de droit. Et n’oubliez pas, on ne voir clair que lorsqu’on sait écouter. Ouvrez vos oreilles au chant des étoiles et elles vous béniront de leur lueur.

 — Merci, monsieur. Il y a néanmoins… peut-être une dernière chose que vous pourriez faire pour nous, dit Luc en regardant humblement monsieur Baptiste.

 — Parle donc mon garçon ! Tout ce que vous voudrez ! s’exclama le vieux scientifique en ouvrant les bras.

 — Auriez vous par hasard un tonneau de vin… plein à ras-bord ?

 Monsieur Baptiste ne fut pas même surpris par cette requête et assura à Luc que l’on chargerait un tonneau de sa cave personnelle dans sa camionnette. Baptiste Junior et son père accompagnèrent Luc, Blanche et Marie jusqu’à leur camionnette tandis qu’on chargeait un tonneau dans le coffre. Luc fit couler un peu de boisson énergisante pour moteur assoiffé dans le réservoir, puis ce fut l’heure des adieux. Enfin, Luc démarra la camionnette et s’enfonça dans la forêt.

 — La jeune amie de ce garçon n’avait pas l’air dans son assiette, dit Baptiste junior tout en secouant la main dans un dernier adieu. Peut-être mourait-elle de faim ? Nous aurions dû lui proposer à manger…

 — Tu es bien naïf mon fils, soupira monsieur Baptiste. Ce n’est pas de faim que cette jeune fille se meurt. Elle est désespérément amoureuse de ce brave garçon, voilà tout. Mets-toi un peu à sa place, quelle serait ta réaction si le dieu soleil descendait sur terre et s’accaparait de l’être qui depuis toujours fait battre ton cœur ?

 — Oh ça… je ne m’inquiète pas. Le chocolat aura fondu avant même qu’il ne le porte à ses lèvres. Il ne risque pas de me le voler, dit simplement Baptiste junior en marchant vers l’observatoire.

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